Les avantages de la multifranchise sont réels. Mais tous les réseaux ne maîtrisent pas cette stratégie de développement et tous les franchisés ne peuvent pas y accéder. Comment y parvenir ? Les experts vous conseillent.
Ouvrir un, deux, puis trois points de vente à la même enseigne. Devenir un « poids lourd » de son réseau. Quel franchisé n’en a pas rêvé ? Et pourtant, seul un petit nombre y parvient avec succès.
C’est que tout le monde ne peut pas devenir multifranchisé. Il y faut des qualités particulières. Savoir déléguer, recruter des managers, savoir « faire-faire », savoir contrôler à distance. Tout cela peut s’apprendre. Mais mieux vaut avoir déjà un peu d’expérience dans le domaine.
Des moyens financiers sont également nécessaires. Même si les banquiers peuvent se montrer bienveillants, pour peu que votre premier établissement marche bien.
Les experts insistent : l’un des principaux pièges à éviter est de vouloir aller trop vite. Or, en franchise, c’est la tendance naturelle. Mais trop d’échecs proviennent de la précipitation.
A éviter aussi : aller trop loin dans la constitution de votre mini-réseau. Sauf exception, mieux vaut modérer ses ambitions.
Attention encore aux fausses promesses. Certains jeunes franchiseurs vous incitent à la multifranchise alors qu’ils ne l’ont pas testée eux-mêmes. D’autres, parfois moins jeunes, vous poussent à ouvrir toujours plus d’unités alors que leur concept n’est pas rentable.
Si elle présente de multiples avantages, la multifranchise n’est pas exempte de risques.
Multifranchise : multiples avantages
Premier avantage de la multifranchise : vous pesez plus lourd et vous pouvez négocier, par exemple, de meilleures conditions d’achat auprès de vos fournisseurs. Donc améliorer vos marges par rapport à celles d’un monofranchisé, notamment dans la distribution, la restauration, etc.
Vous gagnez la possibilité de déplacer vos stocks d’un site à l’autre afin de mieux coller à l’évolution des ventes. De même pour le personnel, dont vous pouvez si nécessaire détacher une partie ici ou là en renfort. Et dont la motivation peut se trouver augmentée par les perspectives d’évolution que vous lui ouvrez.
Autre bonus : vous réaliserez des économies d’échelle en mutualisant vos services généraux (comptabilité, informatique, communication).
Dès votre deuxième ouverture, vous pourrez obtenir du franchiseur une réduction du droit d’entrée. De même pour les redevances, à propos desquelles votre partenaire peut prévoir des dégressifs à partir d’un certain seuil de chiffre d’affaires global.
Vous pourrez encore, selon votre poids dans le réseau, être mieux écouté par le dirigeant si vous avez des suggestions à lui faire en termes d’évolution de son concept.
Enfin le banquier, lui aussi, accueillera avec davantage de bienveillance vos demandes de financement pour l’ouverture de vos nouveaux établissements. En tout cas si votre première expérience lui a donné des raisons de vous suivre.
Des risques non négligeables
La multifranchise n’est pas exempte de risques pour les franchisés. On sait que la formule fait rêver beaucoup de candidats. Attention donc aux enseignes où l’on vous expliquerait que seule l’ouverture de plusieurs unités peut vous permettre d’atteindre la rentabilité.
Cela peut être vrai « quand l’activité entraîne beaucoup de frais fixes », indique l’expert-comptable Éric Luc, spécialiste de la franchise et directeur des relations extérieures de Fiducial (photo ci-contre). Mais vous pouvez également vous retrouver face à un concept où les multifranchisés en place sont en échec et qui ne vous permettra jamais de réussir.
Autre bémol : « le fait de multiplier les investissements dans le même réseau peut vous fragiliser si l’enseigne rencontre des difficultés », avertit le consultant Sylvain Bartolomeu (Franchise Management).
Mais surtout, le passage de la mono à la multifranchise n’a rien d’automatique. « J’ai déjà vu plusieurs franchisés bien réussir dans leur premier établissement et échouer parce qu’ils n’avaient pas appris à en diriger deux, témoigne le spécialiste. Car il s’agit de savoir manager, non plus trois ou quatre salariés, mais dix ou davantage. Et donc déléguer et contrôler à distance, ce qui est très différent».
Pourtant, selon le consultant, cela peut s’apprendre. Et c’est au franchiseur de vous préparer, de vous « transmettre ce savoir complémentaire », qui consiste non plus seulement à « faire » mais à « faire faire ». Y compris en vous orientant s’il le faut vers des structures externes, spécialisées dans la formation des dirigeants.
Au passage, Sylvain Bartolomeu conseille aux candidats d’éviter les trop jeunes franchiseurs qui n’ont « mis en place qu’un seul établissement pilote et ne maîtrisent donc pas eux-mêmes la technique ». Car, comme la franchise, « la multifranchise doit avoir été testée avec succès » par la tête de réseau avant d’être proposée à des partenaires.
Multifranchise : une question de profil et de moyens
« Tous les franchisés ne peuvent pas faire de bons multifranchisés », explique Sylvain Bartolomeu (Franchise Management, photo ci-contre). Certains profils sont, davantage que d’autres, en mesure de réussir. « Si vous êtes plutôt un faiseur, le fait de quitter le métier, le terrain, pour des fonctions de direction à distance pourra vous poser des problèmes », souligne le consultant.
« La multifranchise s’adresse plutôt à des personnes qui ont déjà dirigé un centre de profit », confirme l’expert-comptable Éric Luc. D’autant qu’à un moment donné, si tout va bien, vous allez devoir diriger un mini-réseau avec plusieurs unités, plusieurs managers et, peut-être, selon votre secteur d’activité, plusieurs dizaines de salariés au total.
La multifranchise a aussi un coût. « Les banquiers proposent parfois de financer la deuxième unité à 100 %. Ce n’est pas souhaitable, estime Éric Luc (Fiducial). ,Mieux vaut à nouveau respecter le taux habituel de 30 à 40 % d’apport personnel. En effet, en cas de retournement, vous ne pourriez pas rembourser 170 % de vos deux premières affaires ! »
L’apport personnel en question peut, bien sûr, provenir du salaire ou des dividendes issus de l’activité du premier établissement. Mais il peut aussi avoir été mis de côté dès le départ. « Il faut toujours garder une poire pour la soif », conseille l’expert.
Autre exigence : vous devrez installer des managers salariés aux commandes de vos points de vente. « Parfois, des personnes émergent en interne, observe Sylvain Bartolomeu. Mais ce n’est pas toujours simple. Dans la restauration par exemple, il est fréquent de voir 50 % du personnel changer dès les premiers mois. L’idéal, c’est d’avoir recruté dès le départ des personnes de confiance », estime le consultant.
Faut-il associer ces managers au capital pour les motiver ? L’expert-comptable y est favorable. « Comme à tout ce qui peut laisser entrevoir une évolution » aux salariés ou aux franchisés.
Passer à la multifranchise : des différences selon l’activité
Le passage de la mono à la multifranchise peut être plus ou moins facilité par l’activité.
« Dans la réparation de stores, par exemple, où le franchisé est seul dans son camion, il lui sera facile de recruter un salarié et de le faire former par le franchiseur pour mettre en route une seconde unité », illustre Éric Luc.
« Dans le cas d’un restaurant d’une vingtaine de personnes, ce sera plus compliqué, poursuit le spécialiste. Il faudra que le franchisé qualifie un autre maître d’hôtel et un nouveau chef de cuisine pour son deuxième établissement. »
« Dans les services, les métiers du conseil, du courtage, où le concept repose en grande partie sur le savoir-faire personnel du franchisé, il va lui être difficile voire impossible de déléguer », complète Sylvain Bartolomeu.
Partout, en tout cas, dans la mesure où le franchiseur a perçu un nouveau droit d’entrée, même minoré, les experts en conviennent : il doit accompagner son franchisé lors du lancement de sa deuxième unité, comme il l’a fait pour la première.
C’est à dire au moins par une assistance à l’ouverture. Assistance qui doit être décrite en détail dans les contrats et effective dans le réseau. Deux points à vérifier donc avant de vous engager.
Ne pas griller les étapes
A quelle vitesse peut-on ouvrir ses différentes unités franchisées ? A quel rythme ? « Pour un franchisé qui souhaite ouvrir un nouveau point de vente, il est préférable d’attendre que les deux premières années soient passées et que la réussite du premier magasin soit assurée, affirme l’expert-comptable Éric Luc. On a alors une bonne visibilité sur l’activité et sur la rentabilité. »
Un conseil partagé par Sylvain Bartolomeu : « Pour ouvrir une deuxième unité, il faut déjà avoir stabilisé la première », confirme le consultant. « Elle doit tourner en quasi autonomie. Vous devez avoir atteint vos objectifs de rentabilité et être sur le point de vous ennuyer. Dans la plupart des métiers, il faut, pour y parvenir, compter au moins deux ans ».
Dans la pratique, on le sait, franchiseurs et franchisés ont tendance à vouloir aller plus vite. « Or, il faut être au point en matière de ressources humaines, avoir pris du recul sur ce que représente une ouverture, etc. »
« Souvent les candidats affichent des perspectives très ambitieuses », poursuit le spécialiste. « Et trop de franchiseurs font l’erreur de privilégier le court terme. Or, les beaux réseaux se construisent avec des franchisés qui ont eu le temps. La franchise, c’est un partenariat sur le très long terme. »
Les candidats à la multifranchise ont donc intérêt à privilégier les franchiseurs qui vont plutôt leur dire : « Prend le temps de réussir ton premier établissement et on verra après ».
Une attitude « plutôt saine », selon l’expert.
Peut-on et faut-il pré-réserver ses futurs territoires ?
Faut-il réserver dès le départ ses futurs territoires ? Les avis sont partagés. « Aujourd’hui, les jeunes réseaux ont de plus en plus tendance à concéder une zone large au franchisé avec la possibilité d’ouvrir un deuxième ou un troisième point de vente, expose Éric Luc. Si le nouvel entrant ne transforme pas l’option en ouverture dans un délai de trois ans par exemple, le franchiseur la reprend pour y implanter un autre franchisé ou une succursale. » Une pratique dont l’expert de Fiducial apprécie l’équilibre.
Sylvain Bartolomeu y est moins favorable. « On voit trop de franchisés qui ont signé pour 3 ou 4 zones et qui ne « tournent » pas sur la première, regrette le consultant. Un franchisé doit accepter de réussir d’abord son premier établissement et de voir ensuite. Au franchiseur de lui laisser du temps car c’est aussi son intérêt. » Quitte à renoncer à d’autres candidats…
Certains contrats prévoient de prévenir l’aspirant multifranchisé quand le franchiseur a trouvé un postulant pour une zone « frontalière » de la sienne. Une obligation qui peut sembler correcte, mais qui peut aussi s’avérer à double tranchant. Car elle risque de précipiter la création du deuxième point de vente. Ce qui n’est pas sans risque.
Vous avez donc intérêt à vous renseigner sur les pratiques de l’enseigne qui vous intéresse avant de la sélectionner.
Raccourcis possibles et limites raisonnables
Est-il intéressant, par exemple de s’associer à deux ou trois afin d’ouvrir chacun un établissement, puis éventuellement un deuxième et construire ainsi plus vite son mini-réseau ? « Oui, mais l’association, c’est comme le mariage : il ne faut pas se tromper », ironise Sylvain Bartolomeu (Franchise Management). Même s’il est toujours possible de prévoir les conditions de la séparation dans un pacte d’associés. Attention alors à sa rédaction.
Autre piste : pourquoi ne pas reprendre les entreprises d’un multifranchisé ? Certaines sont en vente parce que le franchisé a bien réussi et souhaite réaliser une plus-value. «Oui, mais il faut alors prévoir un plus gros chèque !, objecte l’expert-comptable Éric Luc (Fiducial). Et si vous êtes néophyte dans l’activité, le banquier ne suivra pas forcément. »
Enfin combien d’établissements un multifranchisé peut-il aligner ? « Il y a une limite géographique, répond l’expert. Car il faut pouvoir passer, au début du moins, chaque jour dans ses deux magasins. Et les voyages, c’est fatigant. »
« Au-delà d’un certain seuil de points de vente, disons quatre ou cinq, avertit Sylvain Bartolomeu, çà devient compliqué. On commence, sauf exception, à dégrader la performance ».
Quelques-uns « arrivent très bien à passer ce cap, nuance Éric Luc. Certains comptent quinze salons de coiffure, d’autres vont jusqu’à trente hôtels». C‘est parfois davantage dans la grande distribution. « Mais il faut bien connaître son concept. L’oeil doit aller vite » pour contrôler qu’il est bien respecté.
On l’aura compris, la multifranchise ouvre d’intéressantes possibilités aux franchisés. A certaines conditions toutefois. Mieux vaut notamment qu’elle ait été testée avec succès par le franchiseur lui-même et, idéalement, confirmée par les multifranchisés du réseau.