Racheter un réseau de franchise sans garder l’enseigne, c’est possible. Mais si un franchisé ne veut pas signer le nouveau contrat, le franchiseur doit respecter les engagements de l’ancien. Sous peine de se voir sanctionné, comme vient de le rappeler la cour d’appel de Paris.
La cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4) vient, le 12 septembre 2018, de condamner à plus de 200 000 € de dommages et intérêts un franchiseur pour rupture fautive d’un contrat suite au rachat d’un réseau.
Juin 2010 : le franchisé, qui vient d’ouvrir deux points de vente apprend que son réseau est racheté par un franchiseur d’un secteur d’activité proche. En août, le nouveau franchiseur propose au franchisé de le rejoindre. Les négociations commencent, mais n’aboutissent pas.
Début décembre, le repreneur annonce par courrier au franchisé qu’il ne continue pas l’activité du réseau racheté (complémentaire, mais différente de la sienne). Il invite le franchisé (qui ne souhaite pas changer d’activité) à « rechercher une autre enseigne » ou à opter pour une solution « multi-marques ». Il lui donne un délai de plus de dix-huit mois (jusqu’au 31 juillet 2012) pour se retourner et abandonner l’enseigne avec laquelle il avait signé son contrat au départ. Un approvisionnement sur des invendus encore en stock au niveau de la tête de réseau est également proposé « à des conditions avantageuses », si le franchisé le souhaite.
Rupture fautive du contrat de franchise
Problème : dans les faits, les collections et les livraisons de produits vont cesser. Le franchisé ferme son premier magasin en mars 2011 et, en septembre, assigne le nouveau franchiseur en justice.
Saisie, la cour d’appel tranche en faveur du franchisé.
Pour les magistrats, le courrier de décembre 2010 constitue une résiliation du contrat. Résiliation dont « le seul motif (…) est l’absence d’accord entre les parties pour signer un nouveau contrat à d’autres conditions. »« Toutefois, poursuit la cour (le franchiseur) est tenu de respecter les termes du contrat » Et notamment sa durée.
Le contrat ne prévoyant de résiliation anticipée qu’en cas de faute du franchisé, et aucun grief ne lui ayant été reproché dans le courrier de décembre 2010 (ni avant), le franchiseur ne pouvait donc pas le « résilier avant son terme, le 31 décembre 2016. » Il restait tenu, selon le contrat lui-même, de « proposer des collections (de produits) conformes à l’image de marque du réseau » et d’approvisionner le franchisé.
Le franchiseur a donc, selon la cour « résilié de manière fautive le contrat de franchise pour ne pas avoir respecté le délai déterminé (…) et ne pas avoir exécuté à compter du printemps 2011 (ses) obligations de franchiseur ».
Plus de 200 000 € d’indemnités pour le franchisé
En conséquence, prenant en référence le niveau de marge mensuel du franchisé, non contesté par la partie adverse, la cour fixe à 213 960 € (3566 € x 12 mois x 5 ans de contrat restant à courir) le montant des dommages et intérêts qu’aura à verser le franchiseur pour compenser le « manque à gagner » du franchisé.
Les magistrats y ajoutent le remboursement de plus de 13 000 € de frais consacrés par le franchisé aux travaux de réaménagement de ses magasins après dépôt de l’enseigne initiale et 3 000 € de « garantie du respect des engagements » prévue au contrat.
La cour refuse en revanche d’indemniser le franchisé de ses investissements initiaux, qu’il s’agisse de l’agencement (environ 100 000 €) ou des divers frais (droit d’entrée, formation, loyer, équipement matériel, logiciel, marketing et autres pour environ 100 000 € également). Parce qu’ils correspondent, selon les juges, à des prestations rendues ou à des dépenses nécessaires pour l’exécution du contrat qui a quand même eu lieu, même s’il a été interrompu.
Le message est limpide : un franchiseur peut, bien sûr, racheter un réseau sans en conserver l’enseigne, mais il doit alors proposer un nouveau contrat aux franchisés. Si l’un d’eux ne veut pas signer, le franchiseur doit respecter le contrat initial jusqu’à son terme. Ou parvenir à une séparation amiable s’il ne veut pas risquer d’être rappelé à l’ordre par la justice.