La cour d’appel de Toulouse vient de condamner un franchiseur de la grande distribution pour avoir transmis un prévisionnel imprudent à un boucher repreneur d’un supermarché. La mise en liquidation judiciaire du franchisé en moins de 10 mois alors que sa société était florissante auparavant a contribué à convaincre les juges.
La cour d’appel de Toulouse vient de confirmer la condamnation d’un franchiseur pour prévisionnel trompeur.
Le litige se forme sur une courte période. Suite à la fermeture de son supermarché en 2012, le maire d’un bourg de 1 000 habitants sollicite le boucher du village pour la réouverture, sous une autre grande enseigne, d’un commerce de distribution alimentaire dans lequel il pourrait intégrer son activité d’artisan.
Le contrat est signé et le point de vente (de 691 m² avec station-service) ouvre en mars 2014. Mais si l’activité boucherie traditionnelle est conforme aux prévisions, il n’en est rapidement pas de même pour les autres rayons. Au lieu d’un chiffre d’affaires mensuel de 318 000 €, le franchisé n’atteint que 211 000 (soit un écart de 34 %). Ses marges se dégradent et le 18 novembre, sa société est placée en redressement judiciaire, puis en liquidation en janvier 2015.
Pour l’opération, le boucher a emprunté 450 000 € et s’est porté caution à hauteur de 50%. Estimant avoir été trompé par le franchiseur sur le potentiel du supermarché, il l’assigne en justice.
Pour sa défense, l’enseigne relève que :
-le franchisé ne s’est engagé que 8 mois après la communication du prévisionnel sans avoir formulé d’interrogations sur les chiffres transmis
-il connaissait le secteur d’activité et le marché local
-le prévisionnel était inférieur de 22,25 % à celui réalisé antérieurement
-le franchisé a établi son propre prévisionnel avec son expert-comptable
Rappelant que la loi ne l’oblige pas à transmettre de prévisions et que celles-ci sont toujours sujettes à aléas, le franchiseur estime s’être montré loyal et sincère et n’avoir commis aucune faute.
Saisie par l’enseigne après sa condamnation en première instance, la cour d’appel de Toulouse réfute tous ces arguments.
Des prévisions du franchiseur jugées trop générales et trop optimistes
Pour les magistrats, « il ne suffit pas (dans ce litige …) de reprendre les chiffres du précédent exploitant et d’y appliquer un coefficient de modération de 22,25 % pour prétendre avoir satisfait à son obligation de communiquer des renseignements reposant sur une méthodologie sérieuse alors que le point de vente était fermé depuis (deux ans), que le concept changeait et qu’il fallait attirer une nouvelle clientèle dont les habitudes s’étaient portées vers d’autres enseignes. »
La cour relève ensuite que l’expert-comptable s’est basé « exclusivement » sur les chiffres communiqués par l’enseigne pour établir le prévisionnel du franchisé. Et que celui-ci, qui exploitait une boucherie traditionnelle depuis 2007 dans le village « n’avait aucune expérience en matière de grandes et moyennes surfaces ».
Aussi, « c’est à bon droit que le franchisé se prétend victime de comptes prévisionnels trompeurs et ce dans des proportions importantes qui excluent tout aléa. »
« De même, ajoutent les juges, il apparaît qu’il existait en réalité dans la zone de chalandise du point de vente 11 moyennes et grandes surfaces dans un rayon de 20 km, ce qui révèle un contexte de concurrence exacerbée sur lequel le franchiseur devait attirer l’attention de son cocontractant. » « Or, l’enseigne n’a communiqué que des renseignements généraux (…) sans caractériser l’évolution des besoins dans le secteur (de la commune concernée). »
« Une simple imprudence peut caractériser une faute précontractuelle »
« La rapidité avec laquelle la déconfiture de la société (franchisée) est intervenue confirme à tout le moins, poursuit l’arrêt, le caractère irréaliste des prévisions qui l’ont conduite à la liquidation judiciaire en moins de 10 mois alors que son activité était florissante avant le rachat du point de vente litigieux. »
« Enfin (…), le franchiseur est susceptible d’engager sa responsabilité s’il fournit des informations erronées sans qu’il soit nécessaire d’établir sa volonté de tromper. La faute précontractuelle peut consister en une simple imprudence ou négligence, notamment lorsque les prévisions communiquées sont trop générales ou trop optimistes et que, comme (ici), le franchisé n’a pas les moyens de contrôler le sérieux des prévisions (transmises) par un professionnel qui fait partie des plus grands groupes du secteur. »
Bref, si rien n’oblige une enseigne à transmettre un prévisionnel, quand elle le fait, celui-ci doit être suffisamment sérieux et prudent. Ce qui, selon les juges, n’était pas le cas dans ce litige.
La cour confirme donc, dans son arrêt du 26 septembre 2018, la condamnation du franchiseur à 305 000 € de dommages et intérêts (correspondant à la dette de caution du franchisé et à son compte courant perdu).
Un arrêt contre lequel l’enseigne peut, bien sûr, se pourvoir en cassation.