Dans un arrêt récent, la cour d’appel de Caen précise en quoi le savoir-faire d’un franchiseur doit consister pour être valide. Elle souligne aussi qu’en cas de faible originalité, il est difficile de prétendre avoir été copié.
La cour d’appel de Caen a récemment validé le savoir-faire d’un franchiseur contesté par l’un de ses franchisés. Elle a jugé aussi que l’ex-franchisé n’avait pas imité ce savoir-faire – pas si original que cela – dans ses établissements.
Le contrat est signé en avril 2011. Mais les relations ne sont pas bonnes entre les parties. En juin 2012, le franchisé – qui n’est pas tenu par une clause de non-concurrence – ouvre, loin de sa zone mais près d’une autre unité du réseau, un point de vente sous sa propre marque dans la même activité. Sur la base d’un concept qui, aux yeux du franchiseur n’est qu’une copie du sien.
Le litige éclate en 2013 après 27 mois de collaboration (sur 36 prévus). Confronté au non-paiement des redevances, le franchiseur résilie le contrat.
Saisi, le tribunal de commerce de Caen condamne le franchisé, entre autres, à s’acquitter de plus de 15 000 € de redevances impayées. Mais aussi de 100 000 € de dommages et intérêts « en réparation du préjudice né de la création d’un concept concurrent pendant la durée du contrat. »
En appel, le franchisé réclame l’annulation de ce jugement et confirme sa demande de nullité de son contrat pour absence de savoir-faire du franchiseur.
Un savoir-faire qui présente de « réelles spécificités »…
La cour va le débouter de cette demande et, sur ce point, confirmer le jugement de première instance.
Dans son arrêt du 11 octobre 2018, elle reconnaît, certes, que « le réseau ne présente que peu d’originalité, (dans la mesure où) il propose (…) des caractéristiques inhérentes à de nombreux » établissements du même secteur. Pourtant, elle estime que le savoir-faire du franchiseur « comporte de réelles spécificités. »
Parmi elles : les outils de communication mis en œuvre vis à vis de la clientèle, la charte graphique, le site internet de l’enseigne, une présence active sur les réseaux sociaux, diverses actions publicitaires, des offres promotionnelles, la définition de tarifs conseillés, des outils de gestion mis à la disposition des franchisés, une centrale d’achats, le référencement de 40 fournisseurs et l’organisation du réseau (conseil des franchisés et différentes commissions).
Pour la cour, le franchisé « ne démontre pas que les modalités d’exploitation (du point de vente) décrites dans le (manuel opératoire) seraient facilement accessibles, connues de tous ou (insignifiantes) ».
« Constituant un ensemble d’informations pratiques relatives à une technique spécifique, le savoir-faire (du franchiseur) apparaît (…) significatif », estiment les magistrats.
…et qui a prouvé son efficacité…
La cour ajoute qu’après « avoir mis au point et expérimenté son savoir-faire pendant 3 ans, (le franchiseur) a développé un réseau important de franchisés constitué de 130 unités. » Une réussite qui constitue une preuve du savoir-faire et de son efficacité.
En outre, la progression du chiffre d’affaires du franchisé sur trois exercices atteste aussi, aux yeux des juges, de « l’avantage concurrentiel décisif » qui lui a été apporté par le savoir-faire du franchiseur.
Un savoir-faire « substantiel et confidentiel » comme précisé dans le contrat, qui est, également, « identifié » car transmis à travers divers documents et formations. (Et peu importe pour les juges que le franchisé ne les aient pas toutes suivies.)
La nullité du contrat pour absence de cause est donc refusée. Et la cour confirme sa résiliation aux torts du franchisé ainsi que les condamnations de première instance qui en découlaient (notamment les 15 000 € d’impayés).
…mais qui ne présente que « peu d’originalité » dans son secteur
En revanche, les magistrats annulent les 100 000 € de dommages et intérêts infligés au franchisé pour concurrence déloyale.
« En l’absence de clause de non concurrence expresse, note la cour, l’obligation de loyauté n’interdit pas l’ouverture d’un réseau concurrent sous une autre marque dès lors qu’aucune confusion n’est susceptible d’être créée dans l’esprit de la clientèle ». Ce qui était le cas puisque « ni la marque ni la charte graphique (du franchisé) ne présentaient de similitudes » avec celles du franchiseur.
Par ailleurs, les magistrats estiment que les établissements de l’ex-franchisé ne constituent pas « une copie servile ou une imitation d’un produit existant ». Plusieurs éléments pointés du doigt par le franchiseur n’étant pas spécifiques à son concept, mais au contraire « intrinsèques » à l’activité concernée.
Pour la cour, il n’est « pas établi (non plus) que (le franchisé) a utilisé les méthodes transmises par (le franchiseur) pour ouvrir ses (points de vente)».
Sans « appropriation des éléments distinctifs du savoir-faire du franchiseur », ni « imitation suspecte de son produit », il n’y a pas eu, pour les juges, de concurrence déloyale imputable au franchisé.
On l’aura compris, si le savoir-faire du franchiseur est substantiel, sa faible originalité a permis à l’ex-franchisé de se lancer dans le même secteur sans forcément avoir à l’imiter.