En 2018, plusieurs décisions de justice ont concerné la liberté d’entreprendre après la fin du contrat. Liberté de ne pas le renouveler pour le franchiseur. Liberté de poursuivre l’activité ou de rallier un autre réseau pour le franchisé. Les juges ont fait beaucoup de déçus. Une préfiguration de 2019 ?
3>Phase post-contractuelle : la liberté au cœur des débats
Plusieurs décisions de justice ont marqué 2018, concernant notamment des conflits collectifs à propos des droits du franchiseur sur son réseau.
A l’origine de ces litiges : des franchisés désireux de poursuivre la collaboration afin de récolter les fruits de leurs investissements, face à des dirigeants de réseaux décidés à abandonner en totalité ou en partie la franchise comme stratégie de développement.
Non-renouvellement des contrats de franchise : des conflits collectifs qui ont déçu les franchisés
La Cour de cassation s’est ainsi prononcée dans un conflit qui oppose depuis 2013 plusieurs franchisés à leur ex-franchiseur. Cette année-là, le franchiseur avait annoncé le non-renouvellement programmé des contrats de la moitié de son réseau franchisé. Pour les exploitants concernés, il s’agissait d’un abus assimilable à une expropriation. Et de la révélation d’une stratégie d’abandon complet de la franchise par ce réseau qui comptait par ailleurs plusieurs centaines de succursales.
En cassant partiellement les 8 arrêts d’appel qu’elle a examiné le 4 septembre 2018, la Cour de cassation a satisfait en partie les franchisés et leurs avocats. Notamment en ré-ouvrant, dans 4 cas sur 8, la question de l’abus et de la mauvaise foi éventuelle de l’ex-franchiseur.
Toutefois les motifs de cassation sont divers et les magistrats ont raisonné cas par cas. Il apparaît ainsi que le caractère massif et programmé de la rupture avec les franchisés n’est pas pris en compte par la justice. En clair, pour les juges, à partir du moment où le franchiseur respecte, franchisé par franchisé, les délais et les protocoles prévus par son contrat pour le non-renouvellement de celui-ci, peu importe que cela aboutisse globalement à la fin du réseau franchisé.
Pour eux, un franchiseur est libre de réorganiser son réseau comme il l’entend.
Dans le même ordre d’idées, plusieurs ex-franchisés ont été déboutés le 30 mai, par la cour d’appel de Paris de toutes leurs demandes à l’encontre du repreneur de leur réseau. Vendus par leur propriétaire en 2011, ils avaient été invités à signer un nouveau contrat de deux ans annulant et remplaçant leurs contrats en cours. Un texte présenté comme provisoire par le cédant, en attendant que le nouveau propriétaire, venu de l’étranger, se soit bien installé dans le pays.
Mais un an avant la fin de ces nouveaux contrats, le repreneur annonçait son abandon de la franchise en France et indiquait que les contrats ne seraient pas renouvelés. Et cela sans aucune contrepartie, sans proposer aux franchisés de leur acheter leur fonds de commerce, etc. Les magistrats ont toutefois conclu à une totale absence de faute de la part du nouveau propriétaire.
Non-concurrence et non-affiliation après le contrat : des contraintes qui augmentent pour les franchiseurs
Si, sur la question du renouvellement de leur contrat, les franchisés ont perdu en justice en 2018, sur celle des clauses post-contractuelles, ce sont plutôt les franchiseurs qui ont fait l’objet de décisions sévères.
La possibilité, pour un franchiseur, d’interdire à ses franchisés de poursuivre une activité similaire ou de rallier un réseau concurrent après la fin de leur contrat a fait l’objet de décisions allant, en effet, plutôt dans le sens d’une augmentation des contraintes pour les dirigeants de réseaux.
Certes, le 3 octobre, la cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4) a validé une clause de non-concurrence post-contractuelle contestée par des franchisés. Mais c’est parce qu’elle était « correctement limitée » à la fois dans le temps (un an après la fin du contrat), dans l’espace (aux locaux où exerçaient les franchisés) et dans son objet, interdisant aux franchisés « d’exercer et/ou de s’intéresser à une activité similaire en tout ou partie à celle du franchiseur ».
La cour a en revanche invalidé la clause de non-réaffiliation des mêmes contrats (interdisant tout ralliement à un autre réseau) car « insuffisamment limitée dans l’espace », puisqu’elle s’étendait à la France métropolitaine.
« Les clauses de non-affiliation ou de non-concurrence post-contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise », a rappelé sous forme de principe la cour d’appel de Paris, « dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans sa zone d’exclusivité. Ces clauses doivent cependant rester proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent ».
Et la cour y a particulièrement veillé. Par une autre décision du 3 octobre, elle a ainsi annulé la clause de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelle d’un autre réseau. Parce qu’elle s’appliquait dans un rayon de 30 kilomètres autour du point de vente. Alors qu’elle aurait pu valablement être limitée aux locaux du franchisé, selon les juges.
Dans le même ordre d’idées, le 22 novembre, les magistrats du Pôle 1, chambre 2 de la même cour ont pour leur part considéré comme « non-écrite » une clause de non-affiliation post-contractuelle parce qu’elle s’étendait à tout un département. La cour a, dans ce cas, estimé que, bien que conclu en 2012, le contrat concerné tombait sous le coup de la loi Macron du 6 août 2015 qui a intégré au droit français les dispositions contenues depuis 2010 dans les textes européens sur la question.
Enfin, le 28 novembre, la Cour de cassation a laissé comprendre qu’une clause de non-concurrence et de non-affiliation étendue à un rayon de 150 kilomètres autour de l’établissement franchisé représentait une « restriction excessive » à la « liberté (du franchisé) d’exercer sa profession ». La cour d’appel concernée est appelée à revoir sa copie.
La tendance était déjà perceptible en 2017. Elle s’est, à l’évidence, confirmée depuis.
S’armer de patience en 2019
La jurisprudence franchise 2018 a mis en évidence encore une autre tendance déjà ancienne mais qui se renforce : la longueur des procédures. Dans bien des litiges jugés ces derniers mois, il a fallu compter parfois une dizaine d’années, parfois davantage, avant d’avoir un résultat. Certains franchisés en sont arrivés à 12 ans, sans même avoir pu encore aller en cassation, en raison de la durée des expertises et contre-expertises décidées par les tribunaux.
Le phénomène ne peut qu’accroître le coût de la justice pour des plaignants qui ont déjà perdu beaucoup d’argent. Et on a vu dans les conflits collectifs le nombre des plaignants se réduire au fur et à mesure. La question de ces durées excessives n’est, il est vrai, pas spécifique à la franchise ni même au seul droit des affaires. Il n’empêche qu’elle ne facilite pas le recours aux tribunaux, notamment pour les franchisés.
A quoi ressemblera la jurisprudence franchise de ce début 2019 ? Des décisions sont attendues, on le sait, en matière de déséquilibre significatif par exemple, dans des procédures enclenchées en 2017 par le Ministère de l’économie à l’encontre de plusieurs réseaux de restauration rapide. D’autres sujets épineux, comme l’épilation par la lumière pulsée, attendent aussi leur solution définitive. Mais comme en 2018, il faudra sans doute faire preuve de beaucoup de patience, dans bien des litiges, avant de connaître la réponse de la justice.