Après avoir vu son contrat d’affiliation annulé pour tromperie sur la rentabilité et la concurrence locale, une tête de réseau est condamnée à verser des indemnités significatives à une ex-partenaire.
Statuant sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris s’est prononcée le 20 septembre 2019 sur l’indemnisation d’une affiliée dont le contrat a été annulé pour dol.
A l’origine du litige : l’échec de cette affiliée qui ouvre son établissement en 2011 pour subir une liquidation judiciaire deux ans plus tard. Au lieu d’un chiffre d’affaires de près de 200 000 €, elle n’a atteint que 65 000 et, à la place d’un bénéfice de 20 000, a subi une perte de près de 85 000 € lors de son premier exercice.
Pour elle, cet échec est entièrement de la responsabilité de la tête de réseau qui l’a trompée sur la rentabilité réelle de ses sites pilotes et des autres sites affiliés. Et qui lui a fourni de fausses informations sur son futur marché local, avec des chiffres datant de plus de quatre ans et surtout en lui dissimulant la réalité de la concurrence. A savoir l’existence sur sa zone d’implantation de plusieurs points de vente partenaires non-affiliés mais bénéficiant des mêmes avantages en termes de savoir-faire de la marque, de formation, marketing etc.
Le franchisé « doit se renseigner », mais le franchiseur « doit être sincère »
L’affiliée est d’abord déboutée en 2014 de toutes ses demandes par le tribunal de commerce de Paris. Pour les juges de première instance, « le franchiseur n’est pas tenu à une obligation de résultat en ce qui concerne la rentabilité, par nature aléatoire et le franchisé est débiteur d’une obligation de se renseigner ». Par ailleurs, un état local du marché a été remis à la candidate, « qui ne pouvait dès lors ignorer la concurrence locale ». Elle s’était d’ailleurs inquiétée de l’existence de ces points de vente « à statut de dépositaires ». Pour les juges, elle avait donc eu « tout loisir » de ne pas signer son contrat si elle avait considéré que cela pouvait constituer un frein à son entreprise.
En 2016, la cour d’appel de Paris infirme ce jugement. Pour les magistrats, « la rentabilité (est) une qualité substantielle du contrat de franchise. » Or, « les documents (transmis par la tête de réseau en) présentaient une version trop optimiste. » Par ailleurs, « le DIP ne répondait pas aux obligations légales de communiquer l’ensemble des dates de signature des affiliés ». Enfin, « la présence de distributeurs n’était pas mentionnée ».
La cour annule donc le contrat pour dol (tromperie) en observant que « s’il appartient au candidat franchisé de se renseigner, il appartient au franchiseur de lui communiquer des informations sincères ».
Pour la Cour de cassation, il y a bien eu volonté de tromper
Saisie, la Cour de cassation approuve presque entièrement cet arrêt en juin 2018. Pour les magistrats de la plus haute juridiction française, la cour d’appel a « légalement justifié sa décision » en « faisant ressortir » que la tête de réseau avait « volontairement dissimulé des informations essentielles, déterminantes du consentement » de l’affiliée (tant sur la rentabilité que sur la concurrence locale). Elle a donc eu raison d‘annuler le contrat.
La Cour approuve également le montant de 50 000 € de dommages et intérêts accordés personnellement à l’affiliée « en réparation du préjudice moral » qu’elle a subi.
En revanche, pour une question de procédure, elle renvoie partiellement l’affaire devant la cour d’appel de Paris « autrement composée » en lui demandant de statuer à nouveau sur les montants d’indemnisation à accorder à la société de l’affiliée (au liquidateur).
C’est sur ce point que la cour d’appel de Paris se prononce le 20 septembre 2019.
Restitution du droit d’entrée et remboursement de l’emprunt
Après avoir écarté les accusations de fautes de gestion avancées par l’enseigne contre l’affiliée, la cour note qu’à l’inverse, « la faute (de la tête de réseau) est désormais irrévocablement reconnue ». Elle en déduit que les montants versés par la société affiliée pour intégrer le réseau doivent lui être rendus.
La cour condamne donc la tête de réseau à « restituer au titre de la nullité du contrat » la somme de 20 600 € (correspondant au droit d’entrée, à l’achat des enseignes lumineuses, aux appareils pris à bail, etc.). Et, dans la mesure où la démonstration a été faite à ses yeux (par la plaignante) du « lien de causalité entre la faute et le préjudice », la cour condamne également l’enseigne « en indemnisation des préjudices subis » à verser à la société affiliée une somme de plus de 195 000 € correspondant au prêt familial contracté pour se lancer et à l’argent consacré à constituer le capital social et alimenter le compte courant.
En revanche, pour les magistrats, la société de l’affiliée « ne démontre pas que les pertes comptables d’exploitation (…) sont en lien direct avec l’annulation du contrat ».
Au total, au lieu des 400 000 € perdus qu’elle réclamait en compensation de la faute de l’enseigne, la société affiliée reçoit donc près de 220 000 €. En plus des 50 000 € accordés par ailleurs à l’affiliée personne physique et validés par la Cour de cassation en 2018.