Un franchisé qui n’avait pas atteint ses prévisionnels estimait avoir été trompé sur la rentabilité de son projet et sur celle du réseau. Le franchiseur parvient à démontrer aux juges que la viabilité de son concept n’est pas en cause. Le franchisé est débouté de sa demande d’annulation du contrat et de plus d’un million d’euros d’indemnités.
Par un arrêt du 18 mai 2020, la cour d’appel de Limoges a débouté un franchisé qui réclamait l’annulation de son contrat de franchise.
Dans ce litige, le contrat est signé en septembre 2013 et l’établissement ouvert trois mois plus tard. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous au-delà du premier exercice et en octobre 2016, le franchisé – qui envisage de poursuivre la même activité hors enseigne – assigne son franchiseur en justice.
Le franchisé réclame l’annulation de son contrat et d’importantes indemnités (supérieures à 1,2 million d’euros) en raison, selon lui, d’une présentation erronée de la rentabilité de son projet mais aussi du réseau. Présentation qui a, selon lui, vicié son consentement.
Saisie, la cour d’appel ne partage pas cette analyse.
Pour les juges, le franchisé était un professionnel averti du secteur qui a pu se décider en connaissance de cause
Les magistrats notent d’abord que le franchisé était un professionnel avisé du secteur, notamment directeur puis gérant d’établissements importants au sein d’une grande franchise pendant 13 ans.
Ils relèvent qu’après avoir déposé un dossier de candidature en mai 2012, puis avoir rencontré trois franchisés du réseau et participé à une « journée découverte » en septembre et octobre 2012, il a reçu un DIP (Document d’information précontractuel) comprenant notamment – comme la loi le prévoit – un état du marché local et national, les derniers bilans et comptes de résultats du franchiseur ainsi qu’un projet de contrat de franchise et en annexe (non prévu par les textes), un exemplaire du code européen de déontologie de la franchise.
Les juges soulignent encore qu’en février 2013, le franchisé a répondu au questionnaire du franchiseur « après DIP » en indiquant « pouvoir s’engager en connaissance de cause » et avoir compris que l’état du marché communiqué ne valait pas étude de marché et qu’il lui appartenait de préciser la pertinence économique de la zone qu’il avait choisie.
Prévisionnels : pour la cour, le franchisé « n’a pas démontré » que les informations précontractuelles étaient erronées
La cour s’intéresse ensuite à la question des prévisionnels. En mars 2013, note l’arrêt, le franchisé a participé à une réunion organisée par le franchiseur avec plusieurs banques et a ensuite librement négocié avec elles. Cette négociation s’est effectuée sur la base d’un prévisionnel établi par le franchiseur afin de soutenir la demande de financement du franchisé.
Toutefois ce document précisait en préambule qu’il avait été constitué à partir des données transmises par le franchisé lui-même, « sous sa responsabilité » et n’était qu’indicatif, aucune des parties au contrat ne garantissant qu’il serait atteint. Selon ce document, si les prévisions de CA et de charges d’exploitation étaient respectées, le projet devenait rentable en année 6.
Certes, dans la réalité, le chiffre d’affaires hors taxe a été de 927 000 €, puis 803 000 et enfin 672 000 (montants arrondis) au lieu des 985 000, 975 000 et 985 000 prévus pour les trois premiers exercices. Des écarts que le franchisé attribue à la chute de fréquentation du réseau liée selon lui aux défauts du concept et du marketing de l’enseigne. Mais pour la cour « ce différentiel ne démontre pas à lui seul que les informations contenues dans les documents précontractuels étaient erronées ».
Selon une étude, dans un secteur en crise au moment du litige, le réseau du franchiseur était l’un des plus rentables…
Quant à la rentabilité du réseau, le franchisé a transmis aux juges des pièces qui établissent une baisse de la fréquentation et du CA dans un grand nombre d’établissements franchisés de l’enseigne entre 2012 et 2014, un nombre significatif de procédures collectives et une baisse du résultat d’exploitation pour les succursales. Le franchiseur étant lui-même placé par la suite en redressement judiciaire.
Mais pour la cour, « ces documents ne permettent pas de considérer que les difficultés des franchisés (…) ont été générées par l’absence de viabilité du modèle économique franchisé. » Les juges ajoutent que « les difficultés incontestables des sociétés (du franchiseur) » ne le permettent pas davantage.
De son côté, le franchiseur a pu produire des études de 2015, 2016 et 2018 provenant d’un cabinet indépendant reconnu « dont les données ne sont pas sérieusement contestées » selon la cour. Etudes qui établissent d’abord que le secteur d’activité concerné « a subi depuis 2011 une crise économique importante » touchant tous ses segments de marché, ensuite que, parmi les 14 enseignes du secteur dont les résultats ont été analysés, celle du franchiseur se situait « parmi les meilleures (seconde) en ce qui concerne la marge brute moyenne et les taux des résultats d’exploitation moyens. » Pour la cour, le franchisé n’établit donc pas que la présentation du réseau dans le DIP aurait été erronée.
Rien ne prouve aux yeux des juges que le franchisé aurait été « conduit à avoir une vision faussée » de sa rentabilité
La cour écarte encore un reproche du franchisé concernant ses charges d’exploitation. Le franchiseur ayant pu démontrer que le niveau prévu correspondait à la moyenne du réseau et que si celui de l’établissement franchisé s’en est écarté à partir du deuxième exercice, compromettant la rentabilité de l’exploitation, c’est en raison du non-respect du concept (notamment en matière d’offre-produits et de masse salariale). Et ce, malgré plusieurs invitations de l’enseigne à corriger le tir.
Par conséquent pour les magistrats de Limoges, le franchisé « professionnel averti » du secteur « ayant exercé son activité professionnelle dans le cadre de deux franchises auparavant, qui a bénéficié d’un délai de réflexion de 16 mois avant de s’engager et a librement signé des documents clairs (…) ne rapporte pas la preuve que les informations (qu’il a reçues) avant de s’engager (…) sont entachées d’erreurs » et l’auraient « conduit à avoir une vision faussée de la rentabilité de l’entreprise – condition substantielle de son engagement -. » Le franchisé est donc débouté de sa demande de nullité du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité. Et de ses demandes indemnitaires.
Pas de nullité du contrat de franchise, ni de résiliation aux torts du franchiseur
La cour le déboute également de sa demande subsidiaire de résiliation du contrat aux torts du franchiseur. Les juges écartent les reproches formulés quant à l’assistance et à des questions liées aux remises forfaitaires annuelles des fournisseurs (utilisées en grande partie pour la communication du réseau), à la politique des prix ou encore au programme de fidélisation de la clientèle.
A noter que le même franchisé avait déjà été débouté par la cour d’appel de Limoges le 3 février 2020 alors qu’il réclamait la requalification de son contrat de franchise en contrat de travail, estimant que les contraintes imposées par l’enseigne en termes de prix maximum, d’agencement et de décor – y compris sonore – étaient excessives et sortaient du cadre de la franchise.