Un franchisé dont le contrat avait été résilié pour avoir ouvert son propre site internet estimait avoir été trompé et mal accompagné par son franchiseur. Il réclamait la nullité de son contrat et d’importantes indemnités. C’est lui qui est condamné.
La cour d’appel de Toulouse vient de refuser à un franchisé la nullité du contrat qu’il réclamait pour défaut d’information précontractuelle et de savoir-faire. Cet arrêt est intéressant aussi parce qu’il traite de concurrence sur internet et de ventes en ligne.
Dans ce litige, le contrat est signé en avril 2014, mais le succès n’est pas au rendez-vous pour le franchisé qui, en août 2015, tente de s’en sortir en ouvrant son propre site internet en plus de la page qui lui est réservée sur celui du réseau. En vain, puisqu’il ne réalise cette année-là guère plus de 30 000 € de chiffre d’affaires, soit 75 % de moins que prévu.
En janvier 2016, parce qu’il estime que son partenaire ne respecte pas ses engagements contractuels, le franchiseur décide de résilier son contrat. Deux ans plus tard, la société du franchisé se retrouve en liquidation judiciaire. Entre-temps celui-ci a décidé d’assigner son ex-enseigne en justice et de réclamer la nullité du contrat et des dédommagements pour les préjudices subis à hauteur de plus de 200 000 € dont près de 40 000 en remboursement du droit d’entrée.
DIP et prévisionnel trompeurs, savoir-faire insuffisant selon le franchisé
Le franchisé s’estime victime d’une tromperie. Selon lui, le DIP (Document d’information précontractuelle) ne lui a pas été remis 20 jours avant la signature du contrat comme l’exige la loi mais le jour même seulement, ce qui ne lui a pas permis de s’engager en connaissance de cause. Certes le document litigieux est daté du 1er janvier 2014… mais pas de sa main. Et pour cause, il n’était pas sur place ce jour-là !
En outre, la tête de réseau « n’a pas remis les comptes annuels devant (l’)accompagner ». Quant aux états de marché national et local présentés, ils étaient « abstraits, généraux et inadaptés ». Et les perspectives de développement « insuffisantes ».
Par ailleurs, les informations que le franchiseur a fournies pour la réalisation des comptes prévisionnels se sont avérées « inexactes, fantaisistes et trompeuses ». Le franchisé demande donc la nullité du contrat pour dol.
Il la demande aussi pour « absence de savoir-faire, ou à tout le moins de transmission de celui-ci (pas de « bible » ni de mode opératoire), de même qu’en raison d’un défaut de formation et d’assistance. »
Le franchiseur n’est pas tenu de transmettre les bilans de son unité pilote, rappelle la cour
Saisie, la cour d’appel de Toulouse écarte toute annulation du contrat. Dans leur arrêt du 18 novembre 2020, les magistrats retiennent d’abord que le franchisé a reçu par mail une version du DIP et du contrat « dès le mois de novembre 2013, après une visite au siège de l’enseigne ». Certes, il s’agissait d’une version portant la mention « vierge » (sans le nom du futur signataire), mais pas vide de contenu selon eux.
Et si les deux derniers comptes annuels de la société de franchisage n’étaient pas joints au DIP, c’était, observent-ils, en raison de sa création récente (en 2010). Peu importe à leurs yeux que les comptes de l’établissement qui a servi de base au concept, existant depuis une vingtaine d’années – et placé en liquidation judiciaire en 2011 – n’aient pas été transmis avec le DIP. A ce sujet, les juges rappellent la règle : « Aucune obligation de fournir les comptes annuels de son unité pilote ne pèse sur le franchiseur. Les comptes annuels visés (par la loi sont exclusivement ceux de sa société) ».
États du marché national et local : « en quoi ont-ils vicié le consentement du franchisé ? » interrogent les juges
Sur les états national et local de marché, les magistrats ne partagent pas l’analyse du franchisé. Si l’état du marché national n’est pas plus précis dans le DIP, estiment-ils, c’est parce que l’activité exacte de l’enseigne n’existait pas encore à ce niveau. Quant au marché local, les données transmises sur l’état de la population, sa composition et ses différents niveaux de revenus, extraites des données Insee, leur semblent à l’évidence suffisantes. Et si le plaignant a jugé ces données trop anciennes, il « n’établit pas qu’il y a eu, par la suite, des modifications importantes des marchés de nature à vicier son consentement. » D’une façon générale il ne démontre pas selon la cour « en quoi » les états de marché l’auraient trompé.
Concernant les perspectives de développement, il « n’établit pas (non plus, toujours pour les magistrats) en quoi les informations qu’il décrit comme laconiques et banales sont constitutives d’un dol. » D’ailleurs, il « n’a réclamé aucune précision supplémentaire » à leur sujet, « ni souhaité les compléter par une étude plus approfondie (comme il y était invité par le franchiseur) ».
La nullité du contrat pour dol est refusée
Sur le prévisionnel, les magistrats retiennent que l’étude qui a servi de base aux calculs a été réalisée par une société tierce et que « rien ne permet d’établir » que les chiffres retenus ou d’autres données lui ont été transmis par le franchiseur.
A l’occasion de cette analyse point par point, la cour d’appel de Toulouse énonce pour mémoire la règle selon laquelle « un défaut d’information précontractuelle ne suffit pas pour obtenir l’annulation du contrat de franchise ». Et ajoute qu’il « appartient au franchisé d’établir que ce défaut d’information est à l’origine d’un vice du consentement sans lequel il n’aurait pas contracté. ». Ici, en l’absence à ses yeux de cette démonstration, la nullité pour dol est refusée.
4 jours et demi de formation suffisent à prouver l’existence d’un savoir-faire
La cour d’appel écarte de la même manière les reproches visant le savoir-faire. Parce qu’il y a eu une séquence d’une journée et demie en septembre 2014 dans un hôtel et un stage de 3 jours sur site, l’arrêt indique que l’existence et la transmission d’un savoir-faire ne peuvent pas être contestées. Les juges ajoutent que l’absence de bible et de mode opératoire « ne suffit pas » à caractériser l’absence de savoir-faire.
Là encore les magistrats pointent le fait que le plaignant n’a « jamais (…) sollicité la transmission (de ces supports) ». Et qu’il n’a même « jamais formulé la moindre réclamation au titre du savoir-faire transmis ».
Ils notent aussi qu’il a « pu bénéficier de la clientèle constituée par le franchiseur ». Et même s’il prétend qu’un autre franchisé en profitait davantage et à ses dépens, il n’a « pu l’établir » devant la cour. Par ailleurs, son contrat lui apportait à leur avis un avantage concurrentiel, comme aux autres membres du réseau, par l’accès qui leur était réservé à un espace commercial décisif pour leur activité.
La demande de nullité pour défaut de cause est donc également refusée. Le franchisé – en fait le liquidateur qui a poursuivi la procédure – est débouté de ses demandes d’indemnisation.
Le franchiseur peut dans certains cas se réserver la création d’un site internet où le franchisé effectue ses ventes en ligne
A l’inverse, la résiliation du contrat pour faute du franchisé est validée par la cour d’appel. La création d’un site internet non prévu par le contrat et l’utilisation des signes distinctifs du concept pour cela représentent aux yeux des juges deux bonnes raisons de résilier.
Les magistrats reconnaissent certes que « le franchiseur ne peut pas priver son franchisé des ventes en ligne réalisées via la création d’un site internet ». Mais ils ajoutent aussitôt qu’il « peut se réserver la création d’un tel site – sur lequel le franchisé pourra réaliser lesdites ventes en ligne – (s’il) peut se prévaloir d’un objectif légitime ». C’était le cas en l’occurrence selon eux puisque le but était de « préserver l’homogénéité du réseau ».
Par ailleurs, le plaignant « ne démontre pas qu’il a dû créer son site internet pour pallier les carences (de la tête de réseau) dans l’organisation de la répartition de la clientèle. » Enfin, le dirigeant avait respecté la procédure en adressant d’abord une mise en demeure à son partenaire.
Le franchiseur n’obtient pas pour autant toute l’indemnisation qu’il espérait
Toutefois, les demandes d’indemnisation du franchiseur sont pour la plupart écartées par la cour. Les juges relèvent ainsi qu’il ne peut pas réclamer à son ex-franchisé de lui verser les redevances que celui-ci lui aurait payées si son contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme. Puisque, quatre mois seulement après la résiliation du contrat, il a confié le territoire exclusif concerné à un autre membre du réseau. Le franchisé en litige aura donc à s’acquitter de ces quatre mois de redevances (au lieu de trente-neuf).
La cour considère aussi comme nulle la clause de non-concurrence post-contractuelle car pas attachée exactement aux seuls locaux du franchisé (mais concernant une activité ayant lieu « à partir » de ce local, donc insuffisamment limitée dans l’espace). Le franchiseur ne peut en conséquence se prévaloir d’un préjudice du fait de la prolongation de l’activité de son ex-partenaire hors réseau.
Au final, le franchisé devra s’acquitter de la somme de 1 440 € TTC correspondant à quatre fois le forfait minimum garanti de redevances, plus les frais du procès.