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      Franchisés : comment profiter d’Internet

      Dernière mise à jour le 4 février 2022

      La mise en place d’un site internet marchand de l’enseigne est devenue indispensable en franchise. Les futurs franchisés ont toutefois intérêt à vérifier que le franchiseur fait bien de ce site un outil au service de tout le réseau.

      Franchise-e-commerceC’est une évidence : la mise en place d’un site internet marchand est devenue indispensable à la quasi-totalité des chaînes de franchise.

      Pourtant, comme le constate Rozenn Perrigot*, enseignante et chercheuse auteur de plusieurs études et articles sur le sujet, « des résistances demeurent dans les plus anciens réseaux ». Et parfois, « la mise en place du e-commerce par l’enseigne manque de transparence et de communication en interne, ce qui peut générer des tensions et même avoir un impact sur les ventes. »

      « Le site marchand de l’enseigne ne doit pas inciter les consommateurs à se servir du  magasin franchisé uniquement comme d’une vitrine, une cabine d’essayage ou un lieu de click and collect », avertit pour sa part Maître Charlotte Bellet (cabinet BMGB), avocate de nombreux franchisés.

      Sans être opposée à utiliser Internet, au contraire, elle plaide pour la préservation des magasins : « Certains franchiseurs ont tort de se rêver en petits Amazon et d’aspirer à la disparition de leur réseau. Les magasins suscitent des envies, créent des besoins, nous permettent d’essayer, de toucher, de goûter, d’acheter ce à quoi nous n’avions pas pensé alors que sur Internet nous avons tendance à toujours rechercher les mêmes produits ».

      Et elle résume : « Dans un réseau de franchise, on ne peut pas se passer aujourd’hui d’un site internet marchand, mais on ne peut pas non plus se passer des magasins franchisés. »

      Quelle rétribution pour les franchisés ?

      Pour éviter les tensions dans le réseau à propos d’Internet, tout dépend d’abord de la manière dont est réparti le chiffre d’affaires réalisé par le site.

      Depuis une décision de la Cour de cassation de 2006, on sait que l’ouverture d’un site marchand par la marque n’est pas assimilable à l’implantation d’un magasin concurrent sur  la zone d’exclusivité du franchisé. Le franchiseur peut donc vendre en ligne ses marchandises ou ses services directement à tous les consommateurs, y compris aux fidèles clients de ses partenaires et garder pour lui le chiffre d’affaires ainsi réalisé. C’est parfaitement légal.

      «Dans les faits, de plus en plus de franchiseurs mettent en place un système de rétribution des franchisés » relève Rozenn Perrigot. « C’est même une des clés pour maintenir la cohésion du réseau », souligne l’universitaire qui en recommande le principe, même si elle n’a pas de pourcentage à conseiller car « tout dépend du secteur d’activité, de l’historique de la chaîne, etc. »  Une chose est sûre pour elle : « cela permet de motiver les franchisés et  d’éviter que se creuse un fossé entre les magasins physiques et les ventes par Internet ».

      Me Charlotte Bellet, avocate des franchisés, Cabinet BMGB« En cas de vente en ligne à un client situé sur le territoire protégé du franchisé, il est normal que le franchiseur prenne sa marge, mais pas plus.»

      Maitre Charlotte Bellet, avocate des franchisés, cabinet BMGB

      Maître Charlotte Bellet se fait plus précise : « Si une vente s’effectue via le site internet marchand de l’enseigne pour un client situé sur le territoire protégé du franchisé, il est normal que le produit en soit partagé. Le franchiseur prend la marge – par exemple 30 % – qu’il aurait perçue s’il avait vendu la marchandise à son partenaire auquel reviennent les 70 % restants. Un montant sur lequel celui-ci paiera sa redevance comme sur l’ensemble de son chiffre d’affaires. Il s’agit tout simplement d’appliquer à la vente sur Internet la logique du magasin et tout le monde est gagnant. »

      C’est d’autant plus légitime selon la spécialiste quand le franchisé s’acquitte, comme c’est presque toujours le cas, d’une redevance de communication qui sert entre autres à couvrir en partie les frais de fonctionnement du site marchand de l’enseigne.

      Quelle rémunération pour le click and collect ?

      E-commerceA l’inverse, certains franchiseurs et leurs avocats estiment qu’une rémunération conséquente n’est pas nécessaire puisque le simple fait d’aiguiller à partir du site de la chaîne les clients vers les points de vente pour du click and collect permet aux franchisés de générer du chiffre d’affaires additionnel.

      « Ce discours » qu’elle « entend depuis 10 ou 15 ans » fait « toujours un peu sourire » l’universitaire, car « c’est facile à dire, mais la réalité est souvent différente. Le client peut ne pas vouloir effectuer d’achat supplémentaire et la force de vente peut ne pas être disponible, surtout en cas de foule et de file d’attente ».

      L’avocate confirme. « Les franchisés me le disent : les gens viennent en coup de vent et attendent le nez sur leur téléphone sans un regard pour le magasin. La majorité ne fait pas d’achats complémentaires, ce n’est pas vrai », relève Charlotte Bellet pour qui le click and collect est trop peu rémunéré par les franchiseurs (un euro par pièce souvent).

      « Or c’est une vraie contrainte pour le franchisé : il faut manipuler, trier les cartons, immobiliser une partie de sa réserve, gérer à la fois le client web et celui qui se déplace dans le point de vente et s’attend à être prioritaire. Cela prend beaucoup de temps », insiste l’expert.

      Pour elle, la gestion des colis mérite d’être mieux indemnisée : « quand le franchiseur s’en charge pour les clients du franchisé, il prend une commission bien supérieure. Les rémunérations du franchisé et du franchiseur devraient être au même niveau. »

      Prix de vente et promotions : veiller à l’équilibre

      Autre sujet de discorde possible : les prix de vente pratiqués sur le site. Le franchiseur peut parfaitement y proposer ses produits moins cher que dans les magasins franchisés et même offrir la livraison. C’est reconnu par la jurisprudence.

      « Si l’on conçoit la franchise comme une collaboration sur le long terme, on peut s’interroger sur cette pratique. Avec de tels choix de positionnement prix, on risque d’augmenter la probabilité de générer tensions et conflits », avertit Rozenn Perrigot.

      « Aujourd’hui avec le développement des smartphones, la facilité et la vitesse avec laquelle le consommateur peut comparer les prix pendant l’acte d’achat lui-même, jusque dans la cabine d’essayage, peuvent impacter les ventes », poursuit la spécialiste.

      Rozenn Perrigot, Professeur des Universités et Directrice du Centre sur la Franchise & le Commerce en Réseau, IGR-IAE Rennes« Les clients ne comprennent pas que les prix ne soient pas les mêmes dans le point de vente et sur le site de l’enseigne. Il faut de la cohérence. »

      Rozenn Perrigot,  universitaire spécialisée en franchise

      Et elle ajoute : «  les clients dans leur majorité ne savent pas comment fonctionne la franchise, ne savent pas que le franchisé est un commerçant indépendant qui gère lui-même sa politique tarifaire. Ils ne comprennent pas que les prix ne soient pas les mêmes dans le point de vente et sur le site de l’enseigne. Parfois ils exigent que le commerçant s’aligne sur le prix affiché en ligne ! »

      Pour maître Charlotte Bellet, la pratique des prix inférieurs sur le site marchand du franchiseur est tout simplement « inacceptable ». « A minima, les promotions proposées via Internet doivent être les mêmes que dans les magasins du réseau et, pour être mises en place, obtenir l’accord d’une majorité de franchisés. Il faut que le consommateur puisse trouver la même proposition partout et que tout soit clairement indiqué sur le site, de manière à inciter les clients à se rendre chez les franchisés. Ces dispositions doivent être prévues par le contrat de franchise. »

      Pour Rozenn Perrigot aussi, « il faut harmoniser », car « les différences de promotions entre les deux canaux de distribution ne peuvent que renforcer l’incompréhension des franchisés. On ne peut pas approuver ce manque de cohérence. »

      Plateformes de livraison : attention au calcul des redevances

      Attention lorsque l'activité du franchisé dépend d'une plate-forme de livraison.Les deux spécialistes se retrouvent également pour s’opposer au prélèvement de certaines redevances. Dans la restauration rapide par exemple, les enseignes ont de plus en plus souvent recours aux plateformes de livraison du type Deliveroo. Celles-ci versent au franchisé le produit de la vente, somme sur laquelle s’applique la redevance.

      Le franchiseur le justifie en avançant que, sans la plateforme, ce chiffre d’affaires n’aurait jamais été engrangé par le franchisé. Or, celui-ci doit reverser souvent 25 % voire 30 % au spécialiste de la livraison.

      Pour l’avocate, « cette commission  n’entre pas dans le chiffre d’affaires du franchisé et ne peut dès lors entrer dans l’assiette de calcul de la redevance ». Elle invite donc les franchisés à ne pas l’accepter, d’autant que cette part de leur activité est en pleine croissance.

      L’universitaire approuve : « Ce prélèvement supplémentaire effectué sur une somme versée à un prestataire extérieur est-il nécessaire et utile ? Dans la majorité des restaurants, cela entraîne des conséquences financières dommageables. Il ne faut pas étouffer les franchisés ! ».

      Fichier-clients : ce à quoi il faut veiller

      Dernier point de vigilance pour les candidats à la franchise : la question du fichier-clients. Les franchiseurs demandent souvent au franchisé de mettre le sien à leur disposition afin de réaliser des opérations promotionnelles. Mais cela permet aussi à la tête de réseau si elle le souhaite d’en profiter pour inciter les clients potentiels à passer leur commande sur Internet.

      « La jurisprudence dit que le fichier-clients appartient aux deux parties, reconnaît Maître Bellet. Là aussi il faut au moins veiller à ce que le franchiseur ne puisse pas proposer de promotion sur son site seul, mais qu’il prévoit la même dans les magasins franchisés et qu’il l’indique clairement dans sa communication, toujours dans une même logique de loyauté et d’équilibre. Et je conseille aux candidats à la franchise d’exiger que ces précisions figurent dans leur contrat. »

      Pour le fichier-clients comme pour le reste, « tout dépend de la philosophie du franchiseur, résume Rozenn Perrigot, c’est-à-dire du niveau de transparence, de bonne foi, de sincérité que l’on constate globalement dans ses relations avec les franchisés. Si l’on se trouve en présence d’une logique de court terme privilégiant le gain financier, c’est risqué pour celui qui rejoint l’enseigne. Si l’on s’inscrit au contraire dans ce que devrait être la franchise, à savoir un partenariat gagnant-gagnant sur le long terme, c’est différent. D’autant que le franchiseur peut disposer du temps et des compétences techniques nécessaires, ce qui n’est pas forcément le cas du franchisé. »

      Au candidat ainsi averti de bien choisir.

      *Rozenn Perrigot est Professeur à l’Université de Rennes 1 (IGR-IAE Rennes et CREM-CNRS) et Professeur Affilié à Rennes School of Business.