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      Franchise : attention aux promesses de livraison « clés en main » ! - Brève du 16 février 2022

      Brève
      16 février 2022

      Un ex-franchisé estimait avoir été trompé sur la rentabilité de son projet et sur la promesse d’une livraison « clés en mains » de son restaurant. Il est très sévèrement condamné en appel à verser plus de 1,5 M € à son ancien franchiseur.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Montpellier vient, le 16 décembre 2021, de débouter et condamner très sévèrement un ex-franchisé qui s’estimait pourtant à double titre victime de son franchiseur.

      Il lui reprochait ainsi de l’avoir délibérément trompé sur la rentabilité de son projet en lui ayant transmis un prévisionnel « exagérément optimiste et irréaliste »

      La cour se débarrasse rapidement de cette première accusation. Certes, un DIP (Document d’information précontractuel) a été remis au futur franchisé le 31 octobre 2007 et il était accompagné d’une « étude de site » d’un cabinet spécialisé concluant (quoiqu’avec quelques réserves) à l’attractivité du quartier. Mais le prévisionnel établi par le franchiseur et mis en cause par le franchisé est quant à lui daté du 16 février 2009. Or, le contrat de franchise a été signé le 20 mars 2008, soit onze mois plus tôt.

      Pour les magistrats, le consentement du franchisé au moment de la signature n’a donc pas pu être vicié par les prévisions ultérieures du franchiseur. Il n’y a pas lieu de considérer le contrat comme nul, ni d’accorder au franchisé les 200 000 € d’indemnité qu’il réclame en compensation du préjudice subi. Les juges rappellent qu’il appartenait au futur franchisé de faire réaliser lui-même un compte d’exploitation prévisionnel avant de conclure son contrat.

      Travaux défectueux : à qui la faute ?

      Mais ce n’est pas tout. Le litige porte aussi et presque même surtout sur l’exécution des travaux de mise en état du restaurant. Ils font l’objet d’un procès-verbal de réception avec réserves le 25 mars 2009, soit un an après la signature du contrat. Des travaux d’agencement défectueux, à propos desquels un rapport d’expert demandé par la justice mentionnera une « confusion totale du chantier ». 

      En effet, des problèmes structurels, de solidité des planchers notamment, ont surgi au cours même de l’aménagement de ce rez-de-chaussée d’immeuble entraînant un retard de livraison conséquent, plusieurs mois de fermeture de l’établissement et des frais supplémentaires. Alors que, selon le même expert, ces difficultés auraient pu et auraient dû être prévenues par les entreprises intervenantes largement en amont.

      Résultat, selon le franchisé, un démarrage chaotique de son activité et un financement devenu « impossible » de son projet qui l’ont amené à brader son fonds de commerce le 30 juin 2011 pour 1,3 M€ alors qu’il aurait valu normalement 2 M€.

      Pour le franchisé, qui s’attendait à une livraison « clés en mains » de son restaurant, le franchiseur est entièrement responsable de ce fiasco. Il lui réclame donc 700 000 € pour compenser son manque à gagner.

      Pas au franchiseur, estime la cour d’appel

      Ce n’est pas du tout l’avis de la cour d’appel de Montpellier. D’abord parce que, relève-t-elle, ni le contrat de franchise litigieux, ni le DIP, ni le manuel opératoire ne prévoient de livraison « clés en mains » du restaurant par le franchiseur. Seul « le DIP évoque simplement cette hypothèse si le franchisé y consent ».

      Par ailleurs, le contrat précise que, si « le franchisé a l’obligation de respecter des standards et des normes de localisation et de présentation » définis dans le manuel remis lors de la signature du contrat, le franchiseur lui n’a « nulle mission de vérifier la conformité des travaux aux règles de l’art ou à la réglementation en vigueur ».

      Les articles suivants indiquent encore que le franchisé « procèdera à ses frais et sous sa responsabilité à la réalisation des travaux de présentation extérieure et des agencements  (…), qu’il sera libre du choix des prestataires de services », même si le franchiseur pourra lui adresser « quelques conseils ou recommandations relatifs à certains prestataires ». Un franchiseur qui se bornera à « assurer la conformité des plans et des maquettes aux exigences de son concept ».

      Pour les juges, c’est le franchisé qui était maître d’ouvrage

      A business woman shows where to sign

      Pour les magistrats, il ressort du contrat que le franchiseur « assistait simplement l’aménageur dans le cadre du chantier afin d’assurer l’homogénéité de son réseau ». « Il n’est pas démontré, ajoute la cour, qu’une mission d’ouvrage déléguée ait été acceptée par le franchiseur, ni qu’une mission de contrôle du chantier lui ait été dévolue (par le franchisé) ».

      En revanche, le franchiseur « a été mandaté par le franchisé pour effectuer toutes les démarches administratives, conclure les contrats avec les différentes entreprises, signer le procès-verbal de réception et procéder ou non au règlement des sommes dues. »

      Conclusion de la cour : c’est bien le franchisé qui avait qualité de maître d’ouvrage, l’entreprise chef de file celle de maître d’œuvre. Contrairement à ce qu’avait jugé en première instance le tribunal de commerce, le franchiseur n’était ni l’un ni l’autre. Le franchisé se voit donc débouté de sa demande d’indemnisation à hauteur de 700 000 €.

      Ayant vendu son fonds sans l’accord de son franchiseur, sa rupture du contrat est fautive

      Mais le glaive de la justice va frapper encore plus fort. Pour les magistrats, dans la mesure où il a été démontré que le consentement du franchisé n’avait pas été vicié et que « les problèmes survenus dans l’exécution des travaux ne peuvent être imputés au franchiseur », la rupture unilatérale du contrat par le franchisé lors de la cession de son fonds de commerce est fautive.

      Par ailleurs, une clause intuitu personae précisait que le franchisé ne pouvait pas céder son affaire sans l’accord du franchiseur. Et qu’en cas de non-respect de cette clause, une indemnité ne pouvant pas être inférieure à 75 % du prix de la cession litigieuse serait due.

      Appliquant strictement cette clause pénale alors qu’ils ont en principe le pouvoir de la modérer, les juges condamnent le franchisé à verser à son ex-franchiseur la somme de 975 000 € (75 % de 1,3 M€).

      975 000 € pour avoir vendu son fonds et plus de 340 000 pour avoir rompu son contrat

      Par ailleurs, le plaignant est condamné à verser près de 190 000 € de factures impayées (dont des redevances), 48 000 € pour ne pas avoir restitué en fin de contrat le manuel opératoire, les documents fournis et les signes distinctifs de l’enseigne et plus de 340 000 € de redevances qui auraient dû être réglées si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme, soit 82 mois à plus de 4 000 € (en raison de la rupture anticipée et non justifiée du contrat).

      Et si la société chef de file des travaux est condamnée à verser au franchisé 113 000 € en indemnisation des pertes d’exploitation liées au retard du chantier, le franchisé doit aussi s’acquitter à son égard de plus de 60 000 € au titre du solde des travaux modificatifs et complémentaires réalisés mais non encore payés.

      Au total, le franchisé est condamné à plus d’1,5 M€. L’addition est particulièrement salée.

       

      NB. Pour information, l’enseigne concernée ne franchise plus. Après avoir compté une trentaine d’établissements en 2010 et plusieurs procédures contre d’ex-franchisés, souvent gagnées mais pas toujours, elle n’aligne plus que quatre restaurants sur son site Internet et ne semble pas financièrement au meilleur de sa forme.

       

      Référence de la décision :

      Cour d’appel de Montpellier, 16 décembre 2021, n°16/08865, 17/00837 et 17/00650

      -Lire aussi sur le sujet :

      L’analyse de Maître Karine Blancone, avocat à la cour, dans le numéro de janvier 2022 de la Lettre de la distribution