Une franchisée reproche à son ex-franchiseur – et ex-compagnon – de l’avoir trompée sur l’état réel du réseau lors de la signature de son contrat. Le franchiseur accuse en retour son « ex » de rupture abusive et de comportement parasitaire. La cour d’appel rend, dans ce litige aux dimensions singulières, un arrêt équilibré.
C’est l’histoire d’une rupture qui se passe mal. Dans ce litige, le contrat est signé en mars 2014 pour une durée de 6 ans. Mais l’activité et la rentabilité ne sont pas au rendez-vous. Le chiffre d’affaires de la franchisée est inférieur aux prévisions de 20 % la première, puis de 50 % la seconde année.
Fin décembre 2015, elle résilie le contrat et, comme celui-ci le lui permet – car il ne comporte pas de clause de non-concurrence post-contractuelle – elle poursuit son activité dans les mêmes locaux sous sa propre enseigne, créée pour l’occasion.
Le franchiseur estime pour sa part que la rupture est abusive et réclame diverses sommes d’argent impayées selon lui. Puis, considérant que son ex-franchisée copie purement et simplement son concept et continue d’utiliser son savoir-faire, il obtient en justice qu’un huissier puisse le constater. L’affaire se corse dans la mesure où le franchiseur était le compagnon de la franchisée lorsque celle-ci, sans emploi et en charge de trois enfants, a signé son contrat.
Pour la cour, le franchiseur a trompé son ex-franchisée sur l’état réel de son réseau
Sollicitée, la cour d’appel d’Angers prononce, à la demande de la franchisée, la nullité du contrat. Pour les magistrats, le franchiseur a trompé la future signataire sur l’état réel de son réseau.
Dans le DIP (Document d’information précontractuelle) qu’il lui a remis, il signalait la reprise en janvier 2013 de trois filiales dont il indiquait seulement la localisation. Or il s’agissait de trois unités franchisées que le franchiseur avait rachetées parce qu’elles étaient en difficulté.
En outre, elles constituaient les seules unités franchisées que le réseau, lancé en 2010, avait compté jusqu’ici. Trois points de vente sur treize au total pour cette enseigne.
Comme ces entités avaient cessé d’exploiter le concept sous la forme de la franchise en 2013, soit dans l’année précédant la délivrance du DIP, ces explications auraient dû figurer dans le document transmis.
Pour les juges, « le seul fait que la franchisée avait entretenu des relations personnelles avec le dirigeant de la franchise et partagé durant un an le quotidien avec lui ne (prouve pas) qu’elle connaissait parfaitement avant de s’engager les conditions d’exploitation de toutes les agences (…) »
Le franchiseur est condamné à rembourser 20 000 € de droit d’entrée et redevances
Par ailleurs le projet de contrat annexé au DIP mentionnait que l’entreprise du franchiseur « continuait son expansion dans toute la France, au travers de son réseau de franchisés ».
Pour la cour d’appel d’Angers, cette présentation était « révélatrice d’une volonté (…) de dissimuler à (la plaignante) le fait que, loin d’être en expansion, le réseau de franchisés était en fait inexistant suite à la disparition de (ses trois) exploitants». Lesquels avaient abandonné l’enseigne 18 mois seulement après le début de leur activité.
Ces informations étant « de nature à remettre en cause aux yeux de la candidate la viabilité de l’exploitation sous la forme qu’elle s’apprêtait à adopter », celle-ci a été abusée. Le dol est caractérisé et le contrat annulé.
La société du franchiseur est condamnée à rembourser à la société franchisée le montant du droit d’entrée et des redevances versées pendant le contrat, soit un peu plus de 20 000 €. Car, bien que le franchiseur explique que c’est lui qui a payé ces sommes en réalité, puisqu’il a avancé l’argent à sa compagne, les juges se prononcent au vu des factures acquittées de la société franchisée produites au procès.
La cour écarte les autres demandes d’indemnisation de la franchisée
La cour rejette en revanche la demande de remboursement de son emprunt formulée par la franchisée puisqu’il était destiné à un équipement matériel qu’elle a conservé.
Les magistrats écartent également la condamnation du franchiseur au titre du manque à gagner constaté entre les prévisions transmises et la réalité.
Motif : « la franchisée ne saurait solliciter en même temps la nullité du contrat (désormais réputé n’ayant jamais existé) et prétendre à des dommages et intérêts (destinés à compenser) la perte des gains attendus de l’exploitation (…) non réalisée ».
Ils refusent – pour la même raison de disparition du contrat – l’indemnisation du préjudice moral qu’elle réclamait en compensation des « tracas subis depuis cinq ans »…
La franchisée est condamnée à 20 000 € pour comportement parasitaire
Dans son arrêt du 24 avril 2022, la cour d’appel d’Angers condamne par ailleurs la franchisée pour comportement parasitaire.
Au vu du constat d’huissier d’octobre 2016, la cour considère que son point de vente « présentait une similitude parfaite » avec celui d’une agence (du réseau qu’elle a quitté). » « La seule modification de la couleur des meubles ou des peintures des locaux ne pouvant suffire à remettre en cause (…cette) impression d’ensemble ».
Pour les juges, « ces agissements fautifs ont privé le franchiseur d’une valeur économique », même s’il « n’est pas prouvé que cela l’aurait obligé à renoncer à tout projet d’implantation de son enseigne dans la zone géographique ».
Le préjudice moral subi par la société du franchiseur est estimé par la cour à 20 000 €.
Les magistrats écartent toutefois la publication de sa décision dans la presse locale, réclamée par le franchiseur, dans la mesure où la société franchisée est en liquidation judiciaire depuis novembre 2019.