Conseil exclusif des franchiseurs, Cécile Peskine rappelle les règles et les bonnes pratiques à respecter lorsque le chef de réseau ne veut pas renouveler le contrat. Elle indique jusqu’où il est possible de négocier avec un franchisé et comment s’y prendre.
Je conseille aux franchiseurs de se montrer ouverts lors du renouvellement du contrat.
Quelle est aujourd’hui selon vous la pratique la plus répandue en matière de renouvellement du contrat de franchise ?
Le plus souvent, au terme du contrat, on se remet autour d’une table. Car depuis 3 ou 5 ans ou davantage, il s’est passé pas mal de choses dans la relation entre le franchiseur et le franchisé, dans la vie du réseau ; le contrat lui-même a évolué, etc. Mais attention, il n’y a pas toujours de négociation. Parfois le franchiseur demande simplement au franchisé s’il accepte de signer le nouveau contrat en vigueur dans le réseau.
Pourquoi la tacite reconduction n’est-elle pas davantage utilisée par les franchiseurs ?
Il y a 20 ans, c’était encore assez courant. A l’époque on n’avait pas de système d’alerte pratique pour indiquer que tel contrat allait arriver à son terme dans un an par exemple. Mais depuis une dizaine d’années, les choses ont changé. Et puis les contrats évoluent beaucoup en liaison avec les innovations technologiques. Les franchiseurs ne veulent donc pas être obligés de poursuivre la relation en subissant de fait un carcan désuet. Maintenant le renouvellement expresse a pris la place du renouvellement tacite. Néanmoins certains franchiseurs ont conservé ce mode parce qu’ils ont beaucoup de franchisés ou que leur contrat est stable.
« Pour ne pas renouveler, il faut avoir de vrais motifs »
Quand, selon vous, un franchiseur doit-il prendre la décision de ne pas renouveler un contrat et comment doit-il procéder ?
C’est vrai que la situation n’est pas très simple : on divorce et en même temps on continue à cohabiter. Au minimum, un délai de prévenance est à prévoir. Généralement sur le plan contractuel, il est de six mois. Mais au-delà, si l’on veut éviter de tomber sous le coup de la rupture brutale de la relation commerciale sanctionnée par la loi (Code de commerce), on sait que six mois sera une période trop courte si on est ensemble par exemple depuis 10 ans ou plus. Donc par prudence, mieux vaut prévoir 12 mois et si l’on veut être totalement blanchi, le délai à respecter si l’on est sûr de ne pas renouveler le contrat, c’est 18 mois.
Ne pas renouveler le contrat d’un franchisé ou de plusieurs peut être mal vécu par les autres membres du réseau, c’est une décision délicate sur le plan stratégique ?
En général, si on en est là, c’est que l’on a pris acte que la relation n’apportait plus grand-chose. On a aussi un franchisé qui n’est lui-même pas enjoué, la relation est tendue voire catastrophique. Ou bien on a un franchisé qui décide de rechercher un repreneur pour faire valoir son droit à la retraite ou simplement pour vendre son affaire. Pour ne pas renouveler, il faut avoir de vrais motifs. Mais cela reste un épisode de la relation entre le franchiseur et un franchisé, il est rare que cela entraîne des remous dans le réseau.
Dans le cas d’un multifranchisé, ne pas renouveler l’un de ses contrats peut ouvrir un conflit sur ses autres points de vente…
En effet, c’est pourquoi il faut trouver une solution, sinon on devient schizophrène. Généralement on essaie de se mettre d’accord sur la résiliation de tous les contrats à la même date. C’est pourquoi il peut être utile de prévoir un alignement des termes. Les contrats sont alors considérés comme interdépendants : la fin de l’un entraîne la fin des autres. Les franchiseurs ne s’emparent pas spontanément de cette solution. Mais ceux qui ont un peu d’expérience en la matière l’adoptent !
« On peut négocier, même avec un « enquiquineur » dont on ne veut pas forcément se séparer. »
Selon vos confrères avocats de franchisés, certains franchiseurs profitent du renouvellement du contrat pour, par exemple, diviser par deux voire plus la zone d’exclusivité concédée initialement et/ou augmenter, voire doubler la redevance franchise, etc. Quelles sont à votre avis les bonnes pratiques ?
Rares sont les franchiseurs qui ont ces idées-là. Ce n’est pas très commercial ! Ce qui se fait en revanche c’est, par exemple, de prévoir une redevance communication alors que ce n’était pas le cas avec le contrat initial. Parce que le réseau a grandi, parce que l’on a maintenant une vraie démarche de communication nationale.
Bien sûr, le renouvellement peut être l’occasion aussi d’aligner les conditions financières du contrat sur le reste du réseau, mais il est compliqué de faire passer un franchisé, par exemple, de 4 à 6 % de redevances…
Sur la réduction de la zone d’exclusivité, c’est possible, mais seulement à la marge. Et il faut envisager une contrepartie. A un franchisé qui aurait par exemple une exclusivité sur deux arrondissements de Paris, disons le 9e et le 10e, on peut toujours lui annoncer qu’il garde le 9e – le seul qu’il exploite vraiment – et qu’il sort du 10e pour lequel on a un candidat, mais on lui garantit alors un droit de priorité sur le 11e qui reste à prendre. C’est un élément psychologique très important.
Le renouvellement ouvre encore la possibilité de faire adopter par le franchisé tout l’écosystème digital du réseau : logiciels de caisse, de gestion des stocks, de commandes, de planning du personnel, etc. Les franchisés historiques n’ont pas eu cette obligation à l’époque où ils ont signé.
On peut en profiter enfin pour demander au franchisé de moderniser la décoration de son point de vente.
Dans les faits, les franchiseurs ouvrent-ils vraiment aux franchisés la possibilité de renégocier leur contrat ou bien seulement celle de s’aligner sur le contrat en cours dans le réseau au moment du renouvellement ? Bref, une sorte de « c’est à prendre ou à laisser » ?
Quand un franchisé détient un emplacement que le franchiseur ne veut pas perdre, cela le place en position de force pour négocier. C’est le cas souvent des multifranchisés. En revanche, si l’emplacement n’intéresse que moyennement le franchiseur, les choses sont différentes. C’est aussi une question de profil. Mais on peut négocier, même avec un « enquiquineur » dont on ne veut pas forcément se séparer.
« Un franchisé peut demander à s’engager par exemple, pour l’avenir, sur un contrat plus court »
Qu’est-ce qu’un franchisé peut vraiment négocier selon vous lors du renouvellement de son contrat ? La durée ? Le montant de la redevance ?
Le franchisé peut demander à s’engager sur un contrat plus court, voire sur un contrat à durée indéterminée, qui ouvre la possibilité de s’interrompre à tout moment. On rencontre ce cas de figure.
Sur la redevance, bien sûr, le franchisé peut considérer, vu sa réussite, qu’il est hors de question pour lui de payer plus cher. Mais les enseignes sont très fermées sur ce point, sauf exception.
Le partage du résultat des ventes réalisées sur Internet peut-il constituer un sujet ?
Dans ce domaine, chaque enseigne a son mode de fonctionnement. Et tout va dépendre si le stock à partir duquel les ventes ont lieu appartient au franchiseur ou aux franchisés. Dans le premier cas, il n’y aura pas de négociation. Dans le second, peut-être. Il y a aussi dans la restauration rapide le cas des franchisés qui demandent que la redevance d’enseigne ne soit pas prélevée sur la part de leur chiffre d’affaires réalisée grâce aux sociétés de livraison qu’ils rémunèrent. Mais dans tous les cas, s’il y a une discussion, elle aura lieu au niveau de l’ensemble du réseau. Ce sera compliqué pour un franchisé d’obtenir individuellement une modification des règles.
« Fournir une explication en cas de non-renouvellement ? Oui, à l’oral, c’est la moindre des courtoisies ! »
Combien de temps peut durer la négociation du nouveau contrat ?
Le couperet, c’est la date d’échéance du contrat initial. Il ne faudrait pas aller au-delà. Sinon on entre dans une logique de tacite reconduction et de durée indéterminée du contrat.
Ce que je conseille aux franchiseurs afin d’éviter les surprises, c’est d’envoyer au franchisé concerné un courrier ouvrant la discussion accompagné du DIP à jour et d’arrêter avec lui un plan de rencontres en précisant la date avant laquelle il faudra avoir signé.
Le franchisé qui renouvelle son contrat doit-il payer en totalité ou en partie un nouveau droit d’entrée dans le réseau ?
La plupart des franchiseurs ne font pas repayer un droit d’entrée à 100 %, notamment parce qu’il n’y a pas à couvrir à nouveau les frais de la formation initiale. Le droit de renouvellement est en fait un droit d’entrée minoré, souvent à 50%, parfois avec un accord qui prévoit que l’argent sera réinjecté en dépenses de communication sur le point de vente (participation à un événement type anniversaire).
Le franchiseur qui refuse le renouvellement à un franchisé ne devrait-il pas être tenu de fournir au moins une explication, voire de verser une indemnité au franchisé quand celui-ci n’a pas commis de faute ?
Une explication ? Juridiquement, non. Mais humainement ou commercialement parlant : oui, à l’oral, c’est la moindre des courtoisies. Mais je déconseille aux franchiseurs de motiver les courriers de non-renouvellement : cela pourrait faire jurisprudence.
Quant à verser une indemnité, non ! C’est l’essence même du contrat de franchise et ce qui le distingue des contrats d’agents commerciaux. Le franchisé a pu et su créer un fonds de commerce dont on ne le dépossède pas. Il n’y a donc pas lieu de l’indemniser. Il n’y a d’ailleurs pas de jurisprudence là-dessus. Bien sûr, en cas de résiliation anticipée négociée, si on veut sortir un franchisé du réseau avant le terme de son contrat, il peut y avoir versement d’une indemnisation. Mais c’est un cas particulier.
« Il faut conserver pour les deux parties au contrat la liberté de ne pas le renouveler. »
Quand le contrat d’un franchisé n’est pas renouvelé, celui-ci est en général soumis à une clause de non-concurrence ou de non-affiliation post-contractuelle qui peut le « coincer », comme on a pu le voir dans le conflit Foncia. Quand le franchiseur ne renouvelle pas un contrat et que le franchisé n’a pas commis de faute, ces clauses ne devraient-elles pas être levées par la tête de réseau ?
Cela peut constituer une solution en effet et faire l’objet d’un protocole d’accord, mais seulement si le franchisé s’engage à descendre proprement l’enseigne, à faire en sorte que son point de vente ne ressemble pas à ce qu’il était avant et dès lors qu’il ne rejoint pas un réseau concurrent avant un an dans ses locaux. C’est vrai qu’il y a là une contrainte pour le franchisé mais c’est la contrepartie de la transmission d’un savoir-faire. En la matière, je conseille aux franchiseurs de se limiter à une clause de non-réaffiliation.
Ne faut-il pas ouvrir un droit au renouvellement à condition que le franchisé ait respecté le concept et les obligations du contrat initial ?
En négociation, cela peut arriver dans le cas d’un contrat de masterfranchise par exemple où le niveau de l’investissement nécessite un développement plus long que la durée du contrat initial, même s’il est de 10 ans. Et bien entendu, il faut comme vous l’avez dit que le franchisé ait respecté le concept et toutes ses obligations contractuelles, qu’il soit à jour de tous ses paiements, etc. En revanche, aller jusqu’à l’inscrire dans le contrat et faire que cela devienne intangible, non. Cela reste un mariage. Il ne faut pas forcer les parties à rester ensemble. Parfois, on peut avoir un franchisé qui respecte le concept mais avec lequel les relations ne sont pas bonnes parce qu’il n’y a pas d’envie. Il faut conserver pour les deux parties la liberté de ne pas renouveler.
« Franchiseurs : en cas de renouvellement, soyez ouverts, faites preuve de nuance et récompensez la fidélité »
Sur toutes ces questions, quels conseils donnez-vous aux franchiseurs ?
Ils doivent d’abord anticiper, c’est-à-dire mettre en place des systèmes d’alerte quant aux périodes de dénonciation-négociation des contrats. Ensuite faire partir des courriers formels. S’ils savent qu’ils ne veulent pas renouveler : ils doivent prévenir suffisamment longtemps à l’avance et s’ils souhaitent renouveler, je leur conseille de se montrer ouverts, de ne pas se placer dans le « tu prends ou tu prends pas », de faire preuve de nuance et enfin de récompenser la fidélité.
Et vos conseils aux franchisés ?
Même chose quant aux alertes. Mais aussi et surtout, je leur recommande de bien relire leur contrat. Souvent quand on arrive près du terme, on a oublié ce que l’on a signé il y a quelques années. Or, il faut bien prendre en compte ce que prévoient exactement la ou les clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation post-contractuelles. De même bien mesurer quelles sont les exigences du renouvellement : s’il faudra par exemple simplement repeindre son local ou tout changer dans le point de vente…