Trois formes contractuelles offrent d’accéder à l’entrepreneuriat sous enseigne avec une capacité d’investissement limité, en abandonnant à la tête de réseau la propriété d’actifs : celle du fonds de commerce et/ou celle de la marchandise. Voire de permettre, à terme, de devenir franchisé. Explications.
Détention du fonds de commerce, sans le stock
Courante dans le prêt à porter, la commission-affiliation peut s’avérer intéressante pour un modèle économique avec un stock important, proposant une grande diversité de produits ou de collections (parfois lié à une saisonnalité). Comme la marchandise possède la particularité d’être portée par l’enseigne, le niveau d’apport personnel du candidat à la franchise diminue.
Cette forme contractuelle est d’ailleurs en développement chez les cavistes, comme en témoigne Antony Pereira, directeur général de La Vignery. « A l’origine, la commission-affiliation a été utilisée pour faciliter l’accession à l’entrepreneuriat pour des collaborateurs de l’enseigne, tels que des responsables d’unités. Traditionnellement, la banque finance le projet d’un franchisé, mais pas le stock, lequel nécessite un important besoin en fonds de roulement. Dans notre réseau, l’affilié se concentre ainsi sur l’expérience client, le réapprovisionnement étant géré de manière automatique. S’il ne peut choisir la gamme permanente proposée en magasin, six réunions commerciales par an organisées par nos acheteurs œnologues lui offrent en revanche de s’engager sur des volumes de vente, suite à cette dégustation. La commission-affiliation rend plus accessible notre modèle économique de vente au carton de bouteilles à des candidats à la franchise, avec un chiffre d’affaires moyen après deux ans d’activité quatre fois supérieur à la moyenne du marché ».
Toutefois, la commission-affiliation a un coût pour cette tête de réseau, de l’ordre de 150 à 250 000 € par projet de mise à disposition du stock selon la saisonnalité, et conditionne le rythme de développement, avec 3 magasins par an d’ici 2025.
« Si l’affilié est rémunéré via un pourcentage du chiffre d’affaires, en moyenne entre 30 et 45 % selon les secteurs, la tête de réseau concentre les pouvoirs concernant la gestion du stock, choisissant notamment le rythme des livraisons et la politique tarifaire », souligne Stéphanie Pizzutti, expert-comptable spécialisé en franchise au sein du groupe Fiducial.
« Cela nécessite notamment la mise en œuvre, par l’indépendant, des moyens nécessaires à la préservation du stock, contre la démarque inconnue, le vol ou encore les atteintes à la conservation des marchandises », ajoute Nicolas Nadal, avocat, fondateur du cabinet 17-77.
Les avantages stratégiques de la commission-affiliation représentent pourtant autant de risques potentiels. « À trop vouloir maîtriser les choses, la tête de réseau risque gros, notamment en cas d’immixtion trop grande dans les affaires de l’affilié ! Une certaine liberté, comme sur la fixation des prix ou des promotions, reste à maintenir au profit de l’indépendant distributeur », précise Charlotte Bellet, avocate associée du cabinet BMGB.
Se constituer un capital et se former à la gestion
Le même risque de requalification du contrat a longtemps pesé sur la gérance-mandat, utilisée dans l’hôtellerie, le textile et le discount. Dans ce contrat, le propriétaire du fonds de commerce (mandant) en confie la gestion à une tierce personne (gérant mandataire), mais pour son propre compte.
« La gérance-mandat, régie par le Code de commerce (articles L146-1 et suivants), présente des points communs avec un magasin intégré : la détention, par la tête de réseau, du fonds de commerce, de la marchandise et des recettes. En revanche, un quatrième item la différencie du salariat, empêchant la requalification en contrat de travail : il s’agit de l’indépendance du gérant dans la gestion de sa société, de son personnel, de ses charges, de ses prestataires et de ses conditions de travail », explique Nicolas Nadal.
Le mode de rémunération de la gérance-mandat reste attractif puisque proportionnel au chiffre d’affaires généré par le point de vente, généralement entre 11 à 15 %. « Cette forme contractuelle demeure ainsi un bon moyen de se constituer un capital et de se former à la gestion et l’animation d’un magasin de taille conséquente », reprend Nicolas Nadal.
De plus, le gérant mandataire ne supporte ni les investissements, ni le risque de défaillance de l’entreprise, même s’il ne perçoit qu’une partie des fruits de son labeur. Toutefois, même si le degré d’autonomie de l’indépendant reste toujours à examiner par l’intéressé, « la gérance-mandat permet de faire fructifier son fonds par l’intermédiaire d’un gérant qui, juridiquement indépendant, est censé échapper au droit du travail. Sauf si les sujétions du contrat sont trop lourdes, auquel cas le droit du travail peut retrouver vocation à s’appliquer… », rappelle Charlotte Bellet. « En cas de résiliation du contrat par le mandant, le gérant mandataire peut prétendre à une indemnité égale au total des commissions perçues sur les 6 mois précédant la résiliation – la totalité si moins de 6 mois – sauf conditions plus favorables », ajoute Stéphanie Pizzutti.
Boost : nom de code pour préparer la transition
Dans la location-gérance, le propriétaire d’un fonds de commerce, cède temporairement au locataire-gérant le droit d’exploiter librement le fonds à ses risques et périls moyennant le paiement d’une redevance. « Sans avoir préalablement constitué une clientèle, le locataire-gérant, certes responsable des dettes contractées, se familiarise avec l’exploitation et se constitue un capital permettant son acquisition. Ce type de contrat est généralement assorti d’une promesse de vente, laquelle sera levée ou pas », précise Stéphanie Pizzutti.
Dans l’enseigne de restauration traditionnelle Del Arte, près de 10% des sites fonctionnent actuellement en location-gérance, et chaque année, 4 à 5 locataires-gérants basculent en franchise, par rachat ou création d’un fonds de commerce.
« Les candidats à ce format sont de vrais professionnels de la restauration qui ne disposent pas du financement nécessaire au rachat ou à la création d’un établissement. L’objectif de ce système est de leur permettre, sous 3 à 4 ans, de compléter leur apport personnel, soit entre 150 et 250 000 €, dans le cadre d’un contrat adossé à un contrat de franchise, souligne Philippe Jean, directeur général de Del Arte. Après 15 à 18 mois de prise en main du restaurant avec des changements apportés dans le management, le locataire-gérant travaille sur l’ouverture ou la reprise d’un établissement dans sa troisième année. Nous préférons qu’il prenne en gérance un site existant avec une volumétrie importante pour dégager de la rentabilité opérationnelle et qu’il soit en mesure de s’installer sur un autre site. »
Au sein de Del Arte, tout collaborateur peut exprimer son intention de devenir locataire-gérant à 2 ou 3 ans : « Si son profil convient, il entre dans un programme de l’enseigne connu chez nous sous le nom de code « BOOST », explique Philippe Jean. Six à huit mois de formation, en interne comme en externe, lui permettent d’acquérir toutes les clés du fonctionnement de la partie administrative, gérée par nos services centraux et à laquelle il n’avait pas accès. Certains de nos locataires-gérants devenus franchisés sont des mentors pour les candidats à cette transition ».
Nouvel outil, fondé sur la prévisibilité du commerce
En pratique, de nombreux réseaux proposent toutefois cette combinaison entre franchises et locations-gérances. « La formule n’est viable que si elle est équilibrée par certaines clauses, comme celle de non-concurrence post-contractuelle, qu’il convient de négocier dès le départ. Et que d’autres éléments soient raisonnables, comme le loyer ou la durée du contrat », soulève Charlotte Bellet.
Autour du système de franchise, on continue à expérimenter des outils pour accéder, au sein d’un réseau, à une activité commerciale indépendante avec peu de capitaux initiaux.
« Depuis un an, plusieurs enseignes proposent un nouveau montage financier hybride pour créer un point de vente franchisé, baptisé « émergence », détaille Julien Siouffi, dirigeant de Franchise Board. Un fonds d’investissement, auquel est associé le franchiseur, crée une société dont le candidat à la franchise devient manager salarié et actionnaire minoritaire, et dispose dès son intégration dans le projet, d’un prix de rachat ferme, fixé par avance, grâce à la technique du Leveraged Management Buy-out (LMBO). Le flux comptable est externalisé et automatisé par le fonds d’investissement : le point de vente est piloté en temps réel à travers ses datas – ratios commerciaux, d’exploitation et financiers. La maîtrise du métier de franchiseur associée à la prévisibilité du chiffre d’affaires à travers ses ratios permet de transformer une offre de franchise en produit financier, avec un rendement établi d’avance ». Expérience à suivre, le candidat devant demeurer vigilant sur ses obligations de salarié « incubé », les modalités de fixation du prix de rachat ou encore son sort s’il est évincé pour manque de résultats.
Quelle que soit la forme contractuelle adoptée, dans cette quête d’indépendance avec peu de capitaux initiaux, « il importera de préserver la transparence sur les projets de chacun, permettant ainsi de s’accorder sur les attentes et ambitions respectives et sur leur transcription concrète. D’où la nécessité pour le candidat à l’enseigne de prendre le temps d’échanger longuement avec la tête de réseau. Le commerce ne fonctionnera que si l’un et l’autre sont épanouis dans le modèle proposé », conclut Nicolas Nadal.
Avis d’expert : « Penser à solliciter toutes les aides privées et publiques pour augmenter ses fonds propres »
Stéphanie Pizzutti, expert-comptable spécialisé en franchise au sein du groupe Fiducial
« Dans ces formes contractuelles, l’indépendant n’est pas maître à bord, ne percevant pas tous les fruits de son travail. L’affilié doit ainsi s’assurer que sa rémunération lui permette d’assumer l’intégralité des charges d’exploitation. Notamment dans le cas d’un jeune réseau. De son côté, il faut, pour le potentiel mandataire, auditer le fonds de commerce proposé au niveau de la rentabilité, comme s’il souhaitait l’acheter, et par la suite, optimiser ses charges, par exemple afin ne pas être en sureffectif.
Dans ce travail commun à tous d’élaboration d’un business plan, le locataire-gérant doit savoir que le propriétaire du fonds de commerce n’a pas l’obligation, comme lors d’une cession, de communiquer les chiffres d’affaires et bénéfices des 3 dernières années.
Enfin, dans ces trois formes contractuelles, l’indépendant doit penser à solliciter toutes les aides privées et publiques, comme celles du Pôle Emploi, pour augmenter ses fonds propres, voire dans un premier temps ne pas se verser de salaire pour mieux épargner son capital. »