Taux de crédit en hausse, inflation soutenue, coûts d’énergie voire de matières premières qui explosent… L’ambiance paraît morose pour obtenir son premier emprunt professionnel comme franchisé. Pourtant, des solutions, parfois nouvelles, existent. Explications.
Accord cadre pour l’énergie dans les grandes enseignes
Si la recherche d’un crédit professionnel s’est complexifiée dans l’environnement inflationniste actuel, elle a généré des dispositifs, des initiatives, un renforcement des règles de base à considérer dans le monde de l’entrepreneuriat en franchise.
Ainsi, « les grandes enseignes, notamment dans la boulangerie, les surgelés, l’hôtellerie ou le fast-food, ont négocié des tarifs avec les fournisseurs d’énergie avec des engagements longs, de 24 à 48 mois. Elles proposent à leurs franchisés un accord cadre, jusqu’à trois fois moins cher que le bouclier tarifaire imposé par le gouvernement, précise Laurent Delafontaine, associé-fondateur Axe Réseaux. De même, les coûts d’approvisionnement, en produits et matières premières, sont revisités, pris en partie à leur charge par les têtes de réseaux pour ne pas asphyxier leurs franchisés au niveau de leur marge, et préserver un prix tolérable par le consommateur ».
Certes, des secteurs restent en souffrance pour l’obtention d’un crédit bancaire, comme l’habillement (concurrence du marché de seconde main) ou la restauration assise, même si les confinements liés à la Covid semblent passés.
La conjoncture exige ainsi de devoir avancer des arguments jusqu’à présent inhabituels face au banquier. « Si, après avoir affiché des valeurs historiquement basses, les taux des crédits professionnels ont quadruplé en un an, de nouveaux mécanismes ont émergé, notamment face à la hausse des coûts de l’énergie, rappelle Stéphane Kirsch, associé Créditrelax (courtier en financement des entreprises). EDF a, par exemple, sorti un contrat adapté aux boulangeries et à leurs horaires de travail. Ou encore le ministre de l’économie a annoncé que les boulangers, une profession particulièrement touchée, pourront résilier sans frais de pénalités les contrats en cours et en renégocier un nouveau lorsque, comme il le précise, « les prix ont explosé de manière prohibitive et insupportable » ».
« De notre côté, comme lors des précédentes crises de 2008 et 2015, nous étayons la formation du chiffre d’affaires, notamment avec des commentaires intégrés au dossier de financement, poursuit Stéphane Kirsch. Par exemple, pour expliquer une hausse répercutée sur le prix de vente et comprise par le consommateur pour ne pas impacter négativement la marge du franchisé. C’est devenu déterminant aujourd’hui, pour tout chef d’entreprise, d’être briefé avant ses entretiens avec les banques, pour garder la tête froide, faire jouer la concurrence et rester conscient que sans écrit, pas d’accord formel. D’autant plus qu’il ne faut pas toujours croire ce qu’affirme, souvent de bonne foi, le conseiller professionnel en face de soi : il n’est ainsi pas forcément dans la vérité du marché quand il affirme que l’emplacement n’est pas bon ou que les travaux ne sont pas nécessaires à financer ».
Outils digitaux pour optimiser le prévisionnel
Au-delà de signaler les oublis (rarement anodins) de postes de charges, le rôle de l’expert(e)-comptable s’est consolidé notamment pour améliorer la rentabilité, la situation financière à présenter au banquier à travers le business plan. « Nous devons identifier, évaluer, quantifier les besoins en financement, selon un principe intangible, « ce qui n’est pas dépensé n’est pas à financer », face à un candidat entrepreneur généralement euphorique et enthousiaste au démarrage du projet, indique Noémie Hammoudi, expert-comptable chez KPMG France. L’établissement du business plan est un exercice pédagogique. Tous les postes sont appréhendés, notamment l’examen de la masse salariale. Dans ce contexte inflationniste, le dirigeant ne peut plus se contenter d’augmentations de 2 % d’une année sur l’autre. Nous évoquons aussi comment déterminer un prix, en particulier quand des événements extérieurs viennent écraser la marge. Enfin, nous proposons avec le banquier de réviser régulièrement le prévisionnel, souvent plafonné à 3 ans, en glissant d’une année tous les 12 mois ».
Dans cette recherche d’optimisation du prévisionnel, il ne faut pas négliger les outils digitaux, qui offrent une meilleure prédiction de l’activité réelle, via les multiples paramètres couverts par les datas, que le cerveau humain, uniquement basé sur l’instinct de l’entrepreneur.
Exemple, dans la restauration, avec une solution indépendante des enseignes. « En interconnectant les sources de données disponibles, en interne dans divers logiciels et en externe à travers les événements impactant la vie d’un restaurant – météo, sport, tendances, campagnes marketing, etc. -, l’intelligence artificielle détecte les habitudes de consommation pour un lieu, les corrélations répétitives, les ratios opérationnels, explique Hassan-Ali Chaudhary, chef de la direction de Fullsoon. Jusqu’à pouvoir donner, en temps réel, le nombre de couverts, les plats à servir et les aliments pour les constituer dans un restaurant. Notre solution Fullsoon permet ainsi d’anticiper les ventes et de maximiser le stock en réapprenant chaque jour le comportement des consommateurs du restaurant. En moyenne, nos clients gagnent 6 points de marge sur la gestion des matières premières, sans occasionner de rupture, ni générer du gaspillage alimentaire. Et ce, dès le lancement de l’activité dans une franchise au process standardisé, par comparaison avec des profils similaires déjà installés dans le réseau, d’abord par harmonisation avec l’enseigne, puis en étant progressivement personnalisé à l’échelle du point de vente ».
Une solution digitale à méditer par les enseignes et les franchisés, au même titre que d’autres telles que Dvore ou Inpulse. Des efforts peuvent également être portés sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises, davantage que ce que préconise le concept, pour assurer la pérennité de l’affaire créée.
La banque n’est pas un simple fournisseur d’argent
Lors du rendez-vous bancaire, plus que des chiffres crédibles ou encore la réputation de l’enseigne (étudiée par les pôles Franchise & Commerce Associé des grands réseaux bancaires), c’est la posture entrepreneuriale qui compte. « Certains candidats au crédit arrivent « en phase administrative », n’attendant qu’un coup de tampon supplémentaire, alors qu’ils devraient encore être « en mode projet », déjà dans le costume de futur gérant, insiste Franck Gimaret, responsable Pôle Franchises-Marché des Professionnels à la Caisse d’Epargne. Le banquier demeure le seul partenaire du franchisé qui pourra l’aider en eaux troubles. Il n’est pas un fournisseur d’argent, il s’inscrit dans la durée, avec une proximité humaine, et non dématérialisée voire virtuelle. Le candidat entrepreneur doit se montrer proactif, ne pas subir l’échange, faire déjà son métier de commercial, prouver l’adéquation homme/projet, transpirer la motivation. Pour convaincre, il doit déjà être convaincu. S’il sait nous donner envie, il donnera envie à ses clients, ses fournisseurs… ».
Les accompagnateurs du projet (expert-comptable, courtier, etc.) ne se substituent pas au créateur d’entreprise face au conseiller professionnel, ce qui serait contreproductif. « Un travail de coaching est organisé avec le candidat entrepreneur, pour l’entraîner à un rendez-vous bancaire qui ne doit pas devenir un rendez-vous Finances, centré sur les chiffres – sauf en cas d’importants montants empruntés. Il faut, par exemple, savoir transformer des faiblesses en forces, comme la jeunesse d’une enseigne en insistant sur son innovation, relève Noémie Hammoudi. Le futur franchisé doit être capable de « pitcher » son parcours – qui il est -, l’activité pour laquelle il sollicite un financement – ce qu’il veut faire – et comment il compte parvenir à réussir. Trois causes d’échecs sont identifiées : un sous-financement demandé – par exemple, avec des coûts trop minorés pour limiter les risques -, un dossier non crédible – prévisionnel non fiable avec chiffre d’affaires trop ambitieux -, ou un profil de créateur mal cerné par l’enseigne – le déclic entrepreneurial pouvant se produire pendant la formation qu’il n’a pas encore faite ».
L’exposition aux risques de la nouvelle entreprise, première jugée
Dans ce contexte où la connaissance éclaire les talents du (de la) futur(e) entrepreneur(e), Laurent Delafontaine a réalisé un guide du financement « clés en mains » pour les franchisés de ses enseignes clientes. « En complément d’un document structurant la démarche du franchiseur pour présenter son enseigne aux grands réseaux bancaires, j’ai conçu un guide pour aider le candidat entrepreneur à rédiger ses outils en vue d’un rendez-vous en établissement financier. Il explique aussi bien comment construire un dossier de financement personnalisé à partir des éléments et indicateurs-clés de l’enseigne, que les manières de le renforcer, à travers les subventions publiques, le leasing – étendu aux chambres froides ou aux fours -, les mécanismes de réassurance type Bpifrance ou encore les concours au sein de la franchise, tout en donnant des liens Internet pour aller plus loin. La franchise n’augure pas d’une réussite automatique. Être péremptoire ou nonchalant, voire manquer de motivation, c’est l’échec assuré. Il faut prouver sa capacité à exploiter le concept à travers un dossier organisé, structuré, cohérent et maîtrisé, sans oublier que le banquier juge d’abord l’exposition aux risques de la nouvelle entreprise », affirme-t-il.
Si la banque ne finance que les actifs corporels, d’autres solutions sont à explorer par le porteur de projet. « Le love money – emprunt à des proches -, l’apport de l’ACRE sous forme de capital ou de rémunération, voire le crowdfunding selon la sensibilité du projet – RSE, vrac… -, ou encore le business angel, qui offre d’accélérer le développement grâce à la maturité du financeur, permettent de couvrir le stock, le besoin en fonds de roulement, ou encore les frais d’établissements, suggère Noémie Hammoudi. On peut également faire entrer un associé au capital, dans le cadre d’un pacte contractuel, s’il possède une même vision à long terme du projet et/ou apporte une compétence complémentaire. Restent également les prêts d’honneur à taux zéro, que l’on peut notamment trouver sur la plate-forme Espace Subventions Entreprises, en partenariat avec BNP-We grant et KPMG, qui recense toutes les aides publiques adaptées à un projet entrepreneurial ».
Les solutions alternatives peuvent représenter une piste, mais attention : « Les obligations convertibles, l’allocation financière – matériel acheté par un tiers et loué à l’entreprise – ou encore le financement à travers une dette mezzanine, semblent intéressants au départ, mais peuvent s’avérer toxiques à terme. Surtout si l’entreprise franchisée ne connaît pas la forte croissance attendue », souligne Stéphane Kirsch.
Restent les conditions d’octroi du prêt professionnel, qui ne se limitent pas à un taux de crédit ou aux assurances, mais incluent les frais quotidiens à moyen ou long terme, comme le taux de carte bancaire, les modalités et coûts de découverts, ou encore les outils de paiement (location de terminal de paiement électronique).
« Nous préférons considérer une approche globale, un univers de besoins favorisant la pérennité de l’entreprise créée, intégrant la banque à distance, la monétique, l’e-commerce, aussi bien que la préparation de la retraite, l’assurance homme-clé ou encore le volet personnel, comme l’acquisition de la résidence principale. Le candidat entrepreneur devra se montrer résilient dans ce qui s’apparente à une course de fond », conclut Franck Gimaret.
Avis d’expert : « Quatre axes de financement Green »
Franck Gimaret, responsable Pôle Franchises-Marché des Professionnels à la Caisse d’Epargne
« Conformément à la réglementation, qui obligera tout réseau bancaire à devoir participer à la transition énergétique, la Caisse d’Épargne développe une épargne « verte » aménagée sur de plus longues durées, 7 ou 10 ans, selon 4 axes. Tout d’abord, le financement des travaux relatifs à l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, tels que l’isolation du local commercial, du ressort du franchisé et non du concept.
Ensuite les investissements pour créer de l’énergie, comme les panneaux photovoltaïques. Puis, la prise en charge du matériel nécessaire à la réduction de l’impact environnemental de la production ou de la distribution, tels que des machines-outils, des chambres réfrigérées ou vitrines frigorifiques à basse consommation d’énergie. Enfin, la transformation de la flotte de véhicules en électrique ou hybride, voire l’installation des bornes de rechargement.
Le crédit-bail ou longue durée s’avère complémentaire de cette solution : les technologies avancent tellement vite qu’il est peut-être préférable de changer de véhicule par contrat plutôt que de chercher à le revendre, avec un risque de perte de valeur. »