La cour d’appel de Paris annule une clause de non-concurrence post-contractuelle interdisant au franchisé de rejoindre un autre réseau ou de continuer son activité en solo dans un rayon de 30 kilomètres autour de son point de vente pendant un an après la fin du contrat. Un territoire d’une taille excessive selon les juges.
En matière de non-concurrence post-contractuelle, les décisions d’appel se suivent et se ressemblent.
Dans le litige jugé le 28 juin 2023 par la cour d’appel de Paris, le contrat de franchise est signé en juillet 2009 pour 7 ans. En décembre 2015, dans les délais prévus, la société franchisée notifie son intention de ne pas renouveler son contrat une fois celui-ci parvenu à son terme.
Le franchiseur en prend acte tout en rappelant à son partenaire qu’il devra respecter la clause de non-concurrence post-contractuelle.
Mais dès le mois de juillet 2016, le franchisé tombe l’enseigne et poursuit son activité avec un réseau directement concurrent. Le franchiseur l’assigne en justice.
Pour le tribunal de commerce, la clause est valide et le franchisé doit 160 000 €
En mai 2018, le tribunal de commerce de Lyon donne raison au franchiseur. Les juges consulaires notent d’abord que la loi Macron – qui exige entre autres que les clauses de ce type soient limitées aux terrains et locaux de l’exploitant – ne s’applique pas dans ce litige (puisque le contrat a été signé avant 2015)
Par ailleurs, pour eux, la clause est « limitée dans le temps, l’espace et aux intérêts légitimes de la société franchiseur ». Elle « ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».
Par conséquent, la société franchisée qui ne l’a pas respectée doit être condamnée à verser au franchiseur la somme de 160 000 € correspondant à la sanction pénale prévue au contrat pour ce cas de figure. Le tribunal décide par ailleurs de l’exécution provisoire.
Une clause de non-concurrence classique, mais le rayon de 30 kilomètres pose problème
La société franchisée fait appel. Et la cour de Paris inverse le jugement de première instance.
La clause litigieuse était rédigée ainsi (extraits) : « Le franchisé s’interdit d’exploiter ou de participer d’une quelconque manière, directement ou par personnes interposées, à l’exploitation, la gestion, l’administration, le contrôle d’un fonds de commerce ou d’une entreprise ayant une activité identique ou similaire à l’unité en franchise, et de s’affilier, d’adhérer ou de participer de quelque manière que ce soit, à une chaîne concurrente du franchiseur ou d’en créer une lui-même, et plus généralement de se lier à tout groupement, organisme ou entreprise concurrents du franchiseur. »
Jusqu’ici rien que de très classique. Mais le texte précisait ensuite :
« Cette interdiction sera valable pendant 1 an à compter de la date de cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, et ce, dans un rayon de 30 km du magasin exploité dans le cas d’une zone dite rurale et dans un rayon de 10 km dans une zone urbaine. »
La cour rappelle que ce type de clause « doit rester proportionnée aux objectifs qu’elle poursuit »
La cour commence par confirmer que la loi Macron ne s’applique pas dans le litige examiné. Toutefois, en raison de la taille du réseau, susceptible de concerner l’ensemble du territoire français, c’est le droit de la concurrence européen qui s’impose. En l’occurrence, le règlement d’exemption de 2010… dont la loi Macron s’est directement inspirée.
La cour ajoute que, de toute manière, en droit national, ce type de clause peut être légitime « dans la mesure où elle permet d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exclusivité. (…) Néanmoins, elle doit rester proportionnée aux objectifs qu’elle poursuit ». Et notamment, ne pas limiter de façon excessive la liberté du franchisé sortant.
Pour la cour, le savoir-faire concerné ne mérite pas une telle protection
La cour reconnaît que le franchiseur a transmis un réel savoir-faire à son franchisé. Mais il s’agit selon elle d’un savoir-faire – nous sommes dans la distribution alimentaire – « de faible technicité et spécificité » se limitant à un « savoir-sélectionner » les produits et à un « savoir-vendre », si bien qu’« une restriction d’activité telle que celle prévue dans la clause litigieuse n’apparaît pas indispensable pour assurer sa protection. »
Aux yeux des magistrats, la société franchiseur « ne démontre pas » en quoi l’interdiction d’activité était nécessaire pour protéger son savoir-faire dans un rayon de 30 kilomètres autour du point de vente (puisqu’en l’occurrence nous sommes en zone rurale).
Le franchiseur citait à l’appui de ses demandes un arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2009, concernant un litige similaire avec un autre de ses franchisés, arrêt dans lequel la plus haute juridiction française reconnaissait la réalité de son savoir-faire. Cela « ne suffit pas à rendre la clause examinée licite », répondent les magistrats parisiens, étant observé que dans cette décision de cassation, « la clause était limitée à une zone de trois kilomètres autour du point de vente. »
Pour la cour d’appel de Paris, la clause de non-concurrence post-contractuelle litigieuse est « disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes (de la société franchiseur) au regard de l’objet du contrat et il y a lieu de l’annuler. »
Le jugement condamnant le franchisé à verser 160 000 € au franchiseur est donc infirmé.