A qui le tour ? Après les rachats de Go Sport, La Grande Récré, La Cervoiserie et d’une partie des magasins Casino, les groupements coopératifs et associés vont-ils s’emparer en totalité ou en partie d’autres réseaux succursalistes ou de franchise en difficultés ? Ces opérations seraient-elles le signe d’une supériorité du modèle coopératif ?
Coup sur coup en l’espace de quelques mois, plusieurs groupements ont repris en 2023 des réseaux succursalistes ou franchisés.
En mars, le groupement associé de grossistes en boissons C 10, qui développe l’enseigne Comptoirs des Vignes, s’est emparé de La Cervoiserie, concept de caves à bières avec bar et de ses 33 franchisés.
Le 28 avril, Go Sport est tombé dans l’escarcelle d’Intersport. Ce qui représente, pour la France, 72 magasins intégrés et 37 contrats de franchise (plus 46 contrats à l’international).
Le 9 juin, devant le tribunal de commerce de Paris, la coopérative Joué Club a sauvé La Grande Récré, en récupérant 89 succursales, 31 contrats de franchise et 17 à l’étranger.
Quelques jours plus tard, le groupement des Mousquetaires s’est engagé sur un plan de reprise, via Intermarché, de 119 magasins du groupe Casino.
Cette série d’événements a été saluée logiquement par la FCA (Fédération du commerce coopératif et associé) qui a souligné à l’occasion, dans plusieurs communiqués enthousiastes, « la bonne santé », « la solidité », « la stabilité » et « la pérennité » de son modèle coopératif.
« Ces opérations s’inscrivent dans une tendance de fond, nous confirme son délégué général, Olivier Urrutia. Depuis 21 ans – c’est l’Insee qui l’indique -, le commerce coopératif et associé est la forme de commerce qui a connu en France la croissance la plus importante en termes de chiffre d’affaires. Le succès de notre modèle historique, qui existe depuis plus de 150 ans, se confirme chaque année et cela se traduit aujourd’hui dans le développement des enseignes. Elles s’apprêtent maintenant, et c’est nouveau, non seulement à se défendre de la concurrence mais à partir à la conquête de nouvelles parts de marché, par exemple par des rachats. »
Le modèle de la franchise n’est pas en cause
Est-ce à dire pour autant que la formule de la coopérative prouverait ainsi sa supériorité sur les autres, franchise comprise ? Rappelons que Go Sport était en redressement judiciaire et La Grande Récré faisait l’objet d’une procédure de liquidation, sans oublier les difficultés de Casino. Olivier Urrutia ne va pas jusque-là. Il reconnaît que « la franchise s’est beaucoup développée en France, y compte de très nombreux réseaux et parfois de belles success stories » et qu’il « ne faut pas tirer un trait sur le modèle ». Pour lui, d’ailleurs, « les difficultés (des réseaux repris) étaient largement liées à des questions de gestion dues aux enseignes elles-mêmes. »
Une analyse partagée par le consultant spécialisé Sylvain Bartolomeu*, dirigeant associé de Franchise Management, pour qui, si ces opérations ont eu lieu, c’est d’abord parce que les réseaux qui ont changé de mains « n’avaient pas atteint la taille critique et connaissaient des fragilités de sortie de Covid comme dans le cas de La Cervoiserie, ou devaient faire face à une très forte concurrence. Entre Intersport et Décathlon par exemple, la voie pour Go Sport était étroite. La marque n’était pas forcément la mieux placée du point de vue de l’implantation territoriale et avait, en moyenne gamme, une offre qui manquait d’aspérité. Enfin, sa capacité en termes d’omnicanalité n’était pas en mesure de la voir rivaliser avec les deux mastodontes du secteur. » On pourrait ajouter que La Grande Récré – elle aussi majoritairement succursaliste comme Go Sport – a souffert comme d’autres, sur un marché du jouet pas forcément très facile, de la double concurrence des géants d’Internet et de ceux de la grande distribution.
La puissance de frappe des coopératives résulte bien de leur modèle
Reste que ce sont quand même à chaque fois des groupements coopératifs ou associés et pas des franchiseurs qui se sont portés acquéreurs et qui ont trouvé pour cela par exemple 35 M€ de trésorerie pour Go Sport et 50 M€ pour La Grande Récré. « Cela illustre la puissance de frappe des coopérateurs, reconnaît Maître Cécile Peskine* (cabinet Linkea) qui conseille de nombreux franchiseurs. La coopérative est un véhicule juridique qui, en additionnant les moyens de ses adhérents, permet de mutualiser plus de fonds qu’un franchiseur et qui peut donc s’avérer plus efficace pour reprendre un réseau ou des points de vente importants. »
« La principale particularité des coopératives, qui sont encadrées par l’article L 124-1 et suivants du code de commerce, rappelle Maître Olga Renaud* (cabinet BMGB), conseil de nombreux franchisés, c’est que les commerçants y sont à la fois associés et clients. En tant qu’associés, ils peuvent décider des grandes orientations de la coopérative lors de l’assemblée générale de ses membres sur le principe un homme égale une voix. En tant que clients, ils bénéficient de services extrêmement proches de ceux que rend un franchiseur à ses franchisés en termes de formation, de marketing, d’achats, etc. » Un statut qui, quand tout va bien, peut leur donner beaucoup de force.
« Le fait que nos réseaux de commerce et de services appartiennent à leurs adhérents constitue une situation originale et même unique, approuve Olivier Urrutia. Les gens qui sont aux manettes sont ceux-là même qui appliquent sur le terrain les décisions qu’ils ont contribué à imaginer, élaborer, construire et décider. Il n’y a pas de déconnexion entre une élite et les entrepreneurs dans les points de vente. Cette fluidité représente l’un des éléments de succès de notre modèle. » « L’organisation de nos coopératives constitue aussi une digue face aux risques de mauvaise gestion, complète le délégué général de la FCA. On peut trouver dans un réseau coopératif ou associé des points de vente mal gérés, mais il est plus rare de constater que toute la chaîne, appartenant à des centaines de propriétaires, est touchée. Alors que dans le commerce intégré comme en franchise, la concentration du pouvoir entre quelques mains fait que, lorsqu’elles ne sont pas bien intentionnées ou pas assez performantes, c’est tout le réseau qui part à la catastrophe ».
« La coopérative a aussi ses écueils », estiment les experts de la FFF
Ceci étant, « les groupements coopératifs ne sont pas tous à l’abri des problèmes de marché, fait observer Sylvain Bartolomeu. Allez-voir du côté du monde du bio en ce moment, par exemple. Et puis il y a coopérative et coopérative, ajoute l’expert. Je suis pour ma part intervenu dans des groupements coopératifs qui souffraient de gros problèmes de pouvoir. Un groupe de barons historiques bloquait le réseau et rendait tout changement impossible. J’ai connu des dirigeants qui avaient peur de ces « généraux du terrain » comme ils les appelaient et j’ai vu des animateurs qui n’osaient pas faire leur travail. Certains n’ont pas tenu un an… »
Un écueil confirmé par Maître Cécile Peskine qui ajoute : « Le principe un homme égale une voix fonctionne très bien quand tout le monde est d’accord, mais le jour où des divergences apparaissent, cela peut bloquer toute évolution. Vous pouvez vous retrouver avec des adhérents opposés à la stratégie en matière d’achats, de marge, de positionnement tarifaire, etc. Cela peut devenir très compliqué. »
« Il y aura d’autres rachats », affirme le délégué général de la FCA
Pour la FCA en tout cas, les réseaux coopératifs font plutôt preuve de dynamisme. Quant aux marchés qui se rétractent, « bien sûr », admet Olivier Urrutia, « on peut connaître des crises structurelles comme celle qui frappe en ce moment le secteur du textile (où, soit dit en passant, Intersport est leader devant Zara et H&M). Cela peut concerner tout secteur et du coup toute enseigne ». « Par ailleurs, les crises conjoncturelles comme celles que nous venons de traverser rattrapent tout le monde. Aucun modèle ne passe à côté. Ceci étant, face à l’inflation, à la crise de l’énergie, aux conséquences de la pandémie de Covid ou de la guerre en Ukraine, nous avons eu moins de dégâts qu’ailleurs. Parce que les points de vente ont été accompagnés par la structure coopérative : à la mutualisation quotidienne des moyens s’est ajoutée la solidarité face aux difficultés et il y a eu peu de défaillances. »
Pour le délégué général de la FCA, une chose est sûre : « Il y aura, dans les années à venir, d’autres rachats de réseaux succursalistes ou de franchise par des groupements du commerce coopératif et associé. »
*Sylvain Bartolomeu, Cécile Peskine et Olga Renaud sont membres du collège des experts de la FFF (Fédération française de la franchise)