S’estimant victime de la politique tarifaire de son franchiseur, un franchisé résilie son contrat. Le juge des référés ordonne la reprise des relations contractuelles. Une décision annulée par la cour d’appel de Paris.
Le 12 octobre 2023, la cour d’appel de Paris a invalidé une ordonnance de référé imposant à un franchisé de reprendre les relations contractuelles avec son franchiseur.
Dans cette affaire, la collaboration commence en 2003. Partenaire du même groupe depuis cette date sous différentes enseignes et différentes formules (location-gérance, etc.), le franchisé signe en 2020 avec le franchiseur pour l’un de ses points de vente un contrat d’affiliation de 5 ans, devant se terminer le 14 juillet 2025.
En cause notamment dans ce litige : la politique tarifaire du franchiseur
Les relations entre les deux parties se tendent au cours de l’année 2022. Et le 16 décembre, le franchisé adresse une lettre recommandée avec AR à son partenaire.
Il lui reproche de pratiquer à son détriment une politique dite de “ciseau tarifaire”, c’est-à-dire de lui facturer des produits à des tarifs plus élevés que ceux qu’il propose aux clients de ses propres magasins exploités en succursales.
Un abus, selon lui, de position dominante qui le prive de la possibilité de réaliser des bénéfices.
Le juge des référés ordonne la reprise des relations contractuelles rompues par le franchisé
La réponse du franchiseur s’étant limitée à une proposition de rencontre, le franchisé adresse en février 2023 à son partenaire un nouveau courrier recommandé par lequel il résilie son contrat d’affiliation.
Le franchiseur saisit aussitôt le juge des référés qui ordonne au franchisé, par une décision du 17 mars 2023, de reprendre les relations contractuelles avec son franchiseur en attendant une décision sur le fond du litige sous astreinte de 1 000 € par jour de retard.
Le franchisé fait appel de cette décision.
Les magistrats d’appel décortiquent le dossier
La cour d’appel de Paris (Pôle 1, chambre 2), infirme l’ordonnance de référé du tribunal de commerce.
Pour en décider ainsi, les magistrats se réfèrent d’abord au contrat d’affiliation concerné. Contrat qui prévoit qu’en “cas d’inexécution totale ou partielle de ses obligations par l’une des parties, l’autre partie pourra résilier de plein droit le contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception restée infructueuse pendant 15 jours”. La résiliation prenant effet par l’envoi d’une nouvelle lettre recommandée avec AR.
Les juges notent ensuite que “la mise en demeure adressée par le franchisé le 16 décembre 2022 (visait) à la fois la politique tarifaire du franchiseur et l’occultation par celui-ci de son magasin sur l’application de l’enseigne.”
Quant à la lettre de résiliation du franchisé, elle constatait que le franchiseur n’avait pas mis fin à sa politique de “ciseau tarifaire” dans le délai de 15 jours imparti. Constat d’huissier du 6 janvier 2023 à l’appui, auquel étaient joints deux autres constats datés des 22 et 24 novembre 2022.
Pour la cour d’appel, la pratique tarifaire du franchiseur est prohibée
Pour la cour d’appel de Paris, “la clause résolutoire (du contrat) a été formellement respectée” par le franchisé et “peu importe que (le franchiseur) ait répondu par une proposition de rencontre rapide”.
Par ailleurs, “le contrat d’affiliation qui lie les parties est soumis aux dispositions de droit commun”. En l’occurrence, “l’article 1104 du code civil qui dispose que les contrats doivent être négociés et exécutés de bonne foi”.
Or, souligne la cour, si le franchiseur nie dans sa lettre du 30 décembre 2022 pratiquer une politique de “ciseau tarifaire”, les constats d’huissier produits par le franchisé “sont de nature à fonder la résiliation au vu de cette pratique prohibée, qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher, mais qui, avec l’évidence requise en référé, paraît plausible.”
“Ainsi, la reprise des relations contractuelles (…) est sérieusement susceptible d’entraîner une pratique prohibée au sens des articles L 420-2 du code de commerce et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, voire des sanctions pécuniaires et à tout le moins de fonder la résolution du contrat aux torts (du franchiseur)”. “Étant observé que l’affilié a une obligation d’approvisionnement quasi-exclusif auprès du franchiseur, il se trouve incontestablement prisonnier d’une telle pratique”.
La cour relève enfin que le franchiseur “ne produit aucun élément contraire” et ne démontre pas non plus, contrairement à ce qu’il affirme, que la société franchisée aurait rompu abusivement le contrat d’affiliation pour rejoindre un réseau concurrent.
Pour la cour, la résiliation anticipée du contrat par le franchisé n’a pas créé de trouble manifestement illicite
Conclusion de la cour : la résiliation unilatérale du contrat d’affiliation par le franchisé ne constitue pas une violation d’une règle de droit et donc “pas un trouble manifestement illicite.”
Tandis que, au contraire, la reprise forcée du contrat “est elle-même susceptible de constituer une illicéité manifeste”.
Par ailleurs, il apparaît que la société du franchiseur “ne fait état d’aucun péril économique lié à la perte d’un affilié, de sorte que l’existence d’un dommage imminent résultant de la résiliation anticipée du contrat d’affiliation n’est pas établie”.
La décision du 17 mars 2023 est par conséquent “infirmée en ce qu’elle a ordonné la reprise des relations contractuelles entre les parties”. Puisqu’il n’y a, selon la cour, “pas lieu à un référé sur ce point”.
La cour écarte également l’accusation de “rupture brutale” – le préavis qui a couru du 16 décembre 2022 au 13 février 2023 étant, selon elle, “largement suffisant”-. Sur ce point non plus, il n’y a pas lieu à référé.
C’est donc l’ensemble des demandes du franchiseur devant la cour d’appel qui est rejeté.