Un concessionnaire estime que ses contrats doivent être annulés car son consentement a été vicié. En cause : son concédant qui lui a transmis des chiffres inexacts concernant la rentabilité de son projet. Il est débouté par la cour d’appel de Toulouse qui s’appuie, entre autres, sur un argument étonnant.
La cour d’appel de Toulouse vient de débouter, avec des arguments pouvant surprendre, un concessionnaire qui réclamait l’annulation de ses contrats pour vice du consentement.
Dans ce litige, un professionnel membre depuis plusieurs années d’une coopérative de commerçants décide, en juin 2017, d’en sortir pour rejoindre une autre enseigne du même secteur se développant en concession.
Pour ses deux magasins existants, il est toutefois tenu par une clause de non-affiliation post-contractuelle – c’est-à-dire qu’il n’a pas le droit pendant un an d’arborer une autre enseigne que la sienne.
Il signe donc, les concernant, une simple convention d’assistance et de prestations de service avec le concédant allant jusqu’au 31 décembre 2018. Et des contrats de concession dont le début effectif est fixé au 1er janvier 2019.
L’exploitant crée par ailleurs une troisième société, afin de reprendre un fonds de commerce cédé gratuitement par le concédant et de l’exploiter sous l’enseigne de celui-ci.
Très vite, le concessionnaire s’aperçoit que l’activité et la rentabilité promises ne sont pas au rendez-vous. En juin 2018, il décide de dénoncer ses contrats et ses conventions d’assistance. En septembre, il dissout sa nouvelle société, ce qui entraîne sa liquidation amiable.
Le concédant, lui, refuse toute rupture.
Le concessionnaire affirme que le concédant lui a transmis des chiffres délibérément trompeurs
Le concessionnaire l’assigne en justice, réclamant l’annulation de ses contrats et des dommages et intérêts.
Selon lui en effet, il a été induit en erreur sur la rentabilité de son projet par le concédant qui lui a transmis sciemment des chiffres inexacts afin de vicier son consentement et de le convaincre de s’engager sur ses trois contrats.
Devant la cour, le concessionnaire produit par constat d’huissier « les liasses de reconstitution des chiffres d’affaires réalisés par addition des facturations mémorisées dans le logiciel informatique acquis avec la concession ». Des chiffres qui se révèlent bien inférieurs à ceux qui lui ont été communiqués par le concédant.
D’ailleurs, sur 15 mois d’exploitation – de juillet 2017 à septembre 2018 -, la société créée par le concessionnaire pour reprendre le fonds de commerce du concédant n’a réalisé que 56 598 € de chiffre d’affaires. Alors que, selon les chiffres transmis, le CA annuel le plus bas aurait été sur la période 2014-2016 pour ce même magasin de 97 753 €…
Pour la cour d’appel de Toulouse, il n’y a pas lieu d’annuler les contrats de concession
Les magistrats de Toulouse refusent pourtant d’annuler les contrats de concession.
D’abord parce que, relèvent-ils, le concessionnaire était un professionnel de l’activité. Il gérait, comme adhérent d’un autre réseau, deux magasins dans le même secteur géographique, dont l’un depuis plus de dix ans.
Il était donc selon eux « à même de se faire une représentation réaliste du potentiel de l’activité dont la reprise lui était proposée, sur la base des chiffres communiqués par (le concédant) et compte tenu de ses propres connaissances. »
Mais la cour va plus loin et avance un autre argument, plutôt inhabituel et surprenant.
« Si la rentabilité d’un commerce est un élément important dans le choix du repreneur de l’acquérir, l’erreur sur les possibilités de rentabilité ne peut emporter vice du consentement et nullité du contrat qu’à la condition que cet élément soit entré dans le champ contractuel liant les deux parties », écrivent les magistrats, « et notamment que le cocontractant à qui la manœuvre est reprochée ait su que cette information était déterminante du consentement pour son partenaire. »
Or, selon la cour, le concessionnaire « n’apporte pas la preuve » que « la question de la rentabilité » du magasin concerné « soit bien entrée dans le champ contractuel ». Ni que la société du concédant « ait bien su » que (les chiffres d’affaires communiqués) « étaient un élément déterminant (pour le concessionnaire dans le choix) de reprendre ce magasin et plus encore de faire passer les deux autres (points de vente) déjà possédés sous (cette même) enseigne ».
Pour la cour, rien ne prouve non plus que le concédant aurait garanti à son partenaire la capacité de ses sociétés à atteindre voire à dépasser les chiffres d’affaires transmis selon lui « à titre indicatif ».
Dans ces conditions, la cour estime que le consentement du concessionnaire n’a pas été vicié et qu’il n’y a pas lieu d’annuler les contrats.
Des motifs de rejet « juridiquement discutables », selon une spécialiste du droit
Ces « motifs de rejet » de l’action du concessionnaire « paraissent juridiquement discutables » à la spécialiste du droit Anouk Bories qui analyse et commente cet arrêt de la cour d’appel de Toulouse dans la Lettre de la distribution de décembre 2023.
Pour l’experte, maître de conférences à l’université de Montpellier, qui développe longuement ses arguments, « il est certain que le concessionnaire, tout comme le franchisé, est un commerçant indépendant auquel le réseau ne garantit en aucun cas les chiffres prévisionnels. (…) On ne peut toutefois présumer (…) que la question de la rentabilité n’entre pas dans le champ contractuel et qu’il revient donc au concessionnaire de démontrer que le concédant savait que la possibilité d’atteindre les chiffres prévisionnels était un élément déterminant du consentement de son partenaire. »
Et elle ajoute : « Il semble excessif d’affirmer sans nuance que la « rentabilité » n’est ni une qualité essentielle de l’objet du contrat ni un élément déterminant du consentement du commerçant. L’acceptation du risque d’entreprise ne saurait couvrir tout défaut de rentabilité. (…) En l’espèce, le chiffre d’affaires réalisé, très en-deçà des prévisions et la rapide déroute de l’affaire tendent à démontrer que l’activité n’était pas viable. Il est alors difficile d’affirmer que l’erreur commise n’était pas déterminante du consentement. »