Un franchisé en situation d’échec demande devant la justice d’importants dommages et intérêts à son franchiseur. Motif : plusieurs clauses de son contrat de location-gérance créaient, selon lui, un déséquilibre significatif à ses dépens. Il est débouté par la cour d’appel de Paris qui valide une à une toutes les clauses contestées.
La cour d’appel de Paris s’est prononcée dans un arrêt du 6 décembre 2023 sur la validité d’un contrat de location-gérance.
Dans ce litige, un premier contrat est signé le 30 septembre 2011, puis après différentes péripéties, un second, modifié, en septembre 2017. A chaque fois, l’exploitant signe le même jour un contrat de franchise.
Les deux contrats – franchise et location-gérance – sont d’une durée de un an renouvelable, sauf dénonciation six mois à l’avance. Au total, la relation ne peut pas excéder 7 ans.
Le contrat de franchise prévoit une redevance d’enseigne de 5 % du chiffre d’affaires plus 2 % pour la communication nationale ; la communication locale restant aux frais de l’exploitant.
A ces différents prélèvements s’ajoute le poids de la redevance de location-gérance*, que l’enseigne accepte en 2017 d’alléger de près de 20 %. Mais c’est encore trop peu visiblement pour l’exploitant, qui accumule les dettes à l’égard de son franchiseur-loueur, de l’ordre de 200 000 € au total selon ce dernier.
En juillet 2019, la société franchisée est placée en liquidation judiciaire.
Après diverses transactions amiables et procédures judiciaires, le franchisé locataire-gérant est condamné en avril 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux à restituer le fonds de commerce et à régler ses dettes.
Décision dont le liquidateur de la société franchisée fait appel.
Pas de problème selon la cour, quant aux clauses de résiliation anticipée du contrat de location-gérance
Devant la cour d’appel de Paris, le liquidateur réclame des dommages et intérêts de près de 900 000 €. Il estime notamment que le franchiseur-loueur a soumis, par le contrat de location-gérance, la société franchisée « à des obligations créant un déséquilibre significatif » entre les parties.
Clause par clause, la cour d’appel réfute ses accusations.
A l’appui de sa démarche, le liquidateur reproche au contrat tout d’abord de prévoir une résiliation anticipée de plein droit au profit du seul loueur pour faute du locataire, sans indemnité de rupture. Selon lui, cela permettait au franchiseur « de résilier à tout moment le contrat ».
Selon la cour, qui reprend à son compte l’argumentation du franchiseur : la clause ne pose pas de problème d’équilibre puisqu’elle laisse au locataire « la faculté de remédier à sa faute dans le délai raisonnable d’un mois » et « ne lui interdit pas de résilier le contrat ».
Autre reproche : les articles portant sur les possibilités réciproques de la résiliation anticipée du contrat ne prévoient d’indemnisation qu’au profit du seul franchiseur.
Pas davantage de souci selon la cour, puisque « la clause n’interdit pas au franchisé de rechercher lui-même la responsabilité du franchiseur et de réclamer des dommages-intérêts. »
Pas de souci non plus, concernant l’indemnisation éventuelle du locataire-gérant en cas de travaux ou de non-renouvellement du contrat
Le liquidateur pointe ensuite la clause d’indemnisation du locataire prévue en cas de non-renouvellement du contrat par le loueur. Il souligne qu’elle est passée en cours de route de 10 à 5 % du résultat net et estime qu’elle est « chimérique » puisque le franchiseur-loueur « capte » en fait toute la rentabilité de son locataire-gérant. Pour lui, elle n’aurait eu de sens que si elle avait été indexée sur le chiffre d’affaires et non sur le bénéfice.
Mais pour la cour, cette « capture » de la rentabilité « n’est pas prouvée », d’autant que la société franchisée « a obtenu de 2012 à 2016 des résultats nets positifs, sauf en 2015 en raison d’une baisse de son chiffre d’affaires. »
Le liquidateur conteste aussi l’article du contrat de location-gérance qui met à la charge du locataire les travaux de remise aux normes du point de vente, lorsque le concept de magasin du franchiseur est modifié. Et ce, « sans indemnisation ».
Pour la cour il n’y a pas là de déséquilibre significatif. « Le franchiseur doit pouvoir faire évoluer son concept ». Et il est normal que les travaux liés à ces modifications soient à la charge de l’exploitant du point de vente qui, en contrepartie, bénéficie de la clientèle qu’elles apportent. D’autant que leur montant est « limité (dans ce contrat) à 1 % du chiffre d’affaires ».
La cour écarte aussi les reproches du franchisé sur de nombreux points, dont le montant de la redevance de location-gérance
Le liquidateur ajoute de nombreux autres reproches au contrat, concernant par exemple ce qui est prévu pour la reprise du personnel.
La loi dispose que, lorsqu’un loueur reprend son fonds de commerce après l’avoir mis en location-gérance, il doit aussi reprendre les employés.
Or, le contrat contesté prévoyait la possibilité pour le franchiseur-loueur, de mettre à la charge du locataire les frais d’éventuels licenciements de salariés lors de la reprise du fonds, si ces licenciements intervenaient dans les 3 mois suivant la reprise.
Disposition justifiée selon le franchiseur et les juges puisqu’elle « vise à responsabiliser le locataire-gérant et à l’empêcher de gonfler ses effectifs juste avant la reprise du fonds par le loueur ».
Autre sujet : le montant de la redevance de location-gérance, qualifié « d’exorbitant » par la partie franchisée, est justifié aux yeux des juges dans la mesure où « la mise à disposition du fonds, y compris la clientèle » en constitue la contrepartie. De plus, en l’espèce, « il a été négocié entre les (partenaires). »
Contestée elle aussi, la pénalité de 8 % en cas de retard de paiement pour cette redevance paraît aux juges d’un taux « raisonnable ». Elle ne crée pas de déséquilibre selon eux dans la mesure où, de son côté, le loueur n’était débiteur d’aucune somme à l’égard du locataire : il n’y avait donc pas lieu de prévoir une pénalité le concernant.
Pas de problème enfin selon la cour pour les clauses prévoyant un contrôle de la gestion du locataire-gérant
La partie franchisée remet en cause encore d’autres clauses permettant selon elle au franchiseur-loueur de « s’immiscer dans la gestion de la société franchisée ».
Elle déplore ainsi qu’il ne lui était pas possible de réaliser des investissements de plus de 10 000 € sans l’accord du loueur. Ou encore qu’elle devait par priorité s’assurer auprès d’un prestataire référencé par le loueur.
De même, il ne lui semble pas justifié qu’elle ait été obligée de « transmettre au franchiseur tous les jours le relevé des ventes par famille, par ticket et par produit », d’« adresser au franchiseur une copie de ses déclarations d’impôts et de la preuve de leur paiement » et encore de « laisser le loueur de fonds (une filiale en l’occurrence) transmettre au franchiseur l’ensemble des informations dont il disposait ».
Enfin pour le liquidateur, « l’accès aux informations comptables directement auprès du cabinet comptable est une sujétion contraire au secret des affaires et au respect de l’indépendance du (franchisé locataire-gérant) ».
Pour la cour d’appel à l’inverse, « c’est en vain que le liquidateur critique toutes ces clauses ».
Car « le loueur propriétaire du fonds de commerce doit pouvoir contrôler les investissements effectués par son locataire avant travaux ». De même, « les contrats de location-gérance et de franchise (contestés ici) invitent le locataire-franchisé à souscrire des assurances auprès de compagnies agréées par le loueur et le franchiseur, mais sans l’y contraindre ».
Quant à la transmission des données comptables au loueur, elle « n’est pas critiquable puisqu’il est propriétaire du fonds de commerce donné en location-gérance ; leur transmission au franchiseur permet à ce dernier d’assurer son obligation d’assistance et de conseil au franchisé ; elle est nécessaire pour établir les factures de redevance. »
Sans surprise, la cour en tire la conclusion qu’il n’existe « aucun déséquilibre significatif » entre les parties à ce contrat de location-gérance.
Le contrat de franchise est également validé. Et, pour les juges, il n’y a pas eu de rupture brutale de la part du franchiseur
Les juges écartent aussi au passage toutes les critiques de la partie franchisée portant sur le contrat de franchise comme le montant de la redevance d’enseigne, l’existence d’une redevance (annuelle donc) de renouvellement du contrat à hauteur de 500 €, l’exclusivité d’approvisionnement ou la clause de non-concurrence assortie d’une sanction pénale de 75 000 € en cas de non-respect.
Il en est de même concernant la possibilité pour le franchiseur/fournisseur de modifier à tout moment les prix des produits, l’obligation pour le franchisé d’acquérir son logiciel de gestion auprès d’un partenaire référencé ou encore l’obligation de laisser, sous astreinte de 2 000 € par jour de retard, l’accès du magasin au franchiseur pendant 30 jours après la fin du contrat.
La cour écarte aussi les accusations de la partie franchisée portant sur la tentative – selon elle – du franchiseur-loueur « d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale des relations commerciales, des conditions manifestement abusives ».
Au terme de l’arrêt, le liquidateur est débouté de ses demandes**. La cour confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux. Elle condamne en outre le plaignant à verser 20 000 € de dommages et intérêts au franchiseur-loueur pour procédure abusive.