Une tête de réseau qui avait choisi de se développer en licence de marque est condamnée en appel. Les magistrats lui reprochent notamment d’avoir délivré un DIP gravement incomplet et un prévisionnel irréaliste destinés à tromper sa partenaire sur la rentabilité de son projet.
La cour d’appel de Grenoble a requalifié en franchise un contrat de licence de marque et l’a annulé pour dol par un arrêt du 30 novembre 2023.
Dans ce litige, un contrat de licence de marque est conclu en juin 2016 conjointement avec un contrat de location de matériel. Mais en janvier 2018, soit 18 mois après la signature, la société exploitante résilie ces contrats.
L’affaire arrive en justice et en avril 2021, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère déboute cette société de ses demandes, notamment celle de nullité du contrat.
Saisie, la cour d’appel de Grenoble infirme le jugement de première instance.
Pour la cour, le contrat de licence de marque était en fait un contrat de franchise
Les magistrats considèrent d’abord que le contrat de licence de marque en question est en réalité un contrat de franchise.
« A la différence d’une simple licence de marque, rappellent les magistrats, le contrat de franchise comprend outre la mise à disposition d’un nom, d’une enseigne ou d’une marque, un mode de présentation uniformisé des locaux, un approvisionnement auprès de distributeurs spécifiés ou un référencement des produits ou des services utilisés, une assistance commerciale pendant toute la durée de l’accord et la transmission d’un savoir-faire. »
Or, constatent les juges, le contrat litigieux a pour objet d’apporter au partenaire un point de vente « clé en main » aménagé selon les normes de l’enseigne, de l’autoriser à utiliser la marque et la méthode de la tête de réseau.
Par ailleurs, le licencié doit s’approvisionner exclusivement auprès des fournisseurs référencés, il s’engage à assister à une semaine de formation initiale, à suivre une formation permanente pendant la durée du contrat et à respecter les règles de vente de l’enseigne auprès de la clientèle.
Pour la cour, il n’y a pas d’hésitation : « ces énonciations contractuelles caractérisent la transmission d’un savoir-faire, élément essentiel du contrat de franchise ».
Et peu importe qu’il n’ait été demandé au partenaire ni droit d’entrée ni redevances « puisque la rémunération du concédant résulte de la vente de produits et de la location de matériels destinés à l’application du concept. »
La demande de la société partenaire portant sur la requalification du contrat est donc acceptée : pour la cour d’appel de Grenoble, le contrat signé en juin 2016 est un contrat de franchise et non un contrat de licence de marque.
Les juges estiment que la tête de réseau n’a pas respecté la loi sur l’information précontractuelle alors qu’elle y était contrainte
La cour valide aussi l’autre principale demande de la société plaignante, estimant que son contrat doit être annulé pour dol.
Selon l’article 1137 du code civil, rappellent les juges, « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ».
La cour explique ensuite que le contrat de juin 2016 est concerné par les articles du code de commerce portant sur l’information précontractuelle (L 330-3 et R 330-1), dans la mesure où la tête de réseau mettait à disposition de ses partenaires son enseigne en exigeant d’eux des engagements d’exclusivité (d’approvisionnement en l’occurrence).
Or, selon les juges, ces textes n’ont pas été respectés par le concédant.
Un Document d’information précontractuelle « gravement incomplet » selon la cour
Le DIP, Document d’information précontractuelle, remis à la future franchisée ne comportait en effet selon eux « aucun élément relatif au marché local », pas même la liste des concurrents. Alors que la licenciée qui créait son fonds « ne disposait d’aucune expérience » dans le secteur d’activité de l’enseigne « ni dans le monde des affaires ».
La cour ajoute que le DIP produit au procès n’étant pas daté, l’enseigne ne peut pas faire valoir que la franchisée aurait eu le temps de se renseigner par elle-même avant de signer ses contrats.
« Concernant le réseau d’exploitants, poursuit la cour, le DIP se contente de lister les villes » où l’on trouve des points de vente à l’enseigne, sans préciser « ni le nom, ni l’adresse des entreprises établies en France, ni leur mode d’exploitation, ni la date de conclusion ou de renouvellement de leurs contrats », contrairement à ce qu’exigent les textes de loi.
Ce DIP, notent encore les magistrats, « ne permet (donc) pas au futur franchisé de prendre aisément contact avec les exploitants du réseau pour recueillir leur avis et des informations sur le service proposé, leur expérience professionnelle et la pérennité de l’activité. Il indique des arrêts de contrats concernant certaines villes sans préciser le mode de fin de contrat. »
Pourtant, « ces informations auraient été particulièrement utiles » à la candidate, surtout au vu d’un constat d’huissier « qui fait apparaître que de nombreux franchisés (de ce réseau) ont connu des difficultés financières ».
Un prévisionnel « irréaliste » transmis pour tromper les franchisés sur la rentabilité du concept, selon les magistrats
A propos des prévisionnels figurant dans le DIP, la cour rappelle qu’ils ne constituent pas une obligation pour le franchiseur mais que, « dès lors qu’ils sont transmis, ils ne doivent pas être irréalistes, sous peine d’induire le franchisé en erreur. »
En l’occurrence, le document promettait un chiffre d’affaires moyen annuel de 168 000 € pour un résultat de 22 440 € et une rémunération du franchisé de 54 000 € par an…
Or, la société franchisée n’a réalisé qu’un CA de 18 707 € avec un résultat négatif de 44 434 € pour l’exercice courant d’octobre 2016 au 31 décembre 2017. Et « elle a dû pratiquement cesser toute activité lors de l’exercice suivant afin de limiter ses pertes ».
« Il ne peut être soutenu que cela provient de la seule mauvaise gestion de la société franchisée, souligne la cour. Alors qu’il ressort du constat d’huissier versé aux débats que de nombreux franchisés ont dû cesser leur activité peu d’années après leur démarrage, ce qui confirme le manque de rentabilité du concept et le caractère irréaliste des prévisionnels produits. »
Le prévisionnel transmis était donc « de nature à fausser l’appréciation de la société franchisée sur la rentabilité du projet ».
Le contrat de franchise est annulé pour dol ainsi que les contrats de location de matériel
Conclusion de la cour d’appel : « le caractère gravement incomplet et inexact du DIP, au regard d’informations déterminantes sur le consentement du franchisé est révélateur de la volonté délibérée du franchiseur de tromper la société (…) qui créait son fonds et ne disposait d’aucune expérience en la matière. »
Le dol est ainsi caractérisé et le contrat annulé. La nullité du contrat de franchise entraîne également celles des contrats de location de matériel qui y étaient liés.
En conséquence, la cour condamne le franchiseur à rembourser à la société franchisée 40 728 € correspondant aux frais de formation, installation du site internet et du logiciel maison, locations et achats de marchandises et de matériel pendant le contrat.
Le franchiseur est également condamné à 1 500 € pour le temps pendant lequel il a laissé ses matériels encombrer les locaux de la franchisée après la résiliation légitime de son contrat. Et à 2 500 € supplémentaires au titre du préjudice moral infligé à la société franchisée « victime d’un dol » qui « s’est investie vainement dans un projet, source de déception et de désagrément ».
Toutefois, l’annulation du contrat remettant les parties en l’état où elles se trouvaient avant sa signature, la société franchisée doit rembourser en valeur au franchiseur les marchandises commandées à l’ouverture et les prestations de service rendues depuis, soit au total 34 961 €.