Validée par les banquiers de la franchise, la formule présente nombre de contraintes et fait l’objet de bien des critiques de la part de ses opposants. Certains franchisés Carrefour la combattent devant les tribunaux.
La franchise participative est actuellement au cœur d’une vive bataille judiciaire entre le géant Carrefour et plusieurs de ses ex-franchisés.
Dans ce groupe, la prise de participation du franchiseur au capital des sociétés franchisées est obligatoire. Problème : quand les franchisés arrivent au terme de leur contrat et qu’ils ne veulent pas le renouveler parce que, par exemple, leur rentabilité n’est pas assez bonne, ils ne peuvent pas rejoindre une enseigne concurrente.
Le contrat de société qu’ils ont signé en même temps que leur contrat de franchise – pour une durée beaucoup plus longue, jusqu’à 99 ans – leur impose en effet d’exploiter leur magasin uniquement sous une enseigne du groupe. Et ils ne peuvent modifier ces statuts et cet objet social de leur société qu’à la majorité des trois quarts s’ils sont en SARL, soit 75 % des parts. Or, dans le modèle Carrefour, ils ne disposent que de 74 % tandis que le franchiseur en détient 26 %.
La problématique est similaire pour ceux qui sont en société anonyme.
Face à cette situation, certaines sociétés franchisées en difficulté – mais pas en cessation de paiement – ont obtenu des tribunaux de commerce l’ouverture de procédures de sauvegarde, puis la mise en place de plans de sauvegarde.
Dans ce cadre, la réunion d’une assemblée générale extraordinaire a été ordonnée par les juges permettant à la société franchisée de décider à la majorité simple de rejoindre une enseigne concurrente pour assurer sa survie.
Une issue qui a permis à plusieurs d’entre elles d’améliorer – parfois très nettement – leur situation financière, mais qui ne règle pas tout puisque Carrefour, qui ne perd pas son statut d’associé minoritaire, conteste en justice toutes ces décisions.
Une contestation vaine jusqu’à présent car tous les arrêts d’appel et de cassation ont validé les mesures prises par les tribunaux de commerce. Mais d’autres procédures sont en cours et la bataille est loin d’être terminée.
Les banquiers se disent « rassurés » par la participation du franchiseur au capital du franchisé
La franchise participative, qui n’est pas utilisée uniquement dans la grande distribution, est-elle pour autant une formule à rejeter par les franchisés ? « Elle est intéressante, car elle rassure le banquier », plaide Lionel Régis, responsable du Pôle franchise de la Caisse d’Épargne (groupe BPCE).
« La présence du franchiseur au capital montre qu’il souhaite clairement travailler avec le candidat sélectionné et qu’il valide ses compétences et connaissances, même si son apport personnel est un peu faible. Elle indique aussi que le franchisé sera a priori plus accompagné encore que dans une franchise classique dans le développement de son entreprise au quotidien. »
« Côté franchiseur, la formule lui permet de développer plus facilement son réseau, ajoute l’expert, surtout quand le concept nécessite des apports importants, ce qui est de plus en plus fréquent dans certains secteurs. Autre avantage : il peut avoir une vision plus rapprochée de l’évolution de ses franchisés. »
Maître Florian de Saint-Pol dont le cabinet conseille surtout des franchisés mais aussi quelques jeunes franchiseurs, est moins enthousiaste. « Normalement, ce n’est pas au franchiseur, mais à la banque, de financer le franchisé », glisse-t-il.
Il admet toutefois que, « dans certains cas précis, par exemple quand un franchisé qui réussit bien sur un premier point de vente est un peu court en termes d’apport personnel pour en ouvrir un second, il peut être utile que le franchiseur prenne des parts à son capital afin de lui apporter du cash en compte courant d’associés. »
Le banquier confirme le principe : le franchiseur doit apporter de l’argent – de cette manière ou sous forme de prêt au franchisé -, « sinon il ne s’agit pas réellement de franchise participative ».
Tout dépend à quelle hauteur le franchiseur monte au capital de la société franchisée
Plusieurs questions se posent cependant et d’abord à quelle hauteur est-il souhaitable que le franchiseur monte au capital de son franchisé ?
Les experts s’accordent sur un point : il ne doit pas être majoritaire, sinon il ne s’agit plus de franchise mais de succursalisme.
Pour Lionel Régis, « idéalement, il ne doit pas dépasser 30 à 33 % des parts. Très souvent, dans une SARL par exemple, les franchisés sont déjà deux associés. La part du franchiseur doit leur rester inférieure. »
« Tout dépend aussi de la rédaction des statuts de la société franchisée », avertit l’avocat. Si le franchiseur prend une minorité de blocage du type Carrefour, « cela peut se révéler totalement bloquant pour le franchisé. »
« En fait, une participation à hauteur de 5 % suffit pour apporter du cash au compte courant d’associés », indique Maître de Saint-Pol (cabinet Cordouan Avocats).
« Attention aussi à certaines prises de participation du type 1 % des parts qui cachent en fait de mauvaises intentions : malgré ses 99 %, le franchisé, s’il est le seul autre associé, peut se retrouver empêché de vendre son affaire si la décision de cession doit être prise à la majorité par tête. Cela s’est déjà vu.»
Selon les experts, la durée de la franchise participative devrait être limitée
Autre point sensible : la durée. « Normalement, dès que la question de l’emprunt est réglée, c’est-à-dire dès qu’il est remboursé ou que le franchisé a donné au banquier une garantie substituable, la participation devrait s’arrêter », estime Florian de Saint-Pol
« L’idéal serait que le franchisé ait la possibilité de racheter les parts du franchiseur dès qu’il le veut. Mais les franchiseurs auront tendance à ne pas lui accorder ce droit », poursuit le spécialiste pour qui, par ailleurs, « la possibilité pour l’association au capital de survivre au contrat de franchise est une hérésie. »
Le banquier approuve sur le fond : il faut au moins que « le franchisé puisse sortir (de l’association) une fois son crédit bancaire remboursé ».
Il va même plus loin : « S’il y a prise de participation, le franchiseur doit être présent au capital lors du lancement et dans la phase de création de l’entreprise franchisée, mais dès que celle-ci est sur de bons rails, dès que la stabilité est atteinte, c’est-à-dire en général après trois ou quatre ans, ce n’est pas forcément heureux qu’il reste associé. »
« Le franchisé doit pouvoir racheter facilement les parts détenues par le franchiseur »
Outre la rédaction des statuts de la société franchisée, celle du pacte d’associés peut s’avérer décisive. « Il ne faut pas que le franchiseur puisse prendre le contrôle de la société s’il vient par exemple à juger que le franchisé n’est pas à la hauteur, avertit Lionel Régis. Le contrat de société doit permettre au franchisé de bien rester indépendant. » De même, « il ne faut pas que des clauses spécifiques lui rendent difficile le rachat des parts de son franchiseur. »
Pour Maître Florian de Saint-Pol, les conditions de ce rachat doivent être bien précisées. « Car si rien n’est prévu sur ce point, le franchiseur pourra vouloir conserver sa participation jusqu’à la fin de la société… Idéalement, le franchisé devrait même pouvoir préciser dans le pacte les cas dans lesquels la tête de réseau sera obligée de lui céder ses parts. Enfin, sans bien sûr fixer leur valeur à l’avance, mieux vaut avoir défini une méthode de valorisation ».
« Il faut veiller à ce que le franchiseur ne puisse pas bloquer les décisions importantes du franchisé »
« De toute manière, il faut éviter que le franchiseur ait la possibilité de bloquer les décisions importantes du franchisé comme la vente de l’entreprise ou le ralliement à un autre réseau à la fin du contrat de franchise. »
« Attention encore, ajoute l’expert, aux clauses de non-concurrence post-contractuelles qui ne peuvent plus figurer au contrat de franchise en raison de la loi Macron de 2015 devenue l’article L 341-2 du code de commerce, mais que les franchiseurs peuvent réintroduire dans le contrat de société qui, lui, échappe à cette loi. »
Même remarque en matière d’agrément d’un successeur éventuel, le franchiseur pouvant interdire de s’associer à un concurrent.
« Au fond, il faudrait veiller à ce que le franchisé ait au maximum les mains libres et puisse prendre ses décisions sans avoir à convoquer à chaque fois une assemblée générale, sans que cela soit un parcours du combattant », recommande le spécialiste du droit.
Franchise participative : une formule démotivante ?
Autre question, soulevée cette fois par les détracteurs de la formule : son effet potentiellement démotivant pour le franchisé.
« Cela va dépendre du niveau de participation du franchiseur, répond le responsable de la Caisse d’Épargne. S’il est trop important, le franchisé peut en effet être amené à se reposer sur les compétences de son partenaire et associé et attendre de lui qu’il vienne régulièrement réparer ses erreurs. A 5 % ou 10 %, le franchisé peut très bien réaliser qu’il doit conduire son affaire par lui-même. A 49 ou 50 %, ce serait bien différent. »
Pour Maître Florian de Saint-Pol, « le franchisé peut trouver pénalisant le fait d’avoir, en plus des charges de la franchise classique, à distribuer des dividendes à son franchiseur et à lui devoir en outre une fraction du prix de vente de son affaire en proportion du nombre de parts qu’il détient. Cela peut le freiner dans son développement. »
« Tout dépend, c’est vrai, du niveau de la participation, ajoute l’expert, mais on est souvent en fait entre 25 et 35 %. »
« De toute façon, il peut être fatigant d’avoir à rendre des comptes au franchiseur en qualité d’associé, en plus de devoir le faire en qualité de franchisé. Quand les deux partenaires s’entendent bien, cela peut encore fonctionner, sinon cela peut devenir usant… »
« Préserver l’indépendance du franchisé »
En résumé, selon le banquier, « la participation d’un franchiseur au capital d’une société franchisée ne doit pas être trop importante. Il est là pour montrer qu’il croit en la personne du franchisé, pour l’accompagner. Mais il doit faciliter la reprise de ses parts par le franchisé, afin de faire en sorte que celui-ci devienne, en ce qui concerne son capital, totalement indépendant de lui le plus vite possible ».
« Quant au franchisé », conclut Lionel Régis, « il doit veiller à ce que la formule qu’on lui propose soit destinée à favoriser le développement de son entreprise et pas de celle du franchiseur. Car son but avec la franchise, c’est de pouvoir créer son affaire et de s’épanouir dans son entrepreneuriat. Il ne doit pas le perdre de vue. »