Pour rallier à elle une future concessionnaire – néophyte dans l’activité de bien-être – et lui faire investir plus de 200 000 €, une tête de réseau lui transmet des informations alléchantes en omettant de lui dire qu’elles concernent un autre concept… La cour d’appel de Paris sanctionne la manœuvre.
C’est suffisamment rare pour être souligné : la cour d’appel de Paris a décidé, par un arrêt du 27 mars 2024, l’annulation d’un contrat de concession pour dol.
Dans ce litige, le contrat est signé en janvier 2019 dans le secteur du bien-être et de la beauté. Mais l’établissement – ouvert en septembre de la même année selon le concédant – ne réalise qu’un chiffre d’affaires de l’ordre de 24 000 € sur l’exercice clos au 31 décembre. Se plaçant donc sur une ligne bien éloignée des 250 000 € annuels prévus.
Suite à un différend portant sur le paiement des redevances, le concédant (tête de réseau) décide en avril 2020 de résilier le contrat aux torts exclusifs de la société concessionnaire.
Peu après, l’exploitante assigne son concédant en justice pour obtenir l’annulation du contrat et des dommages et intérêts afin de compenser son préjudice qu’elle estime à près de 500 000 €.
En mai 2022, le tribunal de commerce annule le contrat mais accorde des indemnités très partielles à la concessionnaire dont la société a, entre-temps, été placée en redressement puis, en novembre 2020, en liquidation judiciaire.
Le liquidateur fait appel.
Pour la cour d’appel, le concédant n’a pas respecté le code de commerce sur l’information précontractuelle
Saisie, la cour d’appel de Paris confirme l’annulation du contrat de concession pour tromperie.
Les magistrats relèvent d’abord que, contrairement à ce que prévoit la loi, le DIP (Document d’information précontractuelle) remis à la concessionnaire le 24 juillet 2018 ne contenait « pas d’indication permettant d’identifier la société exploitant le site pilote » donné pourtant en référence.
En outre, cet établissement était fermé depuis le 31 juillet 2017. C’est-à-dire depuis moins d’un an. Cette fermeture aurait donc dû être signalée dans le DIP.
« En omettant de citer dans les annexes du DIP, l’existence et la date de fermeture de ce centre pilote, la société (concédante) n’a pas satisfait aux prescriptions de l’article R 330-1, 5ème alinéa du code de commerce sur la présentation du réseau d’exploitants », note la cour.
Mais ce n’est pas tout.
En transmettant des documents trompeurs, le concédant n’a pas respecté non plus le code civil sur le consentement
Avant la signature du contrat, relèvent les magistrats, la société concédante a transmis à sa future partenaire un document présentant les chiffres d’affaires de 7 centres en 2017.
Sauf que ces chiffres concernaient en réalité… des unités d’un autre concept, spécialisé dans le bronzage. Des chiffres attractifs compris entre près de 300 000 € et près de 500 000 € et donc susceptibles de tromper la candidate.
Par ailleurs le DIP était muet sur le fait que la tête de ce réseau de bronzage était en redressement judiciaire – depuis décembre 2017 pour la société en charge de son développement et depuis avril 2018 pour la holding -. De même, le concédant s’est abstenu de signaler les difficultés d’autres centres exploités sous cette enseigne.
« Selon l’article 1112-1 du code civil, rappelle la cour, celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. »
Le contrat de concession est annulé pour dol par réticence
Pour les magistrats, la société concédante « a induit en erreur » la future concessionnaire « sur la rentabilité de l’exploitation » que son concept pouvait dégager. Or, comme cette rétention d’information « portait sur la substance du contrat (…) dans lequel l’espérance de gain est décisive », elle a « été déterminante pour le consentement de la société concessionnaire qui ne se serait pas engagée si elle avait connu les difficultés financières (du concept donné en exemple) ».
En outre la concessionnaire, auparavant salariée dans l’industrie pétrolière, « était profane dans l’activité de bien-être et de la remise en forme lorsqu’elle a créé sa société ». Elle « a pu légitimement faire confiance » à la société concédante « quant aux renseignements lacunaires et trompeurs qui lui étaient transmis ».
Le contrat litigieux est annulé pour dol.
Plus de 250 000 € de remboursement et dommages et intérêts sont inscrits au passif de la société tête de réseau
La cour décide en conséquence le remboursement à la société concessionnaire de 35 851 € au titre des sommes versées en application du contrat (droit d’entrée, formation initiale, etc.) plus 228 905 € à titre de dommages et intérêts.
Cette seconde somme correspond à l’acquisition, pour plus de 150 000 € de 7 machines (cabines) destinées à des activités d’aquabiking, d’hydrothérapie et de cryothérapie (il était obligatoire pour la concessionnaire de s’approvisionner auprès du concédant ou des fournisseurs référencés). Montant auquel s’ajoutent les frais nécessités par les travaux d’aménagement du local (environ 70 000 €).
La cour écarte toutefois la demande du liquidateur de la société concessionnaire concernant le gain manqué, estimé pour une année, à plus de 190 000 €, au motif que la preuve n’est pas faite d’un « lien de causalité » entre la faute commise par le concédant et « le gain manqué allégué ».
Au total donc, ce sont 264 756 € qui sont inscrits au passif de la société concédante, placée en liquidation judiciaire le 14 décembre 2022.