Une société franchisée estimait qu’en lui accordant à plusieurs reprises des délais de paiement importants, le franchiseur avait contribué à sa perte et réclamait des dommages et intérêts de plus de 500 000 €. Elle est déboutée en appel.
Jusqu’où un franchiseur peut-il aller dans l’assistance qu’il accorde à un franchisé en difficulté financière ? A partir de quand est-il condamnable pour soutien abusif ? C’est à ces questions que la cour d’appel d’Angers a été amenée à répondre le 2 avril 2024.
Dans ce litige, le contrat est signé et un fonds de commerce acquis par le franchisé en décembre 2013. Pour financer le stock de marchandises d’une valeur de 105 000 € racheté à son prédécesseur, le franchisé conclut un crédit-vendeur à rembourser rapidement.
Mais dès les premiers mois d’exploitation, il éprouve des difficultés à payer les achats de marchandises qu’il réalise auprès de son franchiseur. Ce qui amène celui-ci à lui consentir des délais de paiements, transformant ses encours en crédits.
Entre 2014 et 2016, le franchiseur accorde au franchisé à quatre reprises des délais de paiement avec intérêt
Au total, quatre échelonnements sont accordés entre 2014 et 2016 sous forme de crédits de plusieurs dizaines de milliers d’euros chacun, remboursables selon les cas dans un délai compris entre 4 et 36 mensualités et à un taux d’intérêt de 6 % en 2015, puis 3 % en 2016.
Plombés dès le départ par son manque de trésorerie lié à l’achat du stock, les résultats financiers de la société franchisée partent d’assez bas puis s’améliorent peu à peu.
Après une perte de près de 100 000 € sur le premier exercice (2014), le résultat négatif passe à moins de 48 000 € en 2015. Puis, la société dégage un résultat net positif de près de 10 000 € à la fin de l’exercice 2016.
Mais cela n’est pas suffisant. En avril 2017, une procédure de sauvegarde est ouverte pour la société franchisée qui termine l’année avec un résultat net négatif de 124 000 €. En juillet 2018, elle est placée en redressement puis, en septembre de la même année, en liquidation judiciaire.
En 2019, la créance du franchiseur s’élève encore à 345 000 €, bien que certains remboursements aient été effectués par le franchisé.
Pour le liquidateur de la société franchisée, il y a eu « soutien abusif » de la part du franchiseur
En 2020, le liquidateur de la société franchisée assigne le franchiseur en justice.
Selon lui, le franchisé a été victime du soutien abusif du franchiseur, qui, par ses interventions, a « contribué à prolonger artificiellement l’activité déficitaire (de la société franchisée) au détriment de la collectivité des créanciers ». Il réclame 575 000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
Selon le plaignant, le franchiseur avait en sa possession, au moment où il a accordé chacun de ses crédits, tous les éléments lui permettant de comprendre que la situation financière de la société ne pouvait pas être redressée. Et qu’elle ne pourrait pas faire face à ses engagements de remboursement.
En outre, il s’est immiscé dans la gestion du franchisé en exigeant de lui un plan d’action précis et en entrant en contact avec son expert-comptable pour veiller à son application.
En 2022, le tribunal de commerce d’Angers déboute le liquidateur, qui fait appel.
Pour la cour d’appel, rien ne prouve que la situation de la société franchisée était « irrémédiablement compromise » lorsque le franchiseur a accordé ses crédits
Saisie, la cour d’appel d’Angers confirme en tous points le jugement de première instance. Pour elle, il n’y a pas eu de soutien abusif.
Pour cela, rappellent les magistrats, il aurait fallu, comme le précise l’article L.650-1 du code de commerce, qu’il y ait eu fraude, immixtion caractérisée dans la gestion (du franchisé) ou demande de garanties disproportionnées aux concours accordés. Cela n’a pas été le cas.
Certes, reconnaissent les magistrats, les niveaux de chiffre d’affaires et de marges indiqués par le franchiseur comme devant être atteints pour rembourser les créanciers ne l’ont jamais été.
Certes, différentes pièces montrent que le franchiseur avait « une parfaite connaissance de la situation financière de la société franchisée et de ses difficultés structurelles » quand il a accordé ses crédits. Mais « cela est insuffisant pour démontrer que cette situation était alors irrémédiablement compromise ».
La cour note que le diagnostic du franchiseur était, en avril 2015, accompagné d’une analyse précise du bilan de l’entreprise franchisée et de conseils pour remédier à la régression du chiffre d’affaires et alléger certaines charges. « Les indicateurs financiers se sont d’ailleurs améliorés au cours des années 2015 et 2016 », ajoutent les juges.
Par ailleurs, « il n’est pas démontré que les crédits auraient été ruineux » ni accordés « à des taux anormaux. »
De même, les magistrats estiment qu’il n’y a pas eu immixtion du franchiseur dans la gestion, mais simplement assistance commerciale au franchisé
Quant à l’immixtion du franchiseur dans la gestion de la société franchisée, la cour rappelle que le contrat de franchise concerné obligeait le franchiseur à assister son partenaire dans le domaine commercial.
Et que, pour ce faire, le franchisé s’était engagé à permettre l’accès du franchiseur à ses statistiques commerciales à l’aide d’un logiciel spécifique et à lui remettre une copie de ses comptes annuels (bilans et comptes de résultats).
Pour la cour, les recommandations transmises par le franchiseur telles qu’elles apparaissent dans ses écrits au franchisé et ses comptes-rendus de visite, « entraient dans le cadre de son obligation d’assistance. »
Les juges ajoutent que « la seule existence de contacts entre la société (franchiseur) et l’expert-comptable de la société (franchisée), justifiée par la nécessité de se renseigner sur les moyens de redressement de l’entreprise (…) n’est pas suffisante pour démontrer qu’elle aurait mené une activité de direction dans l’entreprise (franchisée). »
Selon la cour, il n’y a pas eu non plus de « fraude » de la part du franchiseur
Enfin, pour la cour, il n’y a pas eu non plus de fraude. « Dans le cas présent, le seul fait d’étaler le paiement de ses créances dans le but de maintenir l’activité du débiteur, pour en être payé ne caractérise pas une fraude ». La cour n’ayant pas constaté l’utilisation de « moyens déloyaux » ou « d’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive. »
En résumé pour la cour d’appel : pas de crédits fautifs, pas d’immixtion dans la gestion et pas de fraude ; les premiers juges ont eu raison de refuser la demande d’indemnisation du liquidateur judiciaire.