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      Franchise : que se passe-t-il en cas de rupture des pourparlers précontractuels ? - Brève du 2 décembre 2024

      Brève
      2 décembre 2024

      La cour d’appel de Versailles a sanctionné un franchiseur pour avoir fait durer les pourparlers précontractuels de manière excessive et les avoir rompus de façon abusive. Les indemnités accordées au candidat-franchisé évincé ne sont toutefois pas à la hauteur de ses demandes.

      Les franchisés peuvent négocier une durée de contrat plus courteDans ce dossier, le litige éclate en novembre 2018, lorsqu’un futur franchisé apprend que sa candidature, qu’il avait cru validée depuis plusieurs mois, est finalement écartée par l’enseigne qu’il voulait rejoindre.

      Estimant que cette rupture est abusive, car sans motif justifié, il assigne le franchiseur en justice et réclame des dommages et intérêts de 500 000 €, afin de compenser les préjudices subis.

      Déçu par le montant des indemnités qui lui sont accordées en première instance (20 000 €), il fait appel du jugement, comme le franchiseur qui, de son côté, considère qu’il n’a pas commis de faute.

      Le franchiseur estime ne pas avoir commis de faute et avoir agi de bonne foi

      Devant les magistrats d’appel, le franchiseur affirme avoir mené les pourparlers précontractuels de bonne foi comme la loi l’exige.

      Selon lui, les négociations n’ont duré en fait que quatre mois à partir de juillet 2018, lors de l’obtention d’un bail commercial par l’enseigne pour le candidat.

      Quant à l’implication de celui-ci dans le montage de son dossier de franchise, elle aurait été « subsidiaire, voire négligeable ». Et « rien ne pouvait lui permettre de penser jusqu’à cette date » que sa candidature avait été validée.

      Une candidature qui a été refusée ensuite « au regard des doutes et du manque de confiance dans ses capacités managériales », révélées par un stage d’immersion dans un établissement de la chaîne effectué en septembre 2018. Or, la capacité à diriger une équipe d’une vingtaine de personnes était un critère essentiel aux yeux de la nouvelle direction générale arrivée à la tête du réseau en janvier 2018.

      Toujours selon le franchiseur, le candidat n’a pas été pris par surprise puisqu’avant ce stage, il a validé un document dans lequel il était clairement indiqué que la signature d’un contrat de franchise a l’issue de l’immersion n’était pas automatique.

      Pour le franchisé au contraire, le franchiseur a rompu les pourparlers précontractuels de manière abusive

      Pour le candidat-franchisé, au contraire, les pourparlers avec le franchiseur ont duré près de deux ans puisqu’ils ont commencé en février 2017 lors de son dépôt de candidature.

      Pendant toute la période qui a suivi, il affirme avoir échangé avec l’ensemble des collaborateurs de l’enseigne et avoir eu plusieurs rendez-vous au siège social de l’entreprise.

      Il déclare s’être tenu informé de l’avancée des recherches de manière détaillée, avoir effectué des études pour divers sites dans trois localités différentes et participé à deux stages d’immersion en octobre et novembre 2017. Puis il a fait appel à un cabinet d’expertise comptable afin de réaliser un prévisionnel et a été reçu au siège pour la mise en place de son projet le 23 juillet 2018.

      Il ne comprend pas pourquoi il a été évincé par la suite puisqu’il a reçu, le 25 juillet 2018, un SMS du responsable développement de la franchise lui confirmant la validation de sa candidature.

      En outre, selon lui, ses compétences en management ne faisaient pas de doute au regard de ses expériences antérieures. D’ailleurs, il a été présenté par l’enseigne à un bailleur comme un candidat connu localement et expérimenté dans le secteur d’activité.

      Pour lui, en gérant et rompant les pourparlers précontractuels comme il l’a fait, le franchiseur a fait preuve de mauvaise foi. Il doit être sanctionné.

      Pour les juges, la candidature du plaignant avait été retenue par le franchiseur, « contrairement à ce qu’il soutient »

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLes juges donnent raison au plaignant.

      Pour eux, au vu du témoignage du chargé de développement franchise de l’époque ainsi que des pièces transmises par les parties, et notamment des mails échangés tout au long de l’année 2017 comme en 2018 « le candidat était en pourparlers constants avec l’enseigne pour des visites et des échanges ». 

      De même, l’organisation de stages d’immersion dans des établissements de la chaîne lors de l’automne 2017, non contestée par le franchiseur,  « prouve que le candidat avait déjà passé (alors) l’étape de validation du dossier de candidature écrit. »

      Enfin, « un mail du 21 juin 2018 (qui) transmet un dossier d’implantation complet en vue d’une étude prévisionnelle par un expert-comptable (indique que) le processus de sélection du candidat était déjà bien avancé. »

      « Au regard de ces éléments (…), en déduisent les magistrats, il est patent que la candidature (du plaignant) avait été retenue par (le franchiseur), contrairement à ce que celui-ci soutient. »

      Le SMS du chargé de développement daté du 25 juillet 2018 est d’ailleurs « sans équivoque » à ce sujet.

      Enfin la clause couperet du contrat de stage de septembre 2018, dont il n’avait pas été question jusque-là entre les parties, « ne saurait être considérée comme un simple rappel des conditions de pourparlers (pré)contractuels et doit s’apprécier au contraire comme une intention (du franchiseur) de se libérer de tout engagement ». Une décision « déjà prise à l’égard du candidat à la franchise » selon les juges, au vu des mails échangés alors en interne au niveau de la direction de la chaîne.

      Le franchiseur est sanctionné pour rupture fautive des pourparlers précontractuels

      Les magistrats rappellent la règle en la matière : à savoir l’article 1104 du code civil, selon lequel « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi (…) ».

      Or, précisément, selon la cour dans ce litige : « La mauvaise foi (du franchiseur) est rapportée », dans la mesure où « il a été demandé (au candidat-franchisé) une implication dans son projet (…) durant plus d’une année et demie avant que le processus ne s’arrête sans que ne lui soit expliqué cette cessation, malgré les liens constants qui avaient existé durant cette période. »

      En conséquence, comme les juges consulaires, les magistrats de Versailles considèrent que le franchiseur « a fait durer les pourparlers (précontractuels) de façon excessive et (les) a rompu de manière abusive. »

      Déception du franchisé sur le montant des dommages et intérêts

      Mais si elle sanctionne le franchiseur, la cour d’appel n’accorde pas au candidat à la franchise toute l’indemnisation qu’il réclamait.

      Comme les premiers juges, les magistrats de Versailles écartent tout remboursement des résultats d’exploitation qu’il aurait pu réaliser si les pourparlers précontractuels n’avaient pas été rompus (de l’ordre d’après lui de 220 000 € sur trois ans, selon le prévisionnel établi par l’expert-comptable).

      A ce sujet, la cour fait référence à l’article 1112 alinéa 2 du code civil selon lequel « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. »

      Les juges écartent aussi d’autres demandes portant sur des centaines d’heures perdues (non évaluées financièrement par le plaignant) ou correspondant à des intérêts non perçus (sur 300 000 € « bloqués » pour cet investissement au lieu d’être placés), cette perte n’étant à leurs yeux pas démontrée.

      En revanche, ils estiment que les frais (de déplacement, temps de négociation, temps de travail pour les études d’implantation, stages effectués) réalisés par le candidat à la franchise doivent lui être remboursés, puisqu’il a « été laissé dans la croyance que le contrat allait se conclure, alors que le franchiseur savait que cela ne serait pas le cas ». La cour prend en compte toute la période, de février 2017 à septembre 2018 inclus et fixe la somme à 8 800 €.

      Enfin, elle reconnaît que le candidat à la franchise « a incontestablement subi un préjudice moral », mais là où il l’estimait à 100 000 €, elle le limite à 20 000 €.

      >Références de la décision :

      -Cour d’appel de Versailles, 26 septembre 2024, n° RG 22/02973

      >A lire aussi sur le sujet

      -L’article d’Anouk Bories, maître de conférences à l’université de Montpellier, dans le numéro de novembre 2024 de la Lettre de la Distribution.