Un couple de franchisés obtient de la justice un plan de sauvegarde lui permettant de modifier l’objet social de sa société et de pouvoir changer d’enseigne hors du groupe Carrefour. La filiale du franchiseur présente au capital s’y oppose jusqu’en cassation. En vain.
La Cour de cassation a rejeté, par un arrêt du 26 mars 2025, le pourvoi formé par une filiale du groupe Carrefour dans un litige l’opposant, à propos de franchise participative et de procédure de sauvegarde, à un couple d’ex-franchisés Carrefour Contact.
Dans cette affaire, un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement sont signés en 2013 pour 7 ans. Jusqu’en 2016, l’entreprise franchisée est bénéficiaire, mais ses comptes se dégradent par la suite et elle subit des pertes en 2019.
Les franchisés annoncent alors qu’ils arrêteront leurs contrats en décembre 2020 et sollicitent du tribunal de commerce l’ouverture d’une procédure de sauvegarde afin de redresser leur situation.
Le couple de franchisés sollicite une procédure de sauvegarde afin de pouvoir redresser l’entreprise en dehors du groupe Carrefour
Le couple de franchisés invoque pour cela l’insuffisance de ses marges, due selon lui notamment au coût trop élevé de son approvisionnement, mais met également en avant des difficultés prévisibles d’ordre juridique.
Il souhaite en effet rejoindre à la fin de son contrat une enseigne d’un groupe concurrent qui semble lui offrir de meilleures conditions. Or l’objet social de la société franchisée prévoit, à la demande du franchiseur, que son fonds de commerce doit impérativement être exploité sous l’une des enseignes du groupe Carrefour.
Par ailleurs, Carrefour détient, via une de ses filiales, 26 % du capital de la SARL (formule de franchise participative systématique chez Carrefour Proximité). Et pour modifier l’objet social contraignant, il faut réunir une majorité des trois-quarts des associés, soit 75 %, ce qui n’est pas possible quand on n’en détient que 74 %…
Le couple de franchisés sait aussi que la filiale du groupe s’opposera à toute mutation du fonds de commerce vers la concurrence.
Le tribunal de commerce ouvre cette procédure et arrête un plan de sauvegarde permettant le changement d’enseigne
Début 2020, le tribunal donne satisfaction aux franchisés et ouvre la procédure de sauvegarde. Puis, le 9 avril 2021, arrête un plan de sauvegarde de la société franchisée dont, entre-temps, le magasin est passé à la concurrence.
Ce plan prévoit entre autres qu’une assemblée générale des associés se réunira et décidera à la majorité simple* la modification des statuts, conformément aux dispositions de l’article L.626-3 du code de commerce concernant les entreprises en difficulté.
Aussitôt, comme elle l’a fait précédemment (en vain) à chaque étape du processus judiciaire**, la filiale de Carrefour fait opposition à ce plan.
Une opposition rejetée par le tribunal de commerce le 21 décembre 2022 puis par la cour d’appel d’Amiens le 28 novembre 2023.***
C’est contre ce dernier arrêt que la filiale de Carrefour se pourvoit en cassation.
La filiale du groupe Carrefour présente au capital cherche à obtenir la rétractation du plan de sauvegarde de la société franchisée
Devant la plus haute juridiction française, la filiale du franchiseur affirme que la cour d’appel n’a pas respecté l’article L.626-3 du code de commerce.
D’une part parce que, selon elle, le tribunal de commerce ne pouvait pas établir le plan de sauvegarde avant que les modifications statutaires soient intervenues.
D’autre part, parce que le tribunal n’a pas défini « les termes exacts du projet de modification statutaire » lorsqu’il a établi le plan.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la filiale de Carrefour contre le plan de sauvegarde de la société franchisée
La Cour de cassation considère pour sa part que la filiale de Carrefour « ne démontre pas que le jugement du 9 avril 2021 (établissant le plan de sauvegarde de la société franchisée) aurait été rendu en fraude de ses droits. »
Pour la Cour, les magistrats d’appel ont eu raison de considérer que si (en général) le fait de modifier les statuts avant d’établir un plan de sauvegarde peut faciliter l’adoption de ce plan, « cette antériorité n’est pas imposée par la loi ».
Laquelle « n’exclut pas que le jugement adoptant le plan prévoit également les conditions dans lesquelles les statuts doivent être modifiés ».
De même, la cour d’appel a pu estimer, compte tenu de la minorité de blocage de la filiale de Carrefour pour changer d’enseigne, que « la nécessité de modifier les statuts s’imposait pour élaborer un plan de sauvegarde ».
Enfin, dans la mesure où elle a relevé que les modifications statutaires projetées figuraient dans la note de l’administrateur jointe au projet de plan présenté au tribunal ; dans la mesure aussi où la filiale de Carrefour a participé à une assemblée générale en octobre 2020 où le sujet a été abordé et a refusé les modifications envisagées, la cour d’appel a pu considérer en effet que cette filiale était « mal fondée à soutenir qu’elle (en) ignorait le détail. »
En conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi de la filiale du franchiseur.