Le texte en vigueur depuis le 1er juin 2010 n’est pas très différent de son prédécesseur, à part, essentiellement, dans ses lignes directrices, sur les ventes par Internet. Rappelons que, même si le texte n’a pas force de loi pour la plupart des réseaux, il les concerne très directement dans la mesure où juges et autorités de concurrence l’utilisent comme guide d’analyse.
Un texte essentiel débattu lors d’un colloque organisé par la Fédération française de la franchise le 28 juin 2010.
Le nouveau règlement européen sur les « accords verticaux », adopté le 20 avril 2010 par la Commission et en vigueur depuis le 1er juin 2010 – et pour 12 ans – confirme que les contrats de franchise ne sont pas contraires au traité de Rome. Autrement dit les accords entre franchiseurs et franchisés ne font pas partie, a priori, des pratiques anticoncurrentielles prohibées par Bruxelles.
« Pour l’essentiel, la Commission s’est placée dans la continuité du règlement précédent » a rassuré Andreï Gurin, l’un des rédacteurs du texte devant un parterre de franchiseurs et d’experts réunis le 28 juin dernier par la Fédération française de la franchise. « Avec une approche plus économique toutefois, a-t-il ajouté, par exemple, en cherchant à mesurer le » pouvoir de marché » des entreprises, des fournisseurs (donc des franchiseurs) mais aussi des acheteurs (franchisés). »
Qui est concerné : les nouvelles règles
Parmi les points du règlement qui ont évolué : le mode de calcul du poids économique qui détermine son champ d’application. Rappelons qu’il est nécessaire de représenter 30 % d’un marché pour être concerné. Au-dessus, obtenir une exemption individuelle est nécessaire, en-dessous le texte n’a pas force de loi, (mais les juridictions, tant européenne que nationales, s’en inspirent quand même)
Ce qui est nouveau sur ce plan, c’est d’abord la notion de double seuil : celui du fournisseur (franchiseur) auquel s’ajoute maintenant celui de l’acheteur (franchisé). Puis le calcul de la part de marché de l’acheteur, qui s’effectue sur son marché d’approvisionnement – pour mesurer sa capacité d’achat – et non sur le marché final, (contrairement au fournisseur). Nb : il faut que chaque partie à l’accord atteigne le fameux niveau de 30 %.
« Nous avons été entendus sur ce point » a commenté Guy Gras, directeur juridique du groupe Yves Rocher et président de la FFF. La franchise craignait en effet que si la part de chaque franchisé était calculée sur le marché des produits qu’il revend, certains dépassent facilement les fameux 30% de parts sur leur zone et tombent sous le coup d’une exemption individuelle (ce que la Commission, qui a autre chose à faire, ne souhaitait sans doute pas non plus.)
Des nuances significatives à propos du savoir-faire ?
Autre changement pointé par la F.F.F. : le fait que le savoir-faire (élément fondamental de la franchise) soit considéré par la Commission comme « un droit de propriété intellectuelle ». Or, l’article II/3 du texte stipule que si un contrat a « pour objet principal » un droit de propriété intellectuelle, il n’est pas couvert par le règlement.
« Loin de nous l’idée de malmener la franchise » a expliqué Andreï Gurin. « Le savoir-faire/droit de propriété intellectuelle, c’est une définition de l’OMC, nous devions l’intégrer au texte par souci de cohérence. Quant à l’objet principal qui permet d’être dans le champ du règlement, c’est la vente de biens et/ou de services. Il n’y a donc pas de problème puisque la franchise n’est pas qu’une transmission de savoir-faire, le franchiseur propose souvent des services marketing par exemple. De plus la franchise suppose une collaboration après la vente du savoir-faire. «
Autre modification concernant cette fois le caractère « substantiel » du savoir-faire: dans le texte précédent, il devait contenir des informations « indispensables » pour l’acheteur (le franchisé) maintenant seulement « significatives et utiles ». « Quelle a été sur ce point la volonté de la commission ? S’agit-il d’une déliquescence de la notion de savoir-faire ? « s’est interrogé Guy Gras. Qui n’a pas obtenu de réponse.
Les ventes sur Internet balisées
En dix ans, le e-commerce s’est considérablement développé. Il était temps que le règlement en tienne compte. Un nombre non-négligeable de « lignes directrices » énumèrent ainsi les nouvelles règles de la vente en ligne en Europe.
« D’abord la distinction actuelle entre ventes actives et passives en général est maintenue et le texte la clarifie pour les ventes en ligne » a posé Andréï Gurin qui a rappelé les principales nouveautés : « les distributeurs doivent être autorisés à vendre sur internet et ne doivent pas être contraints, par exemple, de rediriger automatiquement les clients internautes vers un autre distributeur (ou le franchiseur). On ne doit pas non plus les limiter en ce qui concerne le % des ventes qu’ils effectuent sur internet (par rapport à leurs ventes totales). Il est possible de protéger les ventes actives. Ainsi on peut obliger les distributeurs à ouvrir un ou plusieurs points de vente physique, vendre une certaine quantité en ligne (en valeur absolue), suivre des normes de qualité et de service et utiliser des plate-formes conformes. »
Guy Gras s’est félicité de l’obligation de disposer de points de vente physiques, qui peut être imposée par les fournisseurs aux acheteurs (franchiseurs aux franchisés). « L’intérêt de tous les réseaux – succursalistes inclus – a été pris en compte et les « pure players » se voient moins favorisés qu’ils ne l’auraient souhaité… « , a relevé le président de la fédération.
Ventes en ligne actives et passives : frontière délicate
La distinction entre ventes actives et passives fait toutefois débat et soulève par exemple les inquiétudes de certains avocats conseils des franchiseurs, tel que François-Luc Simon (Simon Associés).
Qu’entend-on par vente active en ligne ? « Selon les lignes directrices, explique l’avocat, on peut comprendre qu’il s’agit des actions visant à prospecter une clientèle ou des clients, à l’intérieur d’un périmètre donné, par des courriels non-sollicités, des bandeaux visant un territoire, des espaces achetés sur des moteurs de recherche ou des fournisseurs de publicité. L’approche de la Commission n’est toutefois pas seulement technique, mais aussi économique. Ainsi, la LD 51 précise bien que le franchisé doit pouvoir vendre sur internet sur un territoire qui dépasse sa zone d’exclusivité. Mais, attention : lorsque les dépenses engagées pour cela lui confèrent un avantage économique il s’agit en fait d’une vente active. A l’inverse, s’il fait de la publicité juste pour vendre sur sa zone, c’est de la vente passive autorisée. »
« Autant dire que la frontière est délicate et que des contentieux risquent d’éclore à ce sujet. » s’inquiète l’expert.
Libertés des franchisés… et des franchiseurs
Si, globalement, le texte de la Commission insiste sur les libertés qu’il convient de laisser aux acheteurs (franchisés) pour la vente en ligne, l’avocat a aussi pointé, dans les « nombreuses lignes directrices » balisant le sujet, un certain nombre de limites à ce principe général, limites qui sont favorables aux fournisseurs (franchiseurs)
« S’il est, en effet, interdit de contraindre les franchisés à re-router automatiquement les clients vers le site de la tête de réseau, le site du franchisé peut être obligé (paragraphe 52) de présenter un certain nombre de liens avec d’autres sites (franchisés/franchiseur).
« De même, s’il n’est pas possible de limiter la part des ventes réalisées par internet, le franchiseur peut (52c) exiger du franchisé qu’il réalise une certaine quantité de ventes hors ligne en valeur absolue (un volume minimum dans le point de vente physique)
« S’il est interdit de vendre plus cher en ligne qu’en magasin, cela n’exclut pas (64) un double système de prix si la vente en ligne s’accompagne d’un service supplémentaire du type livraison ou montage à domicile.
« Enfin, si le paragraphe 54 permet aux fournisseurs d’exiger de leurs distributeurs qu’ils disposent de un ou plusieurs points de vente physiques avant de vendre sur internet, le fournisseur peut imposer des normes de qualité (sur le site du franchisé), par exemple un slogan, la charte graphique, la charte technologique ou la présentation des produits.
« On laisse donc une grande marge de manœuvre au franchiseur, conclut l’avocat. Même si ces restrictions doivent comme toujours rester proportionnées à l’intérêt recherché. »
Les regrets de la fédération
Au total, si les dirigeants de la Fédération française de la franchise se félicitent de la plupart des nouveautés de ce règlement, ils regrettent toujours que « la franchise n’y soit pas considérée en tant que telle, et qu’elle soit seulement définie dans les lignes directrices, qui ne s’imposent pas aux juges ». Même si, on le sait, elles aussi leur servent de guide d’analyse.
Lire également sur le sujet les articles de :
–Maître Frédéric Fournier : la réforme des règles de concurrence
-Maître Hubert Bensoussan : les ventes en lignes à la lumière du nouveau réglement
-Maître Hubert Bensoussan : vers des prix de revente imposés ?