Les deux grandes formules du commerce indépendant organisé s’appuient sur des modèles spécifiques, avec leurs avantages et limites respectifs. Toutefois, de nombreux points de convergence et des pratiques communes se font jour.
McDonald’s, Yves Rocher, Alain Afflelou, Speedy, Guy Hoquet l’Immobilier d’un côté. Intermarché, Intersport, Optic 2000, Point S, Orpi, de l’autre. Dix marques parmi les leaders de leur marché, dix grandes enseignes ayant tout ou partie bâti leur réseau de distribution en recrutant des chefs d’entreprise indépendants : des franchisés pour les premières, des adhérents (également appelés coopérateurs) s’agissant des secondes.
Franchise et coopérative (commerce associé) sont les deux grandes formules de développement du commerce indépendant organisé. Les chiffres témoignent de leur poids dans le paysage commercial. “La franchise, c’est 1 719 réseaux et plus de 65 000 points de vente franchisés pour un CA global de 48 milliards d’euros”, rappelle Rose-Marie Moins, responsable formation et promotion à la Fédération française de la franchise.
De son côté, le commerce associé “fédère 84 groupements dont les 148 enseignes exploitent 42 677 magasins pour un volume d’activité de 141,9 Mds€, soit 30 % du commerce de détail en France”, indique Anne-Sophie Menu, responsable communication de la Fédération du commerce associé.
Difficile d’opposer frontalement franchise et coopérative, “deux modèles expérimentés qui ont fait leurs preuves et répondent à des réalités de terrain spécifiques, souligne Martin Le Péchon, avocat spécialisé en droit de la franchise. En termes de développement et de capacité à porter un réseau, franchise et coopérative se rejoignent : le but est d’avoir une enseigne commune et de mutualiser moyens et compétences”.
La franchise repose sur trois piliers : une marque protégée mise à disposition du franchisé ; un savoir-faire dont le franchiseur a prouvé l’efficacité ; une assistance et un accompagnement du franchisé durant toute la durée du contrat.
En franchise, le partage des rôles est clair : le franchiseur, propriétaire du concept et du capital, insuffle la politique générale et prend les décisions stratégiques. Le franchisé, lui, est un commerçant indépendant qui fait vivre son entreprise conformément à la politique commerciale et aux modalités du contrat définies par la tête de réseau. La franchise est donc de nature verticale : le franchiseur décide, le franchisé exécute. « Ces commerçants indépendants veulent bénéficier du concept clé en main élaboré par le franchiseur sans avoir à s’impliquer, à devoir se rendre à des assemblées générales pour donner leur avis sur tel ou tel sujet”, assure Martin le Péchon.
A l’inverse, l’implication est au cœur de l’ADN du commerce associé qui découle de la volonté de plusieurs entrepreneurs de se regrouper. La spécificité du modèle, horizontal, réside dans le fait que le capital du groupement ou de la coopérative est codétenu par les adhérents, lesquels sont donc à la fois acteurs de la gestion quotidienne des points de vente et décideurs de la stratégie globale (gouvernance, politique commerciale…) de l’ensemble du réseau.
Démocratique, la coopérative repose sur un principe égalitaire : un homme égale une voix, quel que soit le nombre de magasins détenus par tel ou tel adhérent. Vote du budget, des comptes, changement de positionnement marketing, centrale d’achats : les adhérents prennent toutes les décisions conjointement sous l’égide d’un conseil d’administration élu par les sociétaires.
Spécifiques dans leur fonctionnement, les deux formules présentent des points forts et des limites. Le grand atout de la franchise, c’est “la clarté de l’organigramme décisionnel”, estime Martin Le Péchon. L’avocat souligne d’autres avantages : “La franchise est un modèle assez simple à mettre en place, davantage que le groupement. Le développement d’un réseau franchisé est potentiellement plus rapide et plus facilement exportable à l’international”.
Pour ce qui est des limites, Rose-Marie Moins (FFF) reconnaît que la coopérative offre peut-être au commerçant “plus de souplesse dans l’exploitation du point de vente, moins de formalisme et d’obligations qu’en franchise”. Moins impliqués car non décisionnaires de la politique générale de l’enseigne, les franchisés peuvent faire souffler un vent de fronde au sein du réseau, pour peu que l’autorité du franchiseur soit mal ressentie. Une situation qui fragilise les deux parties…
Pour sa part, “la coopérative est un modèle qui, bien bâti, offre très souvent une grande durabilité et une forte efficacité commerciale”, selon Martin Le Péchon. Bien des groupements ont près de cent ans d’ancienneté. “Quand une coopérative dégage des bénéfices, ceux-ci sont aussitôt réinvestis pour pérenniser le réseau”, précise Anne-Sophie Menu (FCA).
La grande force du groupement – son caractère égalitaire et démocratique – peut toutefois devenir sa pire faiblesse. “Un réseau où chaque adhérent s’exprime sans qu’il y ait de capacité à trancher en cas de difficulté peut conduire à de sérieux points de blocage ou de paralysie”, explique Martin le Péchon.
Sur le terrain, les deux organisations se croisent de plus en plus : la franchise emprunte les bonnes pratiques en vigueur dans le système coopératif. Et inversement. Instances de concertation, valorisation des remontées terrain et de l’expérience des commerçants : voilà qui rappelle les vertus du système coopératif !
De la même manière, le commerce associé s’approprie, depuis plusieurs années, des outils “estampillés franchise” relatifs au contrôle du réseau et à la bonne mise en œuvre des stratégies nationales de l’enseigne. Les groupements ont notamment fourni de gros efforts pour se doter ou renforcer leurs équipes d’animations afin d’accompagner et de conseiller au quotidien les commerçants… tout en veillant à la parfaite modélisation du concept et à l’homogénéité du réseau.
Confrontées aux mêmes problématiques de crise (financements difficiles, apport personnel insuffisant de candidats qualifiés) et au même impératif – assurer la pérennité du réseau (surtout en coopérative) –, franchise et commerce associé travaillent sur de nouveaux mécanismes de fonds d’aide au financement. Objectifs : promouvoir la solidarité à l’intérieur du réseau, permettre à un salarié d’ouvrir sa propre affaire et faciliter la transmission d’un point de vente.
Intersport (635 points de vente détenus par 300 sociétaires) a ainsi créé Expan Export, une coopérative financière associée destinée à faciliter les projets de reprise ou de création. Même logique chez Atol (800 magasins d’optique adhérents) qui, avec l’appui de sa société à capitaux coopératifs Archipel, a déjà permis à une vingtaine de jeunes diplômés de se mettre à leur compte.
Dans la distribution alimentaire, Système U (1 559 points de vente ; 750 associés) a conçu divers outils de coparticipation, de cofinancement et de parrainage pour des créations ou des agrandissements de magasins. Côté franchise, le géant du hamburger, McDonald’s (1 300 restaurants en France dont 80 % en franchise) a aussi mis en place un “fonds de financement des franchisés” pour favoriser les cessions d’établissements et apporter le complément de fonds propres à de jeunes entrepreneurs, internes au réseau ou extérieurs.
Les exemples de pratiques communes sont donc légion. Ils témoignent assurément de la vitalité et du caractère proactif des réseaux de franchise et des coopératives. Un partout, la balle au centre !
Benoît Ganem, ancien dirigeant de coopérative (Espace Enchanté Vilmorin/Villaverde) est le président, depuis 2009, du groupe Flora Nova qui exploite les franchises Le Jardin des Fleurs et Oya Fleurs. Il nous donne son avis sur chacun des deux modèles.
Franchise Magazine : Peut-on opposer franchise et coopérative ?
Benoît Ganem : Non ! Sur le cœur de métier commun – développer un réseau avec les bons ingrédients – il n’y a pas de différence. Les deux modèles ont pour objectifs de fédérer et de mutualiser.
Coopérateurs et franchisés ont chacun un contrat avec des droits et des obligations. Le lien capitalistique confère peut-être un sentiment d’appartenance plus fort au modèle coopératif… La présence d‘adhérents au capital peut permettre de couper court à toute éventuelle suspicion envers la tête de réseau quant à sa propension à travailler « pour sa pomme », mais dans le fond on ne peut pas opposer les deux modèles.
F. M. : Quel est selon vous le principal facteur de réussite d’un réseau ?
B. G. : Il faut une ligne de conduite claire portée par un patron, une direction générale qui rende des comptes mais demeure référente. En coopérative, la dimension politique est plus forte avec des courants d’influence que nous ne retrouvons pas en franchise. Le risque de « bazar » ou de paralysie existe si chacun se prend pour le chef et veut infléchir la politique nationale de l’enseigne pour défendre ses intérêts locaux.
En franchise, le franchiseur est certes au service de l’exploitation quotidienne des magasins franchisés – équipes d’animation, commissions… – mais il doit avoir une vision stratégique à long terme. On n’attend pas des franchisés qu’ils donnent le ton des grandes orientations.
F. M. : Faut-il, selon son profil, choisir plutôt l’un ou l’autre modèle ?
B. G. : Ce qui compte, c’est de choisir la bonne enseigne sur le bon marché, d’adhérer aux valeurs de l’entreprise, d’être en phase avec son projet, ses hommes, son mode de fonctionnement. Le futur franchisé ou adhérent doit rencontrer les dirigeants, s’intéresser à la partie non visible de l’iceberg pour trouver le bon réseau en adéquation ses aspirations.