Activité et résultats en berne, sorties de réseaux et litiges : après plusieurs années d’expansion galopante, les chaînes de pâtes font la grimace. Des ingrédients imprévus ont gâté la sauce. Les franchiseurs réagissent. Mais les experts s’interrogent.
Les pâtes ne sont plus ce qu’elles étaient
Les autres réseaux du secteur ont souffert autant, voire davantage : Pastacosy, qui annonçait 29 unités début 2012 en affiche maintenant 18. Comptoir Del Pasta a chuté sur la même période de 15 à 8. Quant à Viagio, du groupe Bertrand, il s’est effondré (de 22 à 4).
Les difficultés ont commencé en 2011 et se sont amplifiées depuis. Pour les franchisés, les sorties de réseaux se comptent par dizaines (plus de 50 au total en 2012). Il n’est pas rare qu’elles se terminent par une liquidation judiciaire (15 l’an dernier) et la perte, parfois, de plusieurs centaines de milliers d’euros. Le mouvement se poursuit en 2013. Des franchisés de plusieurs enseignes, certains regroupés en association, ont confié leurs intérêts à des avocats spécialisés. Des procès sont en cours.
Crise, évolution du marché : les enseignes relativisent
Côté franchiseur, on avance plusieurs explications. D’abord la conjoncture : « Il n’y a pas de problème spécifique aux pâtes ; aujourd’hui toute la restauration – y compris la restauration rapide – souffre, argumente Éric Senet, co-fondateur et dirigeant, avec Franck Riehm, de Nooï. Les gens n’ont plus d’argent et se livrent à des anticipations négatives. De plus en plus d’actifs consomment au travail des sandwiches qu’ils ont préparé chez eux. »
Nommé récemment à la tête de Mezzo di Pasta par le fonds d’investissement Bridgepoint, Robert Ostermann évoque pour sa part le contexte concurrentiel : « le marché de la restauration rapide a évolué. Entre 2004 et 2012, le nombre de points de vente est passé de 14 000 à 23 000. Les montées en puissance de chiffres d’affaires ne sont donc plus du tout les mêmes. » D’où, selon lui, la « nécessité d’un coup de frein » (après un développement très rapide du réseau), afin de mettre en œuvre « les adaptations nécessaires » à ces évolutions de marché. (1)
Chez Francesca, développée initialement en licence de marque, « formule souple et très efficace pour se faire connaître rapidement », on évoque aussi une homogénéisation nécessaire du réseau (désormais passé à la franchise), afin d’expliquer le recul subi. En clair, certains franchisés auraient quelque peu interprété le concept…
(1) Voir l'intégralité de l'interview de Robert Ostermann, réalisée par Vincent Pompougnac, dans le numéro de juin-juillet de Franchise Magazine (pages 28 à 30)
La moutarde monte au nez des ex-franchisés
« En outre, ils ne tiennent pas compte de la différence de panier moyen et des habitudes de consommation locales qui peuvent énormément varier d’une ville à l’autre, poursuit l’avocate spécialisée. Les responsables d’enseigne occultent enfin souvent de communiquer de manière transparente et loyale la rentabilité des autres franchisés et l’état du réseau. Contrairement aux promesses initiales, l’assistance n’est pas, non plus, toujours au rendez-vous ».
Cherté des emplacements et concurrence de produits nouveaux
« Les premiers établissements qui ont réalisé des investissements raisonnables et n’ont pas eu de concurrents s’en sortent, ajoute un autre observateur attentif du secteur. Mais pour les autres, même quand les chiffres d’affaires sont au rendez-vous, la rentabilité n’y est pas. La folie des grandeurs a frappé. Certains ont accepté des loyers beaucoup trop élevés. »
Autre facteur non prévu, selon Bernard Boutboul : l’essor de la « Pastabox ». « Lancée en 2004/2005 par Sodebo, puis reprise par Panzani et Lustucru, elle a constitué un deuxième vent contraire pour les réseaux. Il se vend 30 millions de boites à l’année en France. 80 % sont des pâtes. Et c’est beaucoup moins cher que ce que l’on trouve dans les établissements franchisés spécialisés. (A partir de 2,60 € pour certains produits à marques propres dans les supermarchés, ndlr). Ces box sont en vente partout, en grandes surfaces, dans les commerces de proximité, les gares, les sandwicheries… Les pâtes sont vraiment devenues un produit de masse. »
Diversification, relooking : les franchiseurs réagissent
Les enseignes ont réagi toutefois devant cette donne qu’elles n’ignorent pas. « Depuis deux ans, Francesca a ajouté à sa gamme de pâtes une offre de restauration italienne plus large, note Bernard Boutboul. Avec des antipasti, de la charcuterie à la coupe, de l’épicerie, du café, etc. Et leurs sauces ne sont pas industrielles. »
Chez Mezzo di Pasta aussi, on ajoute, à côté du produit principal, des salades (au poulet, au saumon, au fromage) et des sandwiches (panino, focaccia). La chaîne vise par ailleurs les centres commerciaux, sur des surfaces plus grandes (jusqu’à 200 m² !) et annonce un renouvellement de son concept architectural.
Le relooking est aussi en cours chez Nooï (où la moitié du réseau aurait déjà adopté les nouvelles normes introduites en 2012) et on y joue plus qu’ailleurs la carte de la proximité avec les lycéens et les étudiants.
Tandis que Francesca cherche pour sa part à agrandir ses restaurants (80 m² contre 50 à 60 précédemment).
Une année compliquée pour le secteur
On l’aura compris : l’année va être compliquée pour les réseaux de franchise du secteur. Ils ont d’ailleurs unanimement réduit leurs ambitions en termes de développement : 5 prévisions d’ouverture en franchise pour Francesca contre 20 affichées l’année précédente. 15 et 10, respectivement, pour Mezzo di Pasta et Nooï au lieu de 30 un an plus tôt. Rien pour les autres.
S’ajoutent à cela les jugements attendus dans les litiges en cours. Entre autres, le tribunal de grande instance de Strasbourg devra décider prochainement s’il place la société Sdar, qui développe Nooï, en redressement judiciaire, comme le réclame un ex-franchisé en conflit avec l’enseigne. Ou s’il confirme la procédure de sauvegarde accordée le 6 mai au franchiseur. Ou encore s’il ne valide aucune de ces deux options. Réponse, en principe, avant la fin de l’été 2013.