La Cour de cassation a rendu le 4 octobre 2011 deux arrêts concernant la franchise. Le premier a déjà provoqué de nombreuses réactions, consultables sur notre site. L’avocat Serge Méresse nous livre ici la sienne et nous dévoile l’existence d’un deuxième arrêt, dont il souligne l’importance à ses yeux.
La Cour de cassation a rendu deux arrêts le 4 octobre 2011 qui doivent retenir l’attention des franchisés.
Dans le premier, elle casse un arrêt de cour d’appel qui a refusé d’annuler un contrat de franchise signé après que le franchiseur ait remis des comptes prévisionnels très supérieurs à ceux qui seront obtenus par l’exploitation réelle de la franchise.
La cour d’appel avait refusé d’annuler le contrat pour « erreur » en reprenant les arguments habituels des franchiseurs, à savoir que le franchisé était un professionnel averti (comme si le franchiseur ne l’était pas !), que le franchisé devait apprécier la faisabilité des promesses de rentabilité (alors qu’il n’a pas accès aux sources des chiffres et que la confiance dans le sérieux et le professionnalisme du franchiseur est un a priori), que le franchiseur n’avait pas d’obligation de résultat (ce sur quoi tout le monde est d’accord mais là n’est pas le sujet) et que l’écart entre les chiffres d’affaires réels et ceux des prévisions ne prouvait pas l’insincérité du prévisionnel du franchiseur (alors que l’optimisation des données est une pratique hélas fréquente pour attirer les capitaux des candidats franchisés et ceux des banquiers prêteurs).
La cour de cassation a donc cassé donc cet arrêt en retenant que la cour d’appel aurait du « rechercher si ces circonstances ne relevaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise ».
« La franchise doit procurer un avantage concurrentiel »
Excellente décision. D’abord parce que « la rentabilité » de l’entreprise franchisée est enfin reconnue comme entrant dans le champ juridique du « consentement » donné par le franchisé lorsqu’il signe le contrat.
C’est le bon sens. Si le franchisé signe, pait des droits d’entrée élevés, investi lourdement dans un concept spécifique, verse des royalties importants, et s’enferme dans des contraintes juridiques, c’est bien parce qu’il attend de la mise en œuvre du contrat et du savoir-faire du franchiseur une rentabilité qui lui permettra de couvrir ses charges d’exploitation et supérieure à celle qu’il obtiendrait en exploitant tout seul (la franchise doit procurer un avantage concurrentiel).
La rentabilité est bien sur un élément essentiel dans le consentement du franchisé à la signature du contrat.
« Il ne suffit pas au franchiseur de communiquer un DIP conforme »
Ensuite parce que la cour de cassation distingue l’obligation précontractuelle d’information (articles L 330-3 et R 330-1 du code de commerce) et « l’erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise ».
Autrement dit, il ne suffit pas au franchiseur de communiquer un DIP conforme pour être exonéré de toute responsabilité dans la communication de chiffres prévisionnels erronés ou optimisés qui faussent l’appréhension de la rentabilité réelle.
Enfin parce que cette décision fait litière des arguments habituels des franchiseurs : le franchisé est un professionnel averti, il devait apprécier et contrôler les chiffres qui lui étaient communiqués, leur valeur et leur faisabilité, et l’écart entre prévision et réalisation ne démontre pas l’insincérité des chiffres communiqués par le franchiseur. Autrement dit, si le franchiseur trompe, tant pis pour le franchisé qui a fait confiance et qui ne s’en est pas aperçu !
Mais c’est oublier que la loi oblige le franchiseur à communiquer des « informations sincères ».
En cassant l’arrêt d’appel, la cour de cassation écarte donc les arguments simplistes des franchiseurs qui veulent s’exonérer de toute responsabilité dans les informations chiffrées erronées qu’ils remettent pour convaincre les franchisés de signer avec eux et qui plaident, en substance, que le franchisé n’avait qu’à se méfier.
« L’erreur est un vice du consentement justifiant l’annulation du contrat »
Cette cassation est donc salutaire parce qu’elle remet le bon sens au centre du débat que certaines décisions du fond avaient tendance à oublier en pardonnant plus facilement les manquements du franchiseur à son obligation de remettre des informations sincères qu’au franchisé trompé à qui elles reprochent de ne pas s’en être aperçu . Mais la franchise n’est pas « trompe qui peut ».
Si les informations communiquées par le franchiseur sont erronées, le franchisé aura donné son consentement par erreur. Or l’erreur est un vice du consentement justifiant l’annulation du contrat.
Dans le second arrêt, la cour de cassation rejette le pourvoi du franchiseur en relevant que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision en retenant « dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, le caractère approximatif et dépourvu de prudence des études réalisées, qu’elle n’était pas tenue d’expliciter, et le manque de sincérité et de loyauté des informations transmises relatives au développement réel du réseau et au succès du concept, qualifiés d’éléments essentiels. »
La Cour de cassation souligne donc avec force que le franchiseur doit communiquer au futur franchisé des informations qui ne soient pas approximatives mais qui soient prudentes, sincères et loyales, à défaut de quoi le contrat pourra être annulé sur le fondement du consentement vicié par l’erreur.
Ces deux arrêts rendus le même jour par la Cour de cassation, l’un cassant et l’autre rejetant le pourvoi, permettent de souligner l’importance des informations précontractuelles remises par le franchiseur au candidat franchisé. Ces informations, qui ne se limitent pas aux seules informations contenues dans le DIP (document d’information précontractuel) visées aux articles L 330-3 et R 330-1 du code de commerce (loi Doubin), doivent être sincères, loyales, non approximatives et prudentes.
Et quand bien même le DIP remis serait conforme à la loi, si les autres informations remises au franchisé sont erronées, notamment celles relatives à la rentabilité du projet, le consentement sera vicié et le contrat susceptible d’annulation.
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