Prévisionnels jugés irréalistes pour l’un, défaut d’analyse du dossier de financement pour l’autre : un consultant et une banque sont condamnés à de lourdes sanctions. Des décisions, qui, quoique frappées d’appel, ne laissent pas indifférents.
Las de voir condamner des franchiseurs dans l’impossibilité de s’acquitter de leurs sanctions financières, les avocats de franchisés ciblent depuis quelques années les banquiers prêteurs et, depuis peu, les consultants prestataires des enseignes. Avec un relatif succès.
Comme en témoignent les jugements d’un tribunal de commerce annulant il y a quelques mois quatre contrats d’une franchise de restauration rapide.
Des jugements qui ont fait du bruit.
Pas seulement parce que le franchiseur est condamné pour « vice du consentement » (des franchisés) à plus de 1,5 million d’euros en cumul. Mais aussi parce que, pour la première fois, un cabinet de consultant devrait verser plus de 570 000 euros à un franchisé. Tandis qu’une banque en serait de 300 000 € pour un autre (sur les 1,5 million d’euros dus par le franchiseur).
Les deux partenaires du franchiseur étant ainsi contraints de prendre une part de sa sanction puisque, aux yeux des juges, leur responsabilité est engagée dans l’échec des franchisés concernés.
300 000 euros pour un défaut d’analyse
La victoire des franchisés n’est toutefois pas complète. Si trois sur quatre ont tenté d’obtenir la condamnation de la banque, deux n’y sont pas parvenus. Les juges ont estimé dans ces deux cas qu’elle n’avait « pas commis de faute ». Dans la mesure où l’expérience professionnelle des franchisés concernés n’appelait pas de mise en garde (l’un des candidats avait d’ailleurs déposé sa demande de crédit après avoir signé son contrat). Mais aussi parce que les franchisés disposaient de patrimoines proportionnés à leurs investissements.
En revanche, les juges reprochent à la banque dans un autre litige, de ne pas avoir examiné le dossier de financement du franchisé avant d’accorder son crédit, et de ne pas s’être aperçue, entre autres, qu’il n’avait pas les moyens financiers de son projet.
Silencieuse sur le sujet, la banque plaidera peut-être en appel la bonne foi. Dans la mesure où elle avait pu constater, pour ce contrat, les résultats bénéficiaires du « pilote » pour l’année précédente. Et où elle savait que le candidat avait une expérience de plusieurs années dans le secteur. Mais les juges de première instance la sanctionnent pour avoir pêché par excès de confiance dans le franchiseur (qui lui a transmis le dossier). Et rien ne dit que la cour d’appel ne les suivra pas.
570 000 euros pour un prévisionnel jugé irréaliste
Mis en cause pour sa part par son ex-client franchiseur, le cabinet de consultant est blanchi par le tribunal dans trois dossiers sur quatre. S’il est bien l’auteur de nombreux documents de l’enseigne (DIP, contrat de franchise, etc.), les juges estiment qu’il n’est intervenu en l’occurrence « que par approche globale », le franchiseur adaptant seul la trame au cas par cas. Et que, par ailleurs, rien ne prouve dans ces trois cas, qu’il ait commis de faute.
Mais dans le quatrième litige, où le franchisé l’a assigné, les juges lui reprochent d’avoir « rédigé (des) prévisionnels totalement dénués de sérieux et irréalistes (…) transmis (…) à (l’enseigne)« . Alors même qu’il « connaissait parfaitement la situation et les résultats économiques » (déficitaires) des deux points de vente pilotes pour les exercices précédents. Et « malgré le manque évident de transparence de son client » sur le sujet. (Précisons que le franchisé n’a atteint que 50 % du CA prévu).
Contestant cette décision, le cabinet affirme qu’il « n’a pas rédigé de prévisionnels pour (le franchisé) l’ayant conduit à conclure un contrat de franchise« . Et, en substance, qu’il n’a pas davantage commis de faute que dans les trois autres cas.
Des décisions frappées d’appel
Ces deux condamnations, dont les avocats de franchisés se félicitent, ne sont toutefois pas définitives, puisque, comme le franchiseur, le cabinet de consultant et la banque ont fait appel. Mais elles interpellent toute la profession.
Car elles concernent directement la création de tout réseau de franchise. Un moment toujours délicat, où le franchiseur débutant, persuadé de détenir un bon concept, peut être tenté de ne pas attendre que ses pilotes soient tout à fait rentables pour commencer à recruter des franchisés. Parce que dans un secteur jugé porteur il se trouve confronté à la pression des concurrents qui se précipitent sur le créneau. Il a tort, mais la tentation peut être grande.
Quant aux prévisionnels, tous les acteurs de la franchise le savent : il est tentant là encore de les optimiser pour séduire les candidats que l’on recrute. Et les abus doivent être sanctionnés.
Mais il est tout aussi facile de se tromper. Surtout quand le réseau n’en est qu’à ses débuts. Surtout dans une période de crise économique où un secteur peut, en quelques mois, voir sa tendance s’inverser.
Enfin, comment le pôle franchise d’une banque doit-il raisonner quand se présentent à lui des professionnels expérimentés disposant d’un établissement pilote rentable et de premiers candidats sérieux, pour la plupart eux aussi expérimentés et disposant de moyens financiers ? Doit-il ou non référencer ce réseau ?
On peut comprendre que les franchisés concernés, qui ont subi pertes et liquidations judiciaires – alors qu’on ne leur a pas tout dit sur les débuts difficiles du concept – demandent réparation. Y compris aux partenaires du franchiseur, qui auraient dû, estiment-ils, se montrer plus vigilants.
Reste que si la cour d’appel qui doit trancher confirme, voire amplifie les décisions de première instance, notamment contre les partenaires du franchiseur, cela contribuera peut-être à moraliser encore la profession mais risque aussi de rendre la naissance de nouveaux réseaux plus difficile.
Le verdict est attendu pour la fin 2016.