Que se passe-t-il quand un litige éclate entre un franchiseur et un franchisé qui n’ont pas signé de contrat de franchise mais collaborent depuis plusieurs années ? « Tout dépend » sur quoi il y a eu réellement accord, répond la cour d’appel d’Orléans.
La cour d’appel d’Orléans a tranché le 23 février dernier un litige inhabituel entre un franchiseur et un couple de franchisés.
Octobre 2010 : le couple ouvre un restaurant franchisé dans une grande ville. La relation avec le franchiseur n’est pas idyllique : les franchisés constatent des problèmes notamment sur les livraisons. La politique de prix de l’enseigne, son marketing, sa communication ne correspondent pas non plus à leurs attentes. Ils dénonceront en outre au procès « l’absence de formation et d’animation » et « l’important turn-over des salariés ».
Moins de trois ans après le lancement, ils estiment, en août 2013, qu’ils n’ont plus à payer de redevances pour la partie bar-terrasse de leur établissement. Selon eux, son activité ne doit rien à l’enseigne du franchiseur. Quelques mois plus tard, en janvier 2014, ils divisent par deux leurs redevances sur la partie restaurant, les passant de 6 à 3 %.
Le franchiseur réagit et saisit la justice en mai 2014. Les franchisés rompent les relations commerciales en juillet (avec effet en janvier 2015, soit un préavis de 6 mois).
Contrat de franchise ou simples relations commerciales ?
Pour le franchiseur, qui « dénie toute pertinence aux griefs » avancés par les franchisés, les choses sont simples. Le couple de franchisés a rompu son contrat sans raison valable. Il doit s’acquitter à taux plein des redevances impayées et être sanctionné de 370 000 € de dommages et intérêts.
Problème : il n’y a pas vraiment de contrat de franchise. Le « projet de contrat » transmis en janvier 2010 à titre d’information précontractuelle a bien servi de base aux relations commerciales entre les deux parties. Mais il n’y a jamais eu de contrat signé les engageant.
Pour le franchisé, le franchiseur n’est donc pas fondé à s’en réclamer. Au contraire, du fait de ses « nombreux manquements à ses obligations contractuelles », le franchiseur doit être sanctionné à hauteur des pertes subies par le franchisé dans l’affaire, soit plus de 540 000 euros.
Ce qui caractérise un contrat de franchise
Après avoir rappelé que « le contrat de franchise ne nécessite pas la passation d’un écrit pour sa validité » (contrairement au DIP), la cour d’appel d’Orléans retient dans ce litige « l’existence d’un (tel contrat) et non d’une simple relation commerciale ».
Le franchiseur a en effet mis à disposition du franchisé une marque-enseigne, un savoir-faire et une collection de produits et services « offerts de manière originale et spécifique et exploités selon des techniques commerciales uniformes, préalablement expérimentées et constamment mises au point et contrôlées, toutes choses caractérisant le contrat de franchise ».
Toutefois, ajoutent les magistrats, il n’est pas possible de «considérer de façon systématique que le projet de contrat non signé (vaut) contrat ». Encore faut-il rechercher « si un accord (s’est) réalisé entre les parties sur les points en litige ».
Sur quels points en litige franchiseur et franchisé avaient-ils un accord au départ ?
Et là, tout dépend.
-Sur les redevances, les magistrats estiment que « compte tenu de la durée » pendant laquelle les paiements ont été effectués sans contestation (près de 3 ans), elles ont en l’occurrence « valeur contractuelle ». Et dans la mesure où rien ne prouve à leurs yeux que le bar-terrasse « attirait une clientèle différente de l’activité restaurant », les redevances sont dues en totalité jusqu’au 4 janvier 2015 inclus.
-Sur la rupture, la cour retient qu’il n’y avait pas d’accord sur la durée du contrat (7 ans). Lequel doit par conséquent être considéré comme ayant été conclu pour une « durée indéterminée ». A tout moment chacune des parties pouvait donc le rompre à condition de respecter un préavis raisonnable, ce qui a été le cas. Le franchisé n’a pas à être sanctionné sur ce point.
Pas de contrat, pas d’obligations ?
-Sur les demandes du franchisé concernant les « manquements contractuels du franchiseur », la cour estime que le franchisé est « mal venu de se plaindre » de la non-exécution d’un texte qu’il n’a pas signé. D’autant que l’essentiel des griefs formulés portait sur la politique commerciale du franchiseur – que celui-ci était « seul habilité à définir » – ; et que le franchisé pouvait toujours abandonner en quittant le réseau …
Enfin, pour la cour, le franchisé « n’établit nullement » que les pertes subies sont le résultat des manquements imputés au franchiseur. Seule, la « désorganisation des livraisons » est reconnue.
Au terme de l’arrêt, le franchisé est condamné à verser les redevances réclamées par le franchiseur (quelque 55 000 €). Il reçoit en revanche 20 000 € d’indemnités pour compenser les livraisons irrégulières.
Le fait de ne pas signer le contrat de franchise n’a donc pas permis aux parties d’éviter les litiges ni d’obtenir de la justice les compensations qu’elles souhaitaient…