Le tribunal de commerce de Laval vient d’annuler un contrat de franchise Monbana. Depuis janvier, c’est la quatrième condamnation du franchiseur dans des litiges avec ses franchisés. La cour d’appel est saisie. En question : plus de 700 000 € de dommages et intérêts.
Le 8 novembre 2017, le tribunal de commerce de Laval a annulé un contrat de franchise Monbana. Pour avoir « vicié le consentement » de son ex-franchisée de Bourges, le franchiseur est condamné à lui verser 460 000 €.
Auteur de l’étude de site, le cabinet MC2 doit quant à lui payer 51 000 € à la franchisée. Soit 10 % du préjudice global estimé par les juges.
Ce jugement fait suite à trois autres, rendus par le même tribunal le 18 janvier de cette année concernant les franchises de Strasbourg, La Rochelle et Quimper. Les franchisés, qui ne demandaient pas la nullité de leurs contrats mais des dommages et intérêts, ont en partie obtenu satisfaction. Le franchiseur a été condamné, selon les cas, à leur verser 22 000, 63 000 et 142 000 €. Pour avoir « manqué» ou n’avoir « pas été sincère et loyal (avec eux) dans son obligation d’information » (pendant la phase précontractuelle).
En cause : les écarts constatés entre les chiffres d’affaires prévus en 2012 et 2013 avant la signature des contrats et les niveaux réellement atteints ensuite. Des écarts allant, selon les juges, de 25-30 à 50 %, voire, comme à Bourges, 70 %. Une situation s’accompagnant de pertes conséquentes en lieu et place des bénéfices attendus et ayant entraîné, à Bourges, la mise en liquidation judiciaire de la société franchisée.
Des écarts de chiffre d’affaires de 25 à 70 % entre prévisions et réalité
Quand le fabricant de chocolats Monbana s’ouvre à la franchise, début 2012, le magasin historique de la chaîne, à Laval, vient de réaliser dans l’année près de 843 000 € de chiffre d’affaires et quelque 73 000 € de résultat. Une autre succursale ouverte à Tours affiche un peu plus de 525 000 € et fin 2012, Fougères dépasse les 350 000 €.
Optimistes, les premières plaquettes publicitaires font mention pour les futurs franchisés d’un CA potentiel de 500 000 € en année 1 « dans les villes importantes » et de 360 000 dans les « villes moyennes » (en dessous de 35 000 habitants). « Soit 2 à 3 fois mieux que le marché ».
Séduits par ces chiffres et par ceux issus des études de marché du cabinet MC2 – recommandé par le franchiseur – concernant les sites qu’on leur propose, les premiers franchisés signent en confiance. A titre d’exemple, l’un des prévisionnels de 2013, validé par l’enseigne, évoque des bénéfices croissants, jusqu’à près de 70 000 € en année 3.
Mais dès les premiers mois, l’activité n’est pas, pour les franchisés en litige, au niveau attendu. Leurs sociétés subissent, en année 1, des pertes de 42 à 94 000 € selon les cas. Elles assignent la société franchiseur en justice.
Monbana nie toute responsabilité dans les difficultés des franchisés
Le franchiseur reconnaît « la faiblesse des performances » de ces franchisés, mais « réfute leurs arguments ». Pour lui, le concept Monbana est rentable.
Et si ces quatre franchisés n’ont pas atteint les prévisions, cela est « en partie imputable à l’évolution générale du marché et à d’autres facteurs locaux » : ici, l’arrivée d’un concurrent important, là, un emplacement « peu attractif », la maladie de la franchisée ou le fait de n’avoir « pas mis en œuvre les recettes ayant conduit d’autres franchisés à la réussite. »
Les évaluations issues des études de marché ? Elles sont l’oeuvre de « cabinets indépendants, choisis par les franchisés ». Les prévisionnels ? Ils ont été réalisés « par les franchisés eux-mêmes avec leurs propres experts » (même si l’un d’eux leur était recommandé lui aussi par l’enseigne). Et le fait de les valider « ne vaut ni engagement ni garantie de résultat ». De même pour les emplacements.
Bref, le franchiseur estime qu’il ne peut être tenu pour responsable des difficultés rencontrées et qu’il a « parfaitement rempli » son obligation d’information.
Des fautes d’une gravité variable, selon les juges
Le tribunal ne suit pas complètement cette argumentation. Certes, pour les juges, le franchiseur n’a pas tous les torts. L’un des franchisés « aurait pu faire partie des bénéficiaires ». Deux autres auraient dû enquêter et « réfléchir davantage ». Mais le reproche qu’ils formulent de « n’avoir pas eu connaissance des pertes réalisées par la majorité des filiales en 2012 est parfaitement fondé ». Ils ont été trompés.
« Il appartenait au franchiseur de fournir des éléments financiers complets et non contestables avant la signature du contrat, écrivent les juges, tels que les chiffres d’affaires détaillés de l’ensemble des succursales et surtout leurs résultats sur les trois dernières années. » En n’éclairant pas suffisamment ses futurs partenaires, le franchiseur a manqué de sincérité et de loyauté.
D’où sa condamnation à des dommages évalués, selon les cas, à 10 %, 50 % ou 75 % des pertes subies par les sociétés franchisées sur la période 2013-2016. Sommes auxquelles s’ajoutent celles accordées aux franchisés personnes physiques, à hauteur d’une partie de leurs rémunérations non perçues.
A Bourges le consentement de la franchisée « a été vicié »
Quant à la franchisée de Bourges, les juges estiment que sa maladie n’explique pas à elle seule, les écarts « abyssaux » constatés entre prévisions et réalité.
«En ne fournissant qu’une information tronquée, en ne prenant pas en compte les difficultés connues au moment de la signature du contrat (septembre 2013) par certains franchisés (…), et en laissant la future franchisée s’installer dans une zone totalement inadaptée au commerce envisagé, le franchiseur a, par les documents qu’il a fourni et par son manque de réalisme et de transparence, vicié le consentement de la future franchisée, lui laissant délibérément espérer des performances qu’il savait très difficilement atteignables au vu des éléments dont il disposait et qu’il a passés sous silence. »
D’où l’annulation du contrat et les 510 000 € de dommages et intérêts.
Condamné, le cabinet MC2 se défend
Sanctionné lui aussi dans le litige de Bourges, le cabinet MC2 insiste sur son « indépendance » (Monbana « ne représentant qu’ 1 % de son activité en 2014 »). Et sur son absence de responsabilité dans les difficultés de la franchisée. Son évaluation n’était selon lui qu’une « hypothèse », la communication du CA potentiel étant « de la seule responsabilité du franchiseur », de même que la validation de l’emplacement.
Mais pour les juges, le « rapport de site » de MC2 a bel et bien « influencé partiellement la décision de la franchisée» avec un chiffre prévisionnel « très éloigné de la réalité ». D’où sa condamnation à hauteur de 10 % du préjudice global.
La cour d’appel d’Angers est saisie
Ces décisions ne sont toutefois pas définitives. Le franchiseur a fait appel des trois jugements du 18 janvier. Le franchisé de Strasbourg a lui aussi contesté la décision le concernant (dommages fixés à 10 % de ses pertes). Et le cabinet d’avocats qui conseille Monbana le confirme : la décision du 8 novembre sera frappée d’appel par le franchiseur.
Les magistrats d’Angers approuveront-ils les juges de Laval ? La société franchiseur, désormais dans le périmètre du groupe Buton, repreneur aussi de Réauté Chocolat, devra-t-elle verser aux franchisés (ou ex-) près de 700 000 €, soit presque l’équivalent de son dernier CA annuel ?
Le conflit n’est d’ailleurs pas circonscrit. Puisque, née dans ce réseau alignant aujourd’hui 25 magasins (dont une dizaine de succursales), une cinquième procédure, déclenchée par l’ex- franchisé de Bordeaux-Mérignac en liquidation judiciaire, est également en cours.