La Cour d’appel de Paris vient de rendre une décision permettant de déterminer les éléments à prendre en compte pour le calcul du préjudice en cas de non-respect par un franchisé d’une clause de préemption. L’auteur, avocat, en souligne la portée.
Dans cette affaire (Cour d’Appel de Paris, 22 octobre 2014, RG n° 14/01115), trois franchisés avaient conclu un contrat de franchise pour des magasins de bricolage, sous enseigne B3, devenue Mr Bricolage. Leur contrat comportait une clause de préemption au profit du franchiseur en cas de cession des magasins ou de cession de contrôle des sociétés franchisées.
Une offre d’acquisition du capital des trois sociétés franchisées, ainsi que de deux sociétés civiles détenant les locaux, est présentée par un concurrent, Bricorama. Mr Bricolage fait savoir qu’il entend exercer son droit de préemption et se porter acquéreur des sociétés au prix proposé par Bricorama.
Une précédente décision avait reconnu la validité et le caractère définitif de la préemption. La cession est donc nulle mais la disparition des sociétés rend impossible la remise en l’état. Il restait donc à se prononcer sur le montant des indemnités dues à Mr Bricolage.
Quel préjudice pour l’enseigne qui n’a pas pu exercer son droit de préemption ?
Cet arrêt vient précisément détailler les postes de préjudice de l’enseigne qui n’a pas pu exercer son droit de préemption. La Cour juge que « la non réalisation de la vente au profit de Mr Bricolage a causé une perte de chance à celle-ci de tirer profit de ces biens et de développer son réseau ».
Cette perte de chance doit être appréciée en tenant compte des gains théoriques possibles, des résultats de gestion du cessionnaire, de la gestion qu’aurait pu envisager le franchiseur eu égard aux modalités qui auraient pu être retenues (franchise ou intégration), des effets de la concurrence sur le secteur et de la politique de développement du franchiseur.
La Cour retient également que cette opération présentait un réel intérêt sur le plan économique mais également commercial pour chacune des enseignes, compte tenu de la faiblesse de l’offre des surfaces commerciales en région parisienne. Le préjudice est fixé au cas d’espèce à 5 millions d’euros.
La Cour retient enfin, au titre d’une concurrence déloyale, l’existence d’un préjudice résultant de la perte pour le franchiseur de toute présence de la marque sur le territoire concerné, dans un secteur extrêmement concurrentiel.
La Cour condamne les cédants (les associés des sociétés franchisées concernées) et le cessionnaire (l’enseigne qui a acquis les parts, à savoir Bricorama) in solidum. Cela signifie que chacune des parties peut être poursuivie en paiement de l’intégralité de la condamnation. L’enseigne concurrente, qui n’a pas formellement violé une obligation contractuelle qu’elle n’a pas souscrit (la clause de préemption), se retrouve donc condamnée. Elle a en effet commis une faute, certes délictuelle et non pas contractuelle, mais qui entraine sa responsabilité.
Les enseignes ont tout intérêt à s’assurer du respect des clauses de préemption
L’intérêt de cette décision réside dans la détermination des éléments à prendre en compte pour le calcul du préjudice, en fournissant une liste précise des critères à prendre en considération. La Cour d’Appel de Paris avait pu dans le passé considérer (CA Paris 4 septembre 2013) que le préjudice résultant du non-respect d’une clause de préemption n’était pas distinct du préjudice lié à la rupture du contrat.
Ce n’est pas le cas ici puisqu’un préjudice spécifique est bien considéré, en fonction de critères détaillés, prenant en compte tant la situation du franchiseur privé de l’exercice de son droit que des circonstances de marché du secteur concerné.
Les enseignes auront donc tout intérêt à s’assurer du respect des clauses de préemption en vigueur dans les contrats de distributeurs qu’elles souhaiteraient voir rejoindre leur rang.
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