La franchise est un investissement qui se doit d’être rentable, souligne Charlotte Bellet, avocate, qui commente quatre décisions rendues le 10 avril dernier par la cour d’appel de Colmar.
Par Maître Charlotte BELLET, Avocat associé, BMGB & Associés
Le droit de la franchise est saturé d’idées reçues. Trop souvent, les débats s’abîment dans des échanges caricaturaux. A main gauche, les défenseurs des franchisés feraient preuve d’angélisme et de naïveté. A droite, les pro-franchiseurs seraient les suppôts d’un libéralisme débridé. Tout cela est pourtant bien trop fruste. Privilégions le réalisme, c’est la meilleure posture. Voyez par exemple ces quatre décisions rendues le 10 avril dernier par la cour d’appel de Colmar. Chacune montre l’importance d’une telle approche.
A chaque fois, la nullité d’un contrat de franchise était demandée. Aucun document d’information précontractuelle n’avait été remis aux candidats à l’intégration d’un réseau de restauration. Tous avaient rapidement essuyé de lourdes pertes. Le manque de rentabilité du concept était avéré, l’octroi d’une juste indemnité sollicité. Rejetée en première instance, la nullité fut prononcée par les magistrats du second degré dans les quatre affaires au terme d’une motivation exemplaire.
Le métier de franchiseur doit être pris au sérieux
La cour d’appel balaie d’abord d’un revers de plume les arguties que le franchiseur opposait à la recevabilité des demandes. Non, la demande n’était pas prescrite : si le contrat avait été conclu cinq ans avant l’introduction de l’assignation, les franchisés n’avaient pu s’aviser de leur erreur, de leur vice du consentement donc, que bien après, une fois les premiers bilans sortis et révélant l’inanité du réseau.
Sur le fond, ensuite, même réalisme. La juridiction du second degré écarte ainsi une série d’éléments que ce franchiseur, comme beaucoup d’autres, invoquait de manière passablement mécanique. L’absence de remise d’un document d’information précontractuelle ne suffit pas à établir le vice du consentement : soit ! N’empêche : il ne servait à rien de prétendre que tel candidat franchisé était rompu aux affaires parce qu’il avait exploité une précédente activité ou que tel autre n’avait pas besoin d’information relative au marché local au motif qu’il était du coin.
Le métier de franchiseur doit être pris au sérieux : on ne badine pas avec l’information due à son cocontractant. C’est ce que souligne expressément la cour d’appel de Colmar : « s’il est exact qu’il importe de tenir compte, pour apprécier un éventuel vice du consentement, de l’expérience du futur franchisé et de sa connaissance du marché local, il est essentiel de souligner que ceci ne peut concerner que le secteur d’activité visé par la franchise. En effet, l’obligation d’information précontractuelle doit justement permettre au futur franchisé qui ne serait pas connaisseur de l’activité spécifique de la franchise, d’être renseigné par le spécialiste en la matière qu’est le franchiseur ».
On ne badine pas avec l’information due à son cocontractant
Que le gérant de la société franchisée ait auparavant exploité un bar de nuit ne saurait donc limiter les obligations d’un franchiseur dans le secteur de la restauration. Qu’il ait par ailleurs connu la ville d’implantation de son restaurant, cela ne lui conférait pas davantage les moyens d’apprécier pleinement les enjeux de l’ouverture d’un restaurant puisqu’il ne disposait d’aucune connaissance sur le marché local dans le secteur d’activité considéré, n’étant pas en mesure d’avoir accès à toutes les données dont le franchiseur, de par son expertise, pouvait disposer. Enfin, peu importe que le candidat à l’intégration du réseau ait disposé d’un délai important pour réfléchir avant de s’engager. Et pour cause : à défaut de bénéficier de l’information précontractuelle légalement requise, ce temps ne lui servait pas à grand-chose !
Bref, la nullité des contrats s’imposait. Avec toutes les conséquences pécuniaires qui s’ensuivent. La cour ordonne par conséquent non seulement la restitution de toutes les sommes versées en application du contrat, droit d’entrée, redevances, mais aussi le préjudice correspondant à la perte de chance de mieux investir ses fonds, ledit préjudice étant ici évalué à 50 % du montant des investissements. Et ce n’est pas tout : les magistrats indemnisent au surplus le gérant de son préjudice personnel, correspondant là encore à une perte de chance de mieux investir ses capitaux.
En somme, la franchise est appréhendée comme un investissement qui se devait d’être rentable. Une véritable leçon d’économie !