« Le code civil permet, non pas seulement de reporter les loyers qui n’ont plus aucune contrepartie, mais de les effacer purement et simplement », estime l’auteur, avocat. Qui appelle franchiseurs et franchisés à exercer leurs responsabilités.
Par Jean-Baptiste Gouache, Avocat associé (Gouache)
La fermeture des lieux accueillant du public fait partie des mesures arrêtées par le gouvernement pour ralentir la propagation du virus. Les franchisés et les succursales des franchiseurs sont en première ligne : tous ceux qui exploitent des ERP de catégorie M (Magasins de vente et Centres commerciaux) sont fermés, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes, de même que les restaurants et débits de boissons (N), sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter. Pour ceux qui par exception peuvent continuer à accueillir du public, la situation est difficile : les clients, frappés par de fortes restrictions à leur liberté d’aller et venir et la crainte de la contamination se déplacent très peu et les chiffres d’affaires s’effondrent.
De manière générale, on rappellera qu’au titre des obligations des parties, le bailleur a une obligation de délivrance rappelée à l’article 1719 du code civil. Elle oblige le bailleur à :
– délivrer au locataire un local apte à l’exercice de l’activité autorisée à la clause de destination du bail et donc un local ouvert au public.
– faire jouir paisiblement le locataire pendant la durée du bail. Quant au locataire, il a notamment l’obligation de payer ses loyers.
L’ordonnance du 25 mars 2020 prévoir le report des loyers : ils ne sont pas effacés, mais reportés à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Elle bénéficie aux entreprises éligibles au fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 (critères très restrictifs, pouvant bénéficier à certains franchisés, cf. ci-dessous).
Pourtant, le code civil permet, non pas seulement de reporter les loyers, qui n’ont plus aucune contrepartie (injonction de fermeture totale) ou une contrepartie qui ne permet plus de fonctionner dans des conditions normales (injonction de fermeture), mais de les effacer purement et simplement (en tout ou partie).
L’arrêté du 14 mars 2020 (modifié par arrêté du 15 mars 2020) ordonne la fermeture de tout commerce non indispensable à la vie de la Nation. Pour tous ces commerces, le bailleur n’est plus en mesure, de ce fait (on appelle cela le fait du prince) de satisfaire à son obligation de délivrance (article 1719 du code civil). Cette force majeure (article 1218 du Code civil) permet au locataire, qui n’a plus la possibilité d’exploiter son commerce dans le local loué, de ne plus payer son loyer, par exception d’inexécution (article 1219 du Code civil). Pour ceux qui sont empêchés de fonctionner normalement tout en pouvant ouvrir, on peut penser que la pandémie et les mesures restrictives associées (interdiction de se déplacer librement, obligation de sécurité de l’employeur quasi impossible à tenir) pourraient être reconnues en elle-même comme des cas de force majeure (par analogie, Colmar, 12 mars 2020).
Cette solution, consacrée par le droit commun est bien plus favorable aux enseignes que celle prévue par l’ordonnance adoptée en conseil des ministres le 25 mars 2020.
Les commerçants empêchés d’exploiter leur local ou limités doivent avant tout compter sur eux-mêmes et sur le droit commun qui continue de s’appliquer.
Chacun fait son travail : le gouvernement gouverne en adoptant des mesures d’urgence. Les fédérations font le lobbying qui leur revient. Celles des bailleurs ne vont évidemment pas admettre que l’éponge soit passée sur les loyers pendant la période de fermeture. Leurs adhérents, vos bailleurs, privilégient un traitement individuel, pour chaque locataire. Le gouvernement ne conciliera probablement pas plus les intérêts contradictoires des bailleurs et des preneurs.
Le message : ceux qui n’auront pas fait valoir formellement une position de non-paiement définitif, total ou partiel selon le cas, bien étayé sur le droit commun, n’auront droit qu’à un report ; ils supporteront donc demain des charges en face desquels il n’auront jamais mis le produit qui devait les couvrir, car ils seront faibles dans la négociation, n’ayant pas en temps utile opposé formellement les fondements juridiques justifiant un non-paiement.
La démarche qu’engageront aujourd’hui les franchisés et les enseignes pour formaliser leur position et la fonder en droit, servira leur négociation ultérieure avec leur bailleur, qui ne sauraient leur en vouloir de faire valoir leurs intérêts, comme eux le font aussi.
Il revient à chacun de se positionner et d’exercer ses responsabilités.
Critères d’éligibilité au fonds de garantie (décret 2020-371 du 30 mars 2020)
– L’effectif est inférieur ou égal à dix salariés,
– le montant de chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d’euros,
– le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, est inférieur à 60 000 euros au titre du dernier exercice clos ;
– Les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et n’ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros ;
– Les personnes morales ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce ;
– Elles ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou elles ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, – par rapport à la même période de l’année précédente.