La Cour de cassation a pris le 7 juin une décision concernant la grande distribution alimentaire qui réjouit l’auteur. Selon lui, la possibilité de changer d’enseigne en sort renforcée pour les franchisés.
Les barrières à la mobilité du secteur de la grande distribution alimentaire doivent tomber ; elles tombent peu à peu… Après la salve des avis de l’Autorité de la concurrence (V. not. ADC, 7 déc. 2010) ; avant l’intervention possible du législateur, la Cour de cassation livre ici un nouvel assaut.
Quoique non publié1, l’arrêt du 7 juin 20112 revêt ainsi une importance certaine. Ne serait-ce qu’à raison du scenario, extrêmement classique, qui en constitue la toile de fond : voici un franchisé qui, mécontent de son franchiseur, rompt son contrat de manière anticipée afin de rejoindre un réseau concurrent.
Question : le nouveau partenaire de ce franchisé peut-il voir sa responsabilité civile engagée à l’égard de l’ancien franchiseur ? C’est tout le problème de la complicité en droit civil : que le franchisé soit condamné pour rupture abusive de son contrat est une chose ; qu’il en aille nécessairement de même pour son nouveau partenaire en est une autre.
Le nouveau partenaire du franchisé est-il complice ?
La Cour de cassation l’avait déjà posé en 20093 : après avoir relevé que la rupture anticipée d’un contrat de franchise était exclusivement imputable au franchisé, une cour d’appel a pu décider qu’il était loisible au franchisé de se tourner vers de nouveaux fournisseurs et en déduire que ces derniers pouvaient sans faute contracter avec leur nouveau client dès lors qu’il n’était pas discutable qu’au moment de la conclusion des nouveaux liens contractuels, les anciens avaient été rompus.
Ce dont on pouvait déduire que le nouveau partenaire du franchisé n’engageait sa responsabilité qu’en cas de déloyauté manifeste. Et que le seul fait pour lui de connaître les engagements contractuels du franchisé ne suffisait pas à caractériser une faute. Comme si la complicité par omission était exclue du droit civil au seul profit de la complicité par instigation.
Pas d’acte positif, pas de complicité
C’est tout l’intérêt de l’arrêt du 7 juin 2011 que de le poser explicitement : « attendu qu’ayant retenu que la société Prodim [l’ancien franchiseur] n’établissait à la charge des sociétés Diapar et G 20 [les nouveaux partenaires] aucun fait positif, antérieur à la dénonciation du contrat de franchise le 17 novembre 2000, démontrant qu’elles auraient fourni leur aide [au franchisé] pour parvenir à cette résiliation, la cour d’appel a ainsi … légalement justifié sa décision ».
En somme, pas d’acte positif, pas de complicité ! Et les faits de l’espèce donnent à cette règle un relief tout particulier. De fait, l’ancien franchiseur avait pris les devants : ayant eu vent des projets de sécession de son partenaire, il avait pris soin de notifier à son concurrent un exemplaire du contrat de franchise. En sorte que le nouveau partenaire du franchisé ne pouvait invoquer l’ignorance des engagements de ce dernier.
Peu importe répond la Cour de cassation : rien n’établissait que ce nouveau partenaire ait positivement poussé le franchisé à violer son contrat en le rompant de manière abusive.
Techniquement, on dira que la solution remet en cause une jurisprudence « Branly » fermement établie selon laquelle la faute visée à l’article 1382 du Code civil englobe tout à la fois les fautes de commission et d’omission.
Politiquement, cette exception se justifie toutefois au regard d’un objectif désormais essentiel du droit de la distribution : déverrouiller le secteur de la grande distribution alimentaire ; faire tomber les citadelles.
1La Cour de cassation publie certains de ses propres arrêts dans un « Bulletin », quand elle les juge importants (ndlr).
2Cass. Com., 7 juin 2011, n° Pourvoi 10-17141
3Cass. Com., 9 juin 2009 n°08-16.168, FD, Sté Prodim et a. c/Sté Francap distribution et a.