« Depuis plusieurs années, les règlementations en matière sociale et environnementale ne cessent de proliférer tant au niveau européen que français », rappelle l’auteur, avocat, qui détaille les stratégies à mettre en œuvre.
Par Christophe Grison, Avocat d’affaires, FIDAL
Depuis plusieurs années, les règlementations en matière sociale et environnementale ne cessent de proliférer tant au niveau européen[1] que français[2]. L’objectif du législateur est ainsi d’obliger les entreprises à mettre en place certaines actions afin de favoriser leur transition socio-écologique.
Pour autant, ces évolutions législatives peuvent entrainer une baisse des performances de certains réseaux de distribution et/ou une augmentation des coûts liés à l’adaptation des produits ou services ou liés à l’évolution de leur savoir-faire[3] voire de leur concept[4].
Face à l’évolution du cadre règlementaire et à son impact sur la performance des réseaux, deux principales stratégies peuvent être mises en œuvre par les têtes de réseau :
1- Une stratégie de mise en conformité à la législation ;
2- Une stratégie d’anticipation des évolutions règlementaires.
La première stratégie consiste à se mettre en conformité avec la nouvelle règlementation seulement une fois que celle-ci a été adoptée. Si cette stratégie peut être qualifiée de pragmatique en ce sens que la tête de réseau n’engage de nouveaux investissements que lorsqu’elle est sûre que cette règlementation lui sera applicable, elle présente néanmoins un certain nombre de risques.
En effet, bien que le législateur puisse adopter des dispositions transitoires, les délais pour se mettre en conformité avec cette règlementation peuvent être insuffisants pour :
– tester les évolutions du savoir-faire ;
– permettre une adaptation du savoir-faire et/ou une évolution de la gamme de produits et de services ce qui peut entrainer une perte de compétitivité du réseau de distribution ;
– justifier aux distributeurs la nécessité de réaliser de nouveaux investissements.
Ces différents impacts peuvent créer des tensions entre têtes de réseau et certains distributeurs liés notamment à une dégradation de leur performance financière. Au-delà des difficultés de management du réseau, la perte potentielle de parts de marché face à des concurrents ayant intégré en amont les évolutions règlementaires pourrait avoir des conséquences en matière de développement du réseau de distribution. En effet, les candidats pourraient davantage se tourner vers des enseignes véhiculant certaines valeurs liées à la responsabilité sociale et environnementale en ayant d’ores et déjà adapter leur savoir-faire et/ou créer de nouveaux produits ou services conformes à cette nouvelle règlementation.
Une seconde stratégie consiste à anticiper les évolutions de la règlementation. Cette stratégie implique pour la tête de réseau d’être proactive et de pouvoir déceler en amont quelles seront les évolutions législatives et règlementaires.
Elle présente une contrainte majeure : il convient de convaincre les distributeurs (sachant qu’il conviendra au préalable de convaincre les équipes de la tête de réseau) de l’intérêt de mettre en œuvre telle ou telle action en matière de durabilité alors même que la loi ne prévoit pas de telles actions.
Aussi, pourquoi mettre en œuvre de telles actions ?
Trois raisons peuvent être avancées permettant de justifier la mise en œuvre de ces actions :
– d’une part, bénéficier d’un temps d’avance sur le législateur permettant une meilleure adaptation du réseau à l’évolution de la règlementation en testant puis en améliorant les évolutions de savoir-faire et/ou des produits et/ou services et ainsi limiter d’éventuelles tensions avec certains distributeurs en lissant les investissements devant être réalisés par ces derniers,
– d’autre part, conserver un avantage concurrentiel nécessaire pour accroître, ou tout du moins, maintenir les parts de marché des distributeurs sans lesquelles ces derniers subiraient une perte de performance de leur point de vente et
– enfin, attirer de nouveaux entrepreneurs partageant les valeurs de l’enseigne, au-delà de sa performance financière.
Cette seconde stratégie d’anticipation des règlementations nécessite de mettre en place une démarche systémique permettant notamment de prendre en compte les points de vue de différentes parties prenantes (notamment les distributeurs et candidats). Elle questionne également le rôle des directions juridiques et de leurs conseils dans la sélection des actions de durabilité à mettre en place par la tête de réseau.
[1] Sans être exhaustif, voici quelques dispositions européennes adoptées ces dernières années : la directive n°2022/2464 du 14 déc. 2022 Corporate Sustainability Reporting Directive dite directive CSRD mettant en place un rapport de durabilité ; la directive n°2024/1760 du 13 juin 2024 Corporate Sustainability Due Diligence Directive introduisant un devoir de vigilance au niveau européen ; les lignes directrices sur les restrictions verticales 2022/C 248/01 visant à prendre en considération des aspects concurrentiels positifs liés à la durabilité parmi les critères qualitatifs d’un réseau de distribution sélective ou au titre des obligations de non-concurrence (cf. points 8; 144; 316) ; Lignes directrices de la Commission sur l’exclusion de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour les accords de durabilité des producteurs agricoles en vertu de l’article 210 bis du règlement (UE) n°1308/2013 clarifiant la manière dont les acteurs du secteur agroalimentaire peuvent concevoir conjointement des initiatives en faveur de la durabilité conformément à l’article 210 bis du Règlement OCM.
[2] Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi AGEC) ; loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ; loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) créant notamment la société à mission ; loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
[3] Il peut s’agir, par exemple, de faire évoluer leur chaîne d’approvisionnement en référençant de nouveaux fournisseurs pour être en capacité de vendre des produits locaux.
[4] Il peut s’agir, par exemple, de modifier l’aménagement des points de vente afin d’accueillir la vente en vrac.