« Il faut donner la priorité au dialogue et à la négociation bailleur/locataire, au cas par cas, pour l’image actuelle des réseaux mais aussi pour leur attrait à l’égard des futurs franchisés », estime l’auteur, avocat.
Par Matthieu Mercier, Avocat associé (CARCREFF), Maître de Conférences à la Faculté de Droit de Rennes
Le débat qui agite actuellement les réseaux au sujet du paiement des loyers en période de confinement est très délicat par l’opposition des intérêts en présence.
Bien évidemment, il concerne les franchisés, très nombreux, qui ont été contraints de stopper leurs activités à la suite de l’arrêté du 14 mars 2020. Ils sont souvent dans l’incapacité de régler leurs loyers faute de chiffre d’affaires.
Il concerne également les réseaux qui détiennent des succursales également locataires, touchés de la même façon ; toutefois, récemment, la décision de grandes enseignes locataires telle Adidas ou H&M de cesser de régler leurs loyers a suscité un scandale en Allemagne et a affecté peut-être durablement l’image de ces entreprises, présentées comme profitant de la crise.
A l’inverse, certains franchiseurs et franchisés sont également, parfois, des investisseurs propriétaires de murs commerciaux – locaux qui abritent des commerçants indépendants, des succursales de réseaux nationaux… ou d’autres franchisés. Ceux-là craignent pour leurs investissements en cas de défaut de paiement de loyers.
Dans ce débat, il n’existe qu’une certitude juridique : selon l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, les « petites » entreprises (pour simplifier moins de 10 salariés et 1 million de chiffre d’affaires : pour les autres conditions, voir le décret 2020-378 du 31 mars 2020) peuvent, sans risque, suspendre le paiement de leurs loyers pour la période comprise entre le 12 mars et la fin d’une période de deux mois suivant l’arrêt de l’état d’urgence sanitaire. Les franchisés bénéficiaires de ces dispositions sont bien sûr très nombreux mais il ne s’agit que d’une suspension et non d’une exonération.
Pour les autres, enseignes ou franchisés de plus grande dimension également locataires, les juristes évoquent spontanément le recours à la « force majeure » pour justifier éventuellement d’une suspension ou d’une exonération des loyers.
Cette force majeure pourrait susciter de faux espoirs ou de fausses craintes selon que l’on soit locataire (espérant échapper au paiement des loyers) ou bailleur (craignant de perdre les loyers attendus).
En effet, il n’est pas certain que la crise actuelle constitue un cas de force majeure. Et puis, surtout, de jurisprudence constante, un débiteur de somme d’argent, par ex. un locataire, ne peut invoquer la force majeure pour ne pas payer ce qu’il doit (Cour de cassation, Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306).
Ainsi, il n’existe aucune certitude liée à la force majeure : ce sera le Législateur ou les juges (au terme de procès sans doute nombreux et très longs) qui trancheront cette question.
Au-delà des seuls loyers « du confinement », va aussi se poser la question du loyer de certaines activités – très connues des réseaux – qui seront sans doute plus durablement affectées : enseignes présentes en centres commerciaux, restauration, salles de sport…. Et même, toutes activités confondues, chacun va s’interroger quant à la valeur locative réelle des emplacements dans un contexte de crise économique durable.
Il est d’ores et déjà indispensable que, dans les réseaux, à tous les niveaux, locataires et bailleurs, franchisés et enseignes succursalistes, échangent, avec l’aide de leurs Conseils, pour négocier une exonération et/ou un étalement des dettes locatives du confinement ainsi que, le cas échéant, une réévaluation des valeurs locatives et donc des loyers.
Il faut ainsi donner la priorité au dialogue et à la négociation bailleur/locataire, au cas par cas, pour l’image actuelle des réseaux mais aussi pour leur attrait à l’égard des futurs franchisés.