La Cour d’appel de Colmar a rendu le 14 mars dernier une décision dans un litige opposant un franchisé à son franchiseur. L’auteur, avocat, commente cet arrêt qui présente, selon lui, « l’intérêt de mettre en exergue tout ce qu’un franchiseur digne de ce nom ne doit pas faire ».
Par Damien Lorcy, Avocat d’affaires et franchise à Bordeaux, cabinet Lorcy et Cie Avocats
La Cour d’appel de Colmar a rendu un arrêt significatif en date du 14 mars 2018, concernant un franchiseur qui se présente comme un spécialiste des TPE (Très Petites Entreprises).
Sans entrer ici dans tous les détails de cet arrêt, il présente notamment l’intérêt de mettre en exergue tout ce qu’un franchiseur digne de ce nom ne doit pas faire – et ne fait pas ; inversement, il met en évidence tout ce qu’un « franchiseur » peu scrupuleux est capable de faire pour engranger droit d’entrée, coût de formation et autres redevances sans réelle contrepartie.
Des manquements flagrants du concédant en ce qui concerne l’information précontractuelle
En l’occurrence, la Cour énumère les manquements flagrants du concédant en ce qui concerne l’information précontractuelle : pas de présentation du réseau dans le DIP, pas d’indication concernant les cessations de contrats ni les causes de la fin des contrats (résiliation, annulation, non renouvellement) ; pas de précision sur le champ des exclusivités ; données « particulièrement anciennes » et très générales dans l’état du marché ; pas de remise d’état du marché local…
Comme si cela ne suffisait pas, le franchiseur n’aurait pas hésité à remettre au candidat un prévisionnel alléchant, annonçant plus de 53 000 euros de résultat avant impôt en année 2, et dix fois plus en année 5 !
Un concept correctement appliqué doit être est rentable pour le franchisé
Si certaines franchises peuvent avec raison se vanter du succès de leurs franchisés, ce n’est cependant pas le cas du franchiseur ; en l’occurrence, le franchisé a accumulé 40 000 euros de pertes en 18 mois d’exploitation. La Cour constate par ailleurs que la société du franchiseur n’est pas en mesure d’établir que d’autres membres du réseau bénéficiant de conditions similaires à celles du franchisé ont rencontré le succès.
Au-delà de l’argument juridique traditionnel – un prévisionnel ne doit pas être exagérément optimiste – ce qui transparaît est l’argument économique : un concept correctement appliqué doit être est rentable pour le franchisé, et pas seulement pour le franchiseur.
Un concept qui n’est rentable que pour le franchiseur et ruine une forte proportion de franchisés ne devrait pas être commercialisé. Bien évidemment, l’appréciation de cette rentabilité se fait à l’échelle du réseau avec égard – comme la Cour le fait – à la similarité des conditions contractuelles ; car même le meilleur concept peut être un échec si le franchisé ne fait pas le nécessaire.
En revanche, lorsqu’une forte proportion de franchisés échoue, c’est a priori que le modèle économique repose sur le renouvellement rapide des contractants (« turn over »), après les avoir délestés de leurs avoirs, de telle sorte qu’ils ne disposent plus même des moyens de faire un recours.
Il appartiendra à la Cour de renvoi de se prononcer sur le fond
Sans doute la Cour de Colmar a-t-elle pris la mesure de cela en ce qui concerne ce franchiseur. En effet, ce n’est pas la première fois qu’elle sanctionne ce réseau et ses méthodes. Un précédent arrêt du 30 septembre 2015 avait déjà fait droit aux demandes d’annulation formulées par six franchisés. Mais ce qui est notable, c’est que la nouvelle décision intervient après que la Cour de cassation a cassé l’arrêt précité de 2015 (Com, 8 juin 2017).
La décision du 14 mars 2018 vient donc rappeler d’une part que la cassation ne concerne que le point de droit particulier justifiant une censure ; il appartiendra à la Cour de renvoi de se prononcer sur le fond.
La décision confirme d’autre part le constat des pratiques détestables auxquelles certains concédants n’hésitent pas à recourir pour se développer au détriment des victimes de leurs manœuvres.
Décisions visées :
CA Colmar, 14 mars 2018, n°16/02509
Cour de cassation, chambre commerciale, 8 juin 2017, n°15-29093
CA Colmar, 29 septembre 2015, n°14/02315