L’article 29 bis A de la Loi El Khomri « doit être regardé avec intérêt », estime l’auteur, défenseur et conseil des franchisés, car ces derniers « apparaissent enfin » dans une loi » reconnaissant « l’entité réseau ». Avec toutefois « de sérieuses réserves »…
Si le texte soumis le 29 juin 2016 à l’Assemblée nationale contenait plusieurs dispositions intéressantes pour les franchisés, ce qui justifiait mes observations positives sur ce texte, la loi finalement adoptée le 5 juillet 2016 a encore modifié l’article 29 bis A de la loi El Khomri dans un sens qui appelle de sérieuses réserves.
La loi dit :
« I. – Dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France, liés par un contrat de franchise mentionné à l’article L. 330-3 du code du commerce … »
Alors que le texte initial parlait de réseaux sans les qualifier, la loi adoptée vise exclusivement les contrats de franchise en oubliant les autres contrats de distribution en réseaux (concession, commission-affiliation, gérance mandataire etc….). En stigmatisant les seuls contrats de franchise, la loi risque d’inciter les têtes de réseaux à transformer leurs contrats de franchise en autre chose pour y échapper. Cela laisse augurer de sérieuses discussions sur la qualification des contrats pour vérifier si un contrat autrement qualifié ne cache pas en réalité un contrat de franchise.
Quant au seuil des 300 salariés, il est si bas qu’il concernera la plus grande partie des réseaux de franchise opérant en France.
« … qui contient des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées… »
Les obligations qui mettent en oeuvre le savoir-faire ont nécessairement un effet sur l’organisation et les conditions de travail des salariés dans les entreprises franchisées. En ce sens, tous les contrats de franchise contiennent des clauses qui auront les effets visés par la loi.
« La loi a pour conséquence de créer un lien de droit direct entre les salariés des entreprises franchisées et le franchiseur »
« Lorsqu’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau le demande… »
La loi adoptée a supprimé la possibilité pour les franchisés de demander la création de l’instance de dialogue, faculté qui existait dans la version du 29 juin. Il est très regrettable que les seules organisations syndicales de salariés aient cette faculté et d’en avoir exclu les franchisés, qui sont pourtant les plus directement concernés.
Et au-delà, la loi a pour conséquence de créer un lien de droit direct entre les salariés des entreprises franchisées et le franchiseur, en ignorant l’entreprise franchisée qui est pourtant leur employeur, et qui doit rester une entreprise juridiquement indépendante du franchiseur.
Maigre consolation, la loi évoque, me semble-t-il pour la première fois, la notion de réseau comme entité, ce qui est une bonne chose car le réseau est effectivement le « troisième homme » de la franchise, dont le rôle doit être celui d’un régulateur entre le franchiseur et les franchisés. Mais c’est un autre sujet.
« Les franchisés apparaissent enfin dans la loi »
« Le franchiseur engage une négociation visant à mettre en place une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau, comprenant des représentants des salariés et des franchisés et présidée par le franchiseur. »
L’obligation de créer l’instance de dialogue pèse sur le franchiseur, dès que la demande lui en est faite par les organisations syndicales de salariés. Le délai de 15 jours initialement prévu a disparu. Pas de limite de temps pour organiser la concertation, donc.
L’instance de dialogue est composée des représentants des salariés et des représentants des franchisés.
Les franchisés apparaissent enfin dans la loi.
Relevons que pour avoir des représentants, les franchisés devront s’organiser par eux-mêmes. La loi invite donc les franchisés à créer des associations de franchisés, qui pourront élire leurs représentants dans l’instance de dialogue.
Ne serait-ce que pour cela, cette loi surprenante doit être regardée avec intérêt par les franchisés, parce qu’ils pourront utiliser l’instance de dialogue comme outils de concertation avec le franchiseur, même si la présence des salariés des entreprises franchisées risque d’en limiter la portée.
S’il faut faire bon coeur contre mauvaise fortune, retenons que la loi ouvre une petite porte aux franchisés en reconnaissant l’entité réseau, en incitant les franchisés à s’organiser en association et en les faisant membres de l’instance de dialogue.
Réseau, association de franchisés et instance de dialogue étant les trois piliers qui manquaient aux réseaux de franchise.
Regrettons simplement que cela se déduise d’une loi sur les conditions de travail et sur l’organisation du travail des salariés des entreprises franchisées.
Le rôle important des associations de franchisés
« L’accord mettant en place cette instance prévoit sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour participer à cette instance et leurs modalités d’utilisation. À défaut d’accord, un décret en Conseil d’État détermine ces caractéristiques.
À défaut d’accord : 1° Le nombre de réunions de l’instance est fixée à deux par an ; 2° Un décret en Conseil d’État détermine les autres caractéristiques mentionnées au deuxième alinéa.
Les membres de l’instance sont dotés de moyens matériels ou financiers nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Les dépenses de fonctionnement de l’instance et d’organisation des réunions ainsi que les frais de séjour et de déplacement sont prises en charge selon des modalités fixées par l’accord ou, à défaut, par le franchiseur.
Lors de sa première réunion, l’instance adopte un règlement intérieur déterminant ses modalités de fonctionnement. »
Il faudra que les représentants des franchisés soient très actifs et très impliqués lors des négociations en vue de la création de l’instance de dialogue, et lors de la rédaction du règlement intérieur qui en déterminera les modalités de fonctionnement.
Ici encore, le rôle des associations de franchisés me parait de première importance, d’autant que le franchiseur ne sera plus le seul initiateur ni le seul rédacteur des conditions de fonctionnement de l’instance de dialogue, dont la composition, la fréquence de réunions et le périmètre d’action devra être le fruit d’une négociation tripartite.
Il faudra aussi veiller à ce que les coûts de cette instance de dialogue ne soient pas répercutés sur les franchisés, pour ne pas alourdir leurs charges.
« Lors des réunions mentionnées au deuxième alinéa et au 1° du présent I, l’instance est informée des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés.
Elle est informée des entreprises entrées dans le réseau ou l’ayant quitté. »
Ainsi, c’est le franchiseur qui informera directement les représentants des salariés des entreprises franchisées des décisions qu’il prendra et qui seront de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation, dans les entreprises franchisées.
Cette disposition confirme le lien direct entre le franchiseur et les salariés des franchisés en ignorant le franchisé employeur.
« La Loi place les franchisés au même niveau que leurs salariés dans l’accès aux informations économiques »
Mais en plus, elle place les franchisés au même niveau que leurs salariés dans l’accès aux informations économiques, puisqu’ils recevront l’information en même temps que leurs salariés.
Cette conception qui ignore la primauté naturelle des franchisés sur leurs salariés dans l’accès aux informations économiques qui concernent les entreprises franchisées et le réseau de franchise ne me semble pas du tout adaptée à la franchise.
Faut-il rappeler qu’un franchisé a des responsabilités économiques, financières et sociales qu’il garantit avec son patrimoine, obligations et risques qu’un salarié n’a pas.
La hiérarchie de l’information aurait exigé que le franchiseur informe d’abord et uniquement les franchisés de ses décisions de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés, à charge pour les franchisés de transmettre dans un second temps cette information à leurs salariés, pour la part qui les concerne.
Quant au périmètre de l’information, il sera très large car toutes les décisions économiques sont de nature à affecter l’emploi et les conditions de travail des salariés des franchisés. A titre d’exemple, les alourdissements ou les allègements des charges supportées par les entreprises franchisées, les changements de stratégie du franchiseur pour développer le réseau de franchise ou pour le fermer, les opérations de restructuration internes chez le franchiseur, les cessions ou les achats de réseaux auront des effets sur l’emploi et les conditions de travail des salariés des franchisés.
Et quand l’on connait les difficultés qui existent déjà dans ce type de situation entre les franchisés et le franchiseur, il est à craindre que l’immixtion des salariés et de leurs organisations syndicales dans le tour de table ne rendent les choses encore plus difficiles.
Quant à l’information des entreprises franchisées entrées et sorties du réseau, elle reprend l’obligation légale de l’article R 330-1 du code de commerce au profit des candidats à la franchise, sauf qu’ici, elle s’étend au bénéfice des salariés.
« L’instance formule, à son initiative, et examine, à la demande du franchiseur ou de représentants des franchisés, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale. »
L’instance de dialogue ne sera pas que passive, puisqu’elle pourra formuler toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation des salariés dans l’ensemble du réseau.
Dans ce cadre, les franchisés auront donc un pouvoir de proposition qui ne devra pas être négligé puisque, comme nous l’avons vu, toute décision économique a un effet sur les conditions de travail et l’emploi.
Ici encore, le travail en amont d’une association de franchisés pourra s’avérer très utile.
« L’article 29 bis A dans sa dernière version adoptée le 5 juillet 2016 repose sur [une] erreur de base fondamentale »
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent I, en particulier le délai dans lequel le franchiseur engage la négociation prévue au premier alinéa du même I. II à VIII. – (Supprimés) IX (nouveau). – Les organisations syndicales et les organisations professionnelles des branches concernées établissent un bilan de la mise en oeuvre du présent article et le transmettent à la Commission nationale de la négociation collective au plus tard dix-huit mois après la promulgation de la présente loi. »
Il faudra être attentif au décret. Quant au bilan, nous verrons bien, s’il sort un jour des méandres de l’administration…
En conclusion, l’article 29 bis A dans sa dernière version adoptée le 5 juillet 2016 repose sur cette erreur de base fondamentale qui consiste, au mieux à assimiler les entreprises franchisées aux filiales des franchiseurs, et au pire à les ignorer dans la hiérarchie de la transmission de l’information, ce qui est l’exact contraire de la franchise.
Au surplus certaines de ces informations peuvent être sensibles et concerner le savoir-faire. Leur divulgation au-delà du périmètre des entreprises du réseau n’est donc pas sans risques.
La loi donne aux salariés des franchisés un droit de regard, et derrière lui, une forme de pouvoir de contrôle de la politique menée dans le réseau, alors qu’ils n’en sont pas membres, alors qu’ils peuvent quitter leur employeur et donc le réseau à tout moment sans contrainte, ou que leur employeur peut lui-même quitter le réseau en fin de contrat.
La loi repose sur l’idée fausse que le réseau de franchise est assimilable à un réseau intégré de succursales ou de filiales du franchiseur.
Si le réseau de franchise est une entreprise commune, dans le sens où le franchiseur et chaque franchisé sont interdépendants économiquement et concourent ensemble au développement de leurs entreprises respectives, le temps du contrat, il n’en demeure pas moins que chaque entreprise franchisée doit rester indépendante et seule maître des informations qu’elle communique à ses salariés, et de sa politique sociale.
L’entreprise franchisée doit rester libre de quitter le réseau à l’échéance du contrat et rien ne doit entraver cette liberté. Cette souplesse est indispensable à la respiration économique de la franchise. Or la loi va rigidifier les réseaux et créer des adhérences juridiques et sociales entre des entreprises indépendantes.
Les excès de l’article 29 bis A : « la conséquence des excès des franchiseurs »
Comment ne pas voir dans les excès de l’article 29 bis A, la conséquence des excès des franchiseurs, qui ne cessent de renforcer la dépendance juridique et économique des franchisés, en leur imposant des contraintes qui vont au-delà du nécessaire, qui entrent dans le capital des sociétés franchisées pour mieux les contrôler de l’intérieur, qui les enferment sur de très longues durées, et les empêchent de sortir librement du réseau.
Mais puisque la loi est là, essayons d’en tirer profit pour les franchisés en retenant qu’elle reconnait légalement l’entité réseau, qu’elle crée une instance de dialogue dans laquelle les franchisés seront représentés ce qui doit les inciter à créer des associations de franchisés, qu’elle les invitent à être actifs dans la création et l’organisation de l’instance de dialogue et qu’elle ouvre une porte à la négociation lorsqu’il s’agira de proposer ou de débattre toutes mesures économiques ayant un effet sur l’emploi au sens large.
Ce texte s’inscrit aussi, mais avec maladresse, dans une politique plus large de concertation et de dialogue au sein des réseaux, ce qui est une bonne chose, comme en témoigne la réforme du droit des obligations dont les effets seront importants sur les contrats de franchise et sur les pratiques au sein des réseaux.
Mais c’est un autre sujet sur lequel nous reviendrons.
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