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      Loi Travail : dispositions intéressantes pour constitutionnalistes

      Tribune publiée le 21 juillet 2016 par Rémi DE BALMANN
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      Alors que la loi El Kohmri vient d’être définitivement adoptée à l’Assemblée via le 49-3, mais pas encore promulguée, l’avocat Rémi de Balmann répond à son confrère Serge Méresse et pointe du doigt l’inconstitutionnalité d’un texte dont le Conseil Constitutionnel « ne devrait pas manquer d’être prochainement saisi ».

      Alors même que l’instance de dialogue jusqu’ici fustigée aussi bien par les franchiseurs que par les franchisés est maintenue au travers désormais de l’article 64 de la loi El Khomri, n’est-il pas curieux – après avoir écrit que la loi Travail n’était « pas bonne, ni pour les franchisés, ni pour la franchise«  – d’y déceler aujourd’hui des « dispositions intéressantes » ?…

      Et après avoir soutenu – avec raison – que « derrière les informations données aux salariés, il y aura le contrôle de ces informations et leur immixtion dans la gestion sociale des franchisés, qui y perdront leur liberté de gérer l’emploi dans leur entreprise au profit d’une politique sociale collective », est-il bien sérieux de prétendre désormais que : « Réseau, association de franchisés et instance de dialogue (seraient) les trois piliers (qui) manquaient aux réseaux de franchise«  ?

      Serait-ce parce qu’entre la version initiale et finale du texte, l’instance de dialogue ne devrait plus être informée que des seules décisions du franchiseur et n’obligerait plus les franchisés à dévoiler leur propre stratégie de chef d’entreprise ?… Ainsi donc et ce qui était vrai pour les patrons franchisés ne le serait pas pour les patrons franchiseurs ! Vérité en-deçà, erreur au-delà.

      « Rien de bon ne peut sortir d’un dispositif inconstitutionnel »

      Il n’est d’ailleurs pas anodin de relever que cette loi serait censée ouvrir « une petite porte aux franchisés en reconnaissant l’entité réseau, en incitant les franchisés à s’organiser en association et en les faisant membres de l’instance de dialogue«  dans le même temps où – selon les propres termes de Monsieur Olivier Guivarch, Secrétaire général de la fédération services à la CFDT – il s’agirait de « commencer à mettre un pied dans la porte en créant une instance de dialogue et montrer à partir de là ce qu’elle peut apporter aux salariés comme aux entreprises » !… Ainsi et plutôt que de faire le procès des franchiseurs qui se seraient rendus coupables d’excès, ne peut-on pas répliquer que cette instance de dialogue procède notamment d’une confusion entre certaines associations de franchisés qui ont voulu se muer en véritables syndicats de franchisés ?

      Quoi qu’il en soit, rien de bon ne peut sortir d’un dispositif inconstitutionnel. Or tel est le cas ici et ce au moins à un double titre.

      En premier lieu, rien dans ce dispositif ne vient justifier que cette instance de dialogue devrait être mise en oeuvre dans les réseaux de franchise et pas dans les autres réseaux de commerce organisé. Il résulte des débats de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale que cette instance de dialogue serait nécessaire pour « débattre des éléments qui ont un impact sur les conditions de travail des salariés du réseau, par exemple le fait de porter la même tenue dans tout le réseau, les horaires d’ouverture, certaines incitations à la vente qui permettent une rémunération différenciée ». Rien là qui caractérise la franchise ou la différencie d’autres modes de distribution.

      « Une atteinte au principe d’égalité devant la loi »…

      D’où le grief d’atteinte au principe d’égalité devant la loi, étant rappelé que, selon une jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel, tout récemment encore fermement réaffirmée (cf. notamment décisions 2016-538 QPC du 22/04/16 et 2015-515 QPC du 14/01/16) : « Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse »; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; (…) qu’en particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose (…) ». Et qu’on le regrette ou non, la fameuse loi Macron ne faisait pour sa part aucune distinction lorsque – se référant à l’article L. 330-3 du Code de commerce – elle visait l’ensemble des réseaux et non pas exclusivement et arbitrairement – comme le fait aujourd’hui la loi El Khomri – la franchise !…

      …et « une atteinte à la liberté d’entreprendre »

      Quant à l’atteinte à la liberté d’entreprendre, elle constitue un second grief d’inconstitutionnalité manifeste. Rappelons ici que l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 édicte que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ».

      C’est au visa de cet article que les Sages du Palais Royal ont érigé en principe à valeur constitutionnelle la liberté d’entreprendre, considérant que (cf. notamment décision 2012-285 QPC du 30/11/12) : « La liberté d’entreprendre découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’il est loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ; (…) que la liberté d’entreprendre comprend non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité ».

      Or et au travers du dispositif retenu ici par le législateur, il est porté atteinte au principe d’indépendance voulu tant par les franchiseurs que par les franchisés eux-mêmes et qui constitue l’épine dorsale sur laquelle repose non seulement la franchise mais tous les réseaux de commerce organisé ou associé.

      Comme l’a dénoncé avec force Monsieur le Sénateur René-Paul Savary : « En assimilant les salariés des franchisés à des salariés du franchiseur, l’article 29 bis A porte (…) atteinte à la liberté d’entreprendre. (…) ».

      Les Sages du Conseil Constitutionnel « ne devraient pas manquer d’être prochainement saisis »

      La même mise en garde a eu lieu au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale où Madame la Députée Isabelle Le Callennec a dénoncé avec la même vigueur le fait que : « Les commerçants franchisés sont d’abord des commerçants indépendants. Or, en créant cette instance de dialogue, vous leur déniez cette qualité. A l’instar de tout salarié de PME ou de TPE, un salarié travaillant pour un commerçant indépendant franchisé relève du code du travail et de la convention collective du secteur considéré. Un entrepreneur franchisé est soumis aux mêmes seuils sociaux que les autres entreprises. On se demande pourquoi vous voulez conférer aux salariés d’une structure franchisée un statut différent de celui des salariés d’une structure équivalente non franchisée. Rien ne justifie la création d’une telle instance de dialogue. (…) Dans un réseau de franchise, la tête de réseau apporte les outils, l’assistance technique et commerciale, mais ce n’est absolument pas elle qui assume les risques que prend l’entrepreneur indépendant« .

      Il est toujours délicat de faire des pronostics en matière de Justice, qui reste soumise aux contingences humaines. Mais, au regard de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, gageons que les Sages – qui ne devraient pas manquer d’être prochainement saisis – jugeront inconstitutionnelle cette « instance de dialogue dans les réseaux de franchise« .

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