Commentant six jugements rendus le 7 juillet 2014 par le tribunal de commerce de Paris, l’auteur, avocat spécialiste de la franchise, souligne que « la manœuvre d’un franchiseur qui tenterait de déstabiliser un réseau concurrent, si elle n’est qu’un écran de fumée, doit être sanctionnée ».
Une société de franchise de pizza s’est plainte d’avoir perdu de nombreux points de vente du fait d’une politique commerciale d’un concurrent décrite comme étant très agressive, illicite et délictueuse. Ce dernier aurait consenti à ses franchisés des délais de paiement anormalement longs, des abandons de créances injustifiés, des prêts au mépris des règles concernant le monopole bancaire, et des rachats de leur fonds de commerce à vil prix.
On croit rêver. Un franchisé de l’autre côté de la barre se serait sans doute plaint de l’insuffisance de l’aide du franchiseur. Ici, pour le concurrent, c’est beaucoup trop, au point que le franchiseur généreux devrait être sanctionné !
Le tribunal de commerce de Paris, sans doute sensible à la crise, a, par six jugements du 7 juillet 2014, rejeté tous les griefs. Ainsi, il juge que les facilités financières accordées aux franchisés ne sont pas anormales dès lors qu’elles sont octroyées à titre onéreux et qu’il faudrait, pour envisager une sanction, que preuve soit faite de dépassements significatifs et fréquents des délais de paiement que seuls les services de la Dgccrf (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes) seraient en mesure de vérifier. De plus, le juge rejette les autres demandes pour absence de preuves. Ainsi notamment, il reproche à la demanderesse de n’avoir pas démontré que son concurrent se soit porté acquéreur de fonds de commerce franchisés à vil prix.
Des dommages intérêts pour « procédure abusive et désorganisation du réseau »
La demanderesse est non seulement déboutée de toutes ses demandes, mais, et c’est l’originalité des décisions, elle est condamnée à payer à son concurrent plus de 3 500 000 €. Ainsi, le jugement le plus significatif prononce-t-il une condamnation de 1 300 000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et désorganisation du réseau, outre 1 000 000 € du fait du dénigrement opéré. Bricole supplémentaire, 487 852 € à titre d’indemnité de procédure pour ce seul jugement (article 700).
Ces décisions s’inscrivent dans un contexte où, si l’on en croit le juge, la requérante s’est montrée particulièrement assidue et injuste dans sa poursuite, en multipliant les messages sur le web en vue de discréditer son concurrent. Le tribunal a estimé que le franchiseur requérant a voulu « casser » un concurrent par déstabilisation et dénigrement, tout en sollicitant des sommes pharaoniques pour déstabiliser aussi les bilans.
Pour la franchise en général, ce n’est pas une mauvaise chose. On a certes été habitué à des franchisés malheureux qui tentaient de déstabiliser le réseau. On voit là que s’agissant de l’initiative d’un franchisé ou d’un franchiseur, si elle n’est qu’un écran de fumée, la manœuvre de déstabilisation doit être sanctionnée.
Soyons prudents. Il ne s’agit là que de décisions de première instance dont la demanderesse fera sans doute appel. Le droit de la concurrence est complexe ; les décisions pourraient être revues par la Cour de Paris. Il reste qu’elles sont revêtues de l’exécution provisoire et sauf à ce qu’une décision de suspension de cette exécution intervienne en cours de procédure, elles seront fort lourdes à gérer dans l’attente de l’issue incertaine d’un recours.