La réforme du code du travail aurait un impact inattendu pour les réseaux de franchise : deux avocats spécialisés expliquent les conséquences de la nouvelle rédaction des articles relatifs au reclassement des salariés.
Par Maître Rémi de BALMANN, Avocat associé – gérant, cabinet D,M&D, département franchise et distribution, coordinateur du Collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise
Et Maître Pierre AUDIGUIER, Avocat associé et co-gérant, cabinet D,M&D, département droit social, Membre d’AvoSial
Sans qu’ils le réalisent encore, les réseaux vivent sans doute au travers de la réforme du code du travail portée par le Gouvernement d’Edouard Philippe une « révolution tranquille ». Ainsi et alors que de nombreux commentaires ont porté sur la possibilité de négocier dans l’entreprise sans syndicat, l’augmentation des indemnités de licenciement, le plafonnement des indemnités prud’homales, personne n’a semble-t-il évoqué l’impact de la nouvelle rédaction des articles du code du travail relatifs au reclassement des salariés en cas d’inaptitude ou de licenciement pour motif économique.
Sujet pourtant ô combien brûlant dans les réseaux depuis que les juges, adoptant une conception très extensive de la notion de groupe, ont considéré que les recherches de reclassement, en cas de licenciements pour motif économique ou pour inaptitude, devaient s’effectuer parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettaient d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, même si elles n’avaient aucun lien capitalistique entre elles.
Une « révolution tranquille »
C’est ainsi que franchiseurs comme franchisés ont intégré que – quoiqu’indépendants juridiquement – ils étaient susceptibles de se voir reprocher de n’avoir pas recherché dans l’ensemble du réseau des postes à proposer à leurs salariés qu’ils prévoyaient de licencier pour motif économique ou pour inaptitude (cf. notamment, Cass. soc, 20/02/08, n° 06-45335 ;
Cass. soc, 25/05/11, n° 10-14897 ; Cass. soc, 15/01/14, n° 12-22944). Et dans un arrêt récent du 23 mai 2017, la chambre sociale est allée encore plus loin en reprochant à l’employeur de ne pas avoir recherché à reclasser son salarié inapte au sein du réseau « Les Mousquetaires » qui rassemblait pourtant « les sociétés franchisées de plusieurs enseignes ». Et ce au motif que ces « entreprises étaient étroitement liées par des intérêts communs, des politiques communes d’approvisionnement et de prix et une communauté d’organisation, permettant une permutabilité des postes entre elles » (Cass. soc., 23 mai 2017, n° 15-24712).
Et faut-il rappeler ici que, dans le cadre de la discussion de la loi El Khomri, le Gouvernement Valls avait prévu dans un premier temps – avant d’y renoncer – à introduire dans la loi un article disposant que : « Lorsque le franchiseur ou un franchisé du réseau envisage de licencier pour motif économique, son obligation de reclassement s’exécute également dans le cadre du réseau ».
Les juges auraient ainsi été privés de la possibilité de vérifier – au cas par cas – s’il existait des possibilités de permutations et l’on se serait dirigé tout droit vers l’assimilation (factice) entre réseaux de franchise et unités économiques et sociales…
Un « virage à 180° »
Virage aujourd’hui à 180° puisqu’il est ajouté par ordonnances aux alinéas 1 des articles L. 1226-2, L 1226-10 et L. 1233-4 du code du travail relatifs aux licenciements pour inaptitude ou pour motif économique que l’employeur recherche à reclasser le salarié « au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situé sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assure la permutation de tout ou partie du personnel ».
Jusque-là, sauf à noter que les recherches de reclassement sont désormais limitées au territoire national pour les licenciements économiques comme pour les licenciements pour inaptitude, il ne s’agit que de la reprise de la jurisprudence actuelle.
Une clarification « salutaire »
Mais l’important est qu’il est ajouté que « Le groupe est défini conformément au I de l’article L. 2331-1 du Code du Travail. ».
Or, l’article L. 2331-1 du code du travail, qui n’a pas été modifié, dispose que : « Un comité de groupe est constitué au sein du groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce. »
Le groupe auquel il est ainsi fait référence dans ces ordonnances est celui constitué d’une société mère et de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle au sens du droit des sociétés.
Ce qui exclut du périmètre de recherche de reclassement les sociétés n’ayant aucun lien capitalistique entre elles, même lorsqu’elles ont des liens économiques étroits, comme c’est le cas en franchise ou dans les réseaux.
Il ne devrait donc plus être nécessaire d’interroger l’ensemble des franchisés ou des partenaires avant de procéder à un licenciement pour inaptitude ou pour motif économique.
Salutaire clarification qui va contribuer au tarissement d’un contentieux dont on ne peut que se réjouir tant il tournait le dos au principe d’indépendance franchiseur / franchisé.