Défenseur exclusif des franchisés, Me Serge Méresse commente une décision récente de la Cour de cassation concernant la clause de non-affiliation post-contractuelle, qui va selon lui dans le bon sens.
La Cour de Cassation a confirmé le 3 avril 2012 un arrêt d’appel qui avait annulé une clause de non-affiliation post-contractuelle au motif « que la clause emportant interdiction de s’affilier à un réseau concurrent sur l’ensemble du territoire métropolitain était insuffisamment limitée dans l’espace du fait que l’activité du franchisé s’exerçait dans une seule agence située à Manosque…qu’elle n’était pas proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur… »
Cette décision doit retenir l’attention parce qu’elle aborde concrètement la notion de proportionnalité entre l’interdiction faite à l’ex-franchisé de s’affilier à une enseigne concurrente et l’intérêt légitime du franchiseur d’imposer cette interdiction.
Partons d’un constat. Les franchiseurs mettent toujours en avant leur intérêt légitime pour interdire à l’ex-franchisé de continuer à exploiter son fonds de commerce avec des produits identiques ou similaires ou en s’affiliant à un autre réseau, en oubliant l’intérêt légitime de l’ex franchisé qui est de continuer à exploiter son fonds avec des produits identiques ou similaires ou en s’affiliant à un autre réseau.
Il était donc temps de mettre à égalité l’intérêt légitime de l’un et de l’autre. C’est le premier apport de cet arrêt qui annule la clause de non-affiliation parce que les avantages qu’elle donnait au franchiseur étaient disproportionnés par rapport aux nuisances qu’elle créait pour l’ex-franchisé.
Protéger le savoir-faire du franchiseur…
Rappelons que la seule légitimité de la clause de non-concurrence ou de non-affiliation est de protéger le savoir-faire du franchiseur. La question est donc de savoir si l’interdiction permet d’atteindre cet objectif.
A l’évidence, non. D’abord, parce que le savoir-faire n’est plus accessible à celui qui n’est plus dans le réseau puisqu’il n’a plus accès aux produits et services qui le caractérise (et s’il venait à les copier ou à les contrefaire, la concurrence déloyale serait suffisante pour protéger l’ex-franchiseur et son réseau). Ensuite, parce que si un franchisé sort d’une enseigne pour en rejoindre une autre, c’est précisément pour commercialiser d’autres produits ou services qu’il juge plus satisfaisants. Enfin, parce que la nouvelle enseigne exige toujours le respect de son propre savoir-faire, ce qui interdit automatiquement l’utilisation de l’ancien savoir-faire de l’ex-franchiseur.
En réalité les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles ne sont pas faites pour protéger le savoir faire du franchiseur délaissé mais pour empêcher les franchisés de sortir du réseau ou pour les anéantir économiquement s’ils le font. Ce sont des clauses « tueuses ».
Au cas d’espèce, la Cour de cassation juge que la clause interdisant une affiliation post-contractuelle sur l’ensemble du territoire national à un ex-franchisé qui exploitait sur un territoire limité, était « insuffisamment limitée dans l’espace« .
…mais aussi l’entreprise et le fonds de commerce du franchisé
Il s’en déduit d’abord que la non-affiliation post-contractuelle doit être géographiquement proportionnelle au secteur dans lequel la franchise était exploitée. Mais il s’en déduit ensuite que la clause aurait dû préciser concrètement en quoi elle était nécessaire à la protection de l’intérêt légitime du franchiseur, ce qui oblige le franchiseur à définir cet intérêt légitime pour que les juges puissent exercer leur contrôle. Les franchiseurs ne peuvent plus se contenter d’une simple affirmation.
Car enfin, en quoi le franchiseur serait-il légitime à interdire à l’ex-franchisé de devenir concurrent du réseau y compris en s’affiliant à un autre réseau ? Pourquoi privilégier le franchiseur au préjudice du franchisé ? Pour quelle raison l’ex-franchisé devrait-il subir une restriction voire une impossibilité économique d’exploiter son entreprise à l’issue du contrat pendant que le franchiseur, lui, aurait toute liberté d’implanter son enseigne sur le secteur et s’approprier gratuitement tout ou partie de la clientèle locale de l’ex-franchisé ?
Si le savoir-faire du franchiseur doit être protégé, l’entreprise et le fonds de commerce de l’ex-franchisé doivent l’être tout autant. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. A l’issue du contrat, l’ex-franchisé doit retrouver sa totale liberté d’activité et d’affiliation à l’égal du franchiseur qui est libre de devenir concurrent de son ex-franchisé. Si la protection du savoir-faire est de droit, celle de l’intérêt légitime du franchisé de poursuivre librement son activité ne l’est pas moins.
Il est temps d’abolir les privilèges de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuels que les franchiseurs s’octroient abusivement.
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