Une société affiliée a obtenu en appel la nullité de son contrat et ses deux gérants doivent percevoir d’importantes indemnités de leur ex-affilieur. Les magistrats ont estimé que celui-ci avait volontairement trompé ses partenaires sur la rentabilité du concept. Un arrêt « particulièrement bien motivé », selon Maître Olga Zakharova-Renaud.
L’arrêt obtenu contre une filiale d’un grand groupe français du CAC 40, spécialisée dans l’écoulement des invendus de prêt-à-porter du groupe, doit retenir l’attention. Cette société a imaginé développer son réseau de distribution par le biais de contrats d’affiliation. Dans ce but, elle a signé avec le gérant associé d’une société affiliée un premier contrat. Préalablement à cette signature, elle lui a communiqué un Document d’Information Précontractuelle (DIP) ainsi que deux comptes d’exploitation prévisionnels « standard ».
Huit mois après l’ouverture de ce premier magasin, la même société affiliée en a ouvert un second, dans une autre ville. Aucun DIP ne lui a été communiqué à cette occasion. Un an après l’inauguration du premier point de vente, les résultats d’exploitation et le chiffre d’affaires de la société affiliée se sont avérés très inférieurs aux prévisions de l’affilieur, qui livrait des marchandises difficiles à vendre mais ne reprenait pas les invendus. Rapidement, la trésorerie nécessaire à l’achat des marchandises a fait défaut à l’affilié. L’affilieur a cessé l’approvisionnement des points de vente, provoquant la rupture des contrats d’affiliation et l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société affiliée.
La Cour d’appel de Douai, saisie par celle-ci et ses associés-dirigeants à titre personnel, a infirmé la décision des premiers juges, annulé les contrats d’affiliation pour vice de consentement, ordonné la réparation du préjudice causé à la société affiliée par le comblement de ses pertes, et condamné l’affilieur à réparer le préjudice moral subi par les dirigeants personnes physiques. Le montant total des condamnations s’est élevé à environ 1 700 000 €.
Irrégularités dans le DIP
La Cour d’appel est extrêmement claire dans sa motivation. Elle relève tout d’abord plusieurs irrégularités dans le premier DIP :
- aucun état du marché n’a été fourni dans le secteur de l’activité en cause, qu’il soit général ou local. La Cour souligne que « la circonstance que le DIP incite fortement le candidat affilié à faire réaliser à ses frais une étude de marché, ne saurait exempter (l’affilieur) de ses propres obligations » ;
- alors que la loi impose à l’affilieur la remise des comptes annuels des 2 derniers exercices, le DIP n’en contenait aucun. Seul le chiffre d’affaires des 2 dernières années a été indiqué. Or, il ressort des comptes de résultat versés aux débats que les résultats d’exploitation de l’affilieur étaient constamment et fortement déficitaires. Par ailleurs, sur la douzaine de succursales de l’affilieur, 9 avaient fermé et sur 8 contrats d’affiliation seuls 4 étaient encore en cours. La Cour en déduit que « le choix de (l’affilieur) de mentionner exclusivement le chiffre d’affaires dans le DIP, en dehors de toute autre donnée, est révélateur d’une volonté délibérée d’occulter la réalité de sa situation économique, alors que celle-ci se trouvait déficitaire tant avant que pendant la période des négociations précontractuelles avec (la société affiliée et ses gérants)« .
Comptes prévisionnels trompeurs
En ce qui concerne la communication des comptes d’exploitation prévisionnels, la Cour constate que les chiffres indiqués n’ont jamais pu être atteints, l’écart avec les chiffres réellement réalisés se situait entre 30 % et 50 %, alors qu’aucune faute de gestion des dirigeants n’était démontrée.
La Cour relève que la communication des prévisionnels au candidat à l’affiliation n’est pas obligatoire mais qu’en ayant fait le choix de les fournir volontairement, l’affilieur devait les établir de manière « sincère et loyale » et qu’il n’est pas fondé à ce retrancher derrière le caractère « non contractuel » et « purement indicatif » de ces comptes « afin d’échapper eux conséquences qui en sont résultées pour son cocontractant« , car « ces documents d’information, fondamentaux, établis (par l’affilieur) en fonction des données chiffrées qu’il possédait, visaient à rendre singulièrement attractif le concept proposé à (la société affiliée et ses gérants) ».
Rentabilité : des informations sciemment dissimulées
Pour la Cour, la faute de l’affilieur est établie car sa société « ne démontre pas que les comptes prévisionnels standard qu’elle a transmis (étaient) conformes à la réalité économique de son réseau d’affiliés, et donc élaborés sur la base des données comptables sérieuses, objectives, exactes et vérifiables« . La Cour relève aussi que la propre situation de l’affilieur à l’époque de la conclusion du premier contrat tend à discréditer ces comptes prévisionnels.
La Cour considère également que la signature d’un second contrat d’affiliation par l’affilié ne valide pas son consentement, et ne saurait être interprétée comme une ratification a posteriori de ces conventions car à cette époque il n’avait pas plus d’informations qu’à la signature du premier contrat.
La Cour considère donc que l’affilieur a sciemment dissimulé les informations sur la rentabilité de son concept et la santé financière de son groupe, que ces informations avaient un caractère déterminant pour le consentement de l’affilié, ce qui justifie l’annulation des conventions signées.
Indemnités pour les gérants à titre personnel
En ce qui concerne les dirigeants-personnes physiques, la Cour admet qu’ils ont subi un préjudice tant en termes de perte de revenus, qu’à titre moral « en raison de la nécessité pour eux de mettre fin de manière anticipée à l’exploitation des fonds de commerce, déficitaires, après y avoir investi du temps et de l’argent, et en raison de la nécessité de recourir à la justice pour faire valoir leurs droits« .
Ce préjudice moral se justifie également par la perte de chance de réussir dans leur affaire et d’éviter le redressement judiciaire de leur société. De plus, en raison de la liquidation judiciaire de leur société, les noms des dirigeants sont portés sur le fichier de la Banque de France, ce qui les empêche de contracter de nouveaux emprunts et de pouvoir se relancer dans le monde des affaires en créant une nouvelle société. La Cour leur accorde la réparation du préjudice moral à hauteur de 120 000 €.
Cet arrêt, particulièrement bien motivé, confirme la jurisprudence de la Cour de cassation sur la nullité des contrats pour vice de consentement et sur l’indemnisation de la perte de chance. La main du juge n’a pas tremblé non plus sur la réparation du dommage personnel des dirigeants, qui n’est malheureusement pas assez pris en compte par les Tribunaux.
Référence : Cour d’appel de Douai, 30 octobre 2012, chambre 2, section 2, n° RG : 10/040
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