Les frondeurs viennent de faire introduire dans le projet de loi El Khomri la création d’une instance de dialogue dans les réseaux de franchise. Un comité d’entreprise déguisé, estime l’auteur, avocat des franchiseurs. Qui dénonce un dévoiement du système même de la franchise.
Incroyable. Les frondeurs ont réussi à faire introduire dans le projet de loi El Khomri la création d’un comité d’entreprise déguisé dans les réseaux de franchise, qualifié d’instance de dialogue. Ainsi, dès lors qu’un réseau compte au moins 50 salariés parmi les franchisés, le franchiseur doit mettre en place ce comité. Cela signifie en pratique que cette nouvelle disposition concerne la quasi-totalité des réseaux de franchise.
Les conditions de mise en œuvre et les pouvoirs de ce comité sont empreints de bien des spécificités liées au droit commun du travail. Le franchiseur devient quasiment un chef d’entreprise, succursales et franchises confondues.
Un texte édifiant
Les attributions de ce comité sont larges :
« Art. L. 23-123-1. – L’instance de dialogue est informée trimestriellement sur l’activité, la situation économique et financière, l’évolution et les prévisions d’emploi annuelles ou pluriannuelles et les actions éventuelles de prévention envisagées compte tenu de ces prévisions, la politique sociale et les conditions de travail de l’ensemble du réseau.
« Art. L. 23-123-2. – L’instance est informée des décisions concernant l’organisation, la gestion et la marche générale du réseau de franchise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle.
« Elle est aussi informée des entreprises entrant dans le réseau et sortant du réseau.
« L’instance formule, à son initiative, et examine, à la demande du franchiseur ou de représentants des franchisés, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans l’ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale.
« Art. L. 23-123-3. – L’instance de dialogue peut mettre en place des activités sociales et culturelles, dont elle assure la gestion, pour l’ensemble des salariés du réseau de franchise. À ce titre, les entreprises du réseau peuvent attribuer à l’instance un budget pour ces activités sociales et culturelles.
« Art. L. 23-123-4. – Les entreprises du réseau informent régulièrement l’instance de dialogue des emplois disponibles en leur sein. L’instance met en place une information pour les salariés du réseau.
« Art. L. 23-123-5. – Lorsque le franchiseur ou un franchisé du réseau envisage de licencier pour motif économique, son obligation de reclassement s’exécute également dans le cadre du réseau. »
Plus généralement, la lecture totale du texte (https://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/3675_article_49_3.pdf, page 170 et suivants) est édifiante.
Le projet de loi El Khomri est contraire à tous les principes établis jusqu’alors dans les systèmes de franchise :
Exit l’équité
- La loi vise les réseaux de franchise ; elle ne vise pas les réseaux très proches, ceux de Concession, de Licence d’Enseigne, de Coopérative, ou de Distribution Sélective. On ne sait pas pourquoi.
- Si le représentant élu est un salarié d’une petite entreprise franchisée, le franchisé devra permettre à son salarié d’être disponible au moins 20 heures par mois pour sa fonction, comme ce serait le cas pour une grande entreprise. Cela est une véritable aberration pour une petite exploitation.
- Plus généralement, les entreprises franchisées sont soumises en pratique, conjointement avec le franchiseur, à des obligations traditionnellement dévolues aux entreprises de plus de 50 salariés.
- Le franchiseur assume seul tous les frais de fonctionnement du comité, dont les dépenses de transport ou autres des représentants des franchisés.
Exit l’indépendance
Toutes les règles historiques de la franchise, Nord-américaines, Européennes, ou Françaises ont mis en avant l’exigence la plus absolue d’indépendance juridique du franchisé. Or le projet de loi crée un lien juridique de dépendance entre le franchiseur, le franchisé et le réseau, ce dernier n’ayant pourtant pas la personnalité morale. A la base, le projet de loi El Khomri devait faciliter le fonctionnement des entreprises. Il le complexifie terriblement ; dans la plus grande incohérence. Il n’est pas possible de créer un tel lien juridique entre les parties qui permet à chacun d’être très informé du fonctionnement de l’autre, voire d’en dépendre dans certains cas. Plusieurs règlements d’exemption européens ne valident la franchise qu’à la condition de maintenir l’indépendance du franchisé. La jurisprudence française et européenne martèle cette règle à coup d’annulation des contrats de franchise.
Exit la créativité
Un système de franchise requiert un savoir-faire que la toute récente loi Macron qualifie de spécifique. Le pataugeage entre le salariat et la souplesse inhérente à la créativité d’un système de franchise sera sans doute un frein à de nombreux projets. Les franchiseurs sont créatifs (les résultats en témoignent) parce qu’ils bénéficient de souplesse de fonctionnement. Le formidable développement de la franchise témoigne de l’intérêt de cette souplesse. Le formalisme bloquant engendré par le projet de loi El Khomri serait un frein tant pour les franchisés soumis aux mêmes règles que les grandes entreprises que pour le franchiseur qui pourrait bien faire preuve de paternalisme, le pire frein à la créativité.
Focalisés sur leur marchandage, les frondeurs comme le gouvernement n’ont sans doute pas pris la mesure de la totale inadéquation entre ce projet de loi et les textes européens sur la franchise. Il est encore temps de rectifier le tir…
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