La Cour de cassation le confirme : tous les réseaux de franchise entrent dans le champ des articles du code de commerce qui encadrent depuis 2016 les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles. Les activités de services sont concernées au même titre que celles de distribution par la notion de « commerce de détail » incluse dans la loi.
Oui, les activités de services sont visées par les dispositions du code de commerce qui encadrent les clauses de non-affiliation post-contractuelle des réseaux commerciaux.
Ces clauses, qui ont pour but de limiter les possibilités des franchisés de rallier un réseau concurrent après la fin de leur contrat doivent, pour être licites, respecter certaines règles.
Une ambiguïté subsistait car la loi faisait référence à la notion de « magasins de commerce de détail » pour désigner les exploitations ciblées par ses dispositions.
C’est cette ambiguïté qui vient d’être levée par la plus haute juridiction française. Pour les magistrats, les activités de services en franchise ou en affiliation relèvent bel et bien de la loi au même titre que celles de distribution.
C’était l’analyse de la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu en février 2023 et contesté par le franchiseur débouté. C’est aussi celle de la Cour de cassation, précisée dans une décision particulièrement motivée du 5 juin 2024 qu’elle a décidé de publier dans son bulletin.
Selon le franchiseur, la loi ne s’appliquait pas aux agences immobilières, mais seulement aux magasins de commerce de détail
A l’origine du litige tranché par la justice : les clauses de non-affiliation post-contractuelle insérées dans plusieurs contrats de franchise d’un grand réseau d’agences immobilières.
Des clauses que l’un de ses multifranchisés n’a pas respectées en rejoignant un réseau concurrent après avoir résilié ses contrats.
Devant la Cour de cassation, le franchiseur contestait l’arrêt d’appel qui l’a débouté de ses demandes de condamnation du franchisé.
Il affirmait d’abord que les articles L.341-1 et L.341-2 du code de commerce* en vigueur depuis 2016 et invoqués par la cour d’appel de Paris ne s’appliquaient pas aux agences immobilières mais seulement aux « magasins de commerce de détail ».
Pour la Cour de cassation, aucune différence de traitement entre les réseaux n’est justifiée selon leur activité
La plus haute juridiction française ne partage pas l’analyse du franchiseur.
Si cette « notion de commerce de détail » figure bien dans le texte de loi, reconnaissent les magistrats, « aucune définition (n’en) est donnée ». « Faute de précision », il convient donc selon eux de « l’interpréter au regard de la finalité du texte ».
Or, quelle est cette finalité ? « L’article L. 341-2 du code de commerce vise à mettre un terme aux pratiques contractuelles des réseaux de distribution commerciale qui restreignent la liberté d’entreprendre de leurs affiliés (…) en dissuadant les changements d’enseigne », répond la Cour.
L’objectif du texte de loi est au contraire de faciliter ces changements « en vue d’augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs, de diversifier l’offre, tout en permettant aux commerçants de faire jouer la concurrence entre enseignes, notamment au niveau des services que celles-ci proposent ».
Pour la Cour de cassation, « le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général qui ne justifie aucune différence de traitement entre les réseaux, selon qu’ils exercent une activité de vente de marchandises ou une activité de services ».
Et les magistrats mettent encore un peu plus les points sur les « i ». Pour eux, comme pour la cour d’appel de Paris, « Il en résulte que la notion de commerce de détail ne peut être entendue au sens de la seule vente de marchandises à des consommateurs et peut couvrir des activités de services auprès de particuliers, telle une activité d’agence immobilière. »
La Cour de cassation rejette donc l’argument du franchiseur sur ce point.
Une clause de non-affiliation post-contractuelle présentant un périmètre excessif en termes de personnes concernées doit être annulée…
Le franchiseur reprochait également à l’arrêt d’appel d’avoir annulé ses clauses de non-affiliation parce qu’elles s’étendaient à trop de personnes en dehors du franchisé lui-même.
L’interdiction de rallier un réseau concurrent après la fin du contrat s’adressait en effet « à toute personne physique ou morale ayant à un moment quelconque de l’exécution du contrat exercé des fonctions dans ou pour la société franchisée » et même à « tout ayant cause, à titre universel ou particulier ».
Pour le franchiseur, il aurait suffi d’annuler cette partie de la clause et non la clause entière dans son contrat de 2017 qui respectait les autres conditions d’espace et de temps imposées par la loi.*
La Cour de cassation approuve la cour d’appel pour avoir considéré, en l’occurrence, que cette interdiction n’était « pas indispensable à la protection du savoir-faire du franchiseur et portait une atteinte excessive au libre exercice de l’activité du franchisé » et pour avoir en conséquence annulé la clause tout entière.
…De même pour une clause interdisant l’affiliation à un réseau concurrent dans un espace trop vaste, même si elle a été signée avant 2016
Enfin, le franchiseur contestait l’arrêt d’appel pour avoir annulé les clauses de non-affiliation post-contractuelles contenues dans les autres contrats du franchisé conclus avant l’entrée en vigueur en 2016 des articles précités du code de commerce.
En plus des interdictions portant sur les personnes, ces clauses avaient pour but d’empêcher le franchisé de rallier un autre réseau dans le cadre « du ou des départements » où il exerçait précédemment.
Pour le franchiseur, il aurait été possible aux juges d’appel de modifier ce périmètre puisqu’il leur paraissait excessif, plutôt que d’annuler les clauses.
Sur ce point aussi, la Cour de cassation approuve la cour d’appel de Paris d’avoir, au vu de la somme des interdictions, « retenu que l’atteinte portée à la liberté du franchisé était en l’espèce excessive au regard des intérêts à protéger » et d’avoir annulé les clauses concernées.
Le pourvoi du franchiseur contre l’arrêt d’appel est donc rejeté.
Un arrêt de grande portée
On l’aura compris, cet arrêt de la Cour de cassation va bien au-delà du litige particulier tranché aux dépens du franchiseur immobilier qui va devoir modifier ses contrats.
Il confirme ce que nombre d’experts du droit de la franchise affirmaient déjà, à savoir que les dispositions des articles du code de commerce encadrant les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles s’appliquent bien à tous les types de réseaux de franchise quelle que soit leur activité, et pas seulement à ceux qui interviennent dans ce que l’on appelle traditionnellement le « commerce de détail »…
*Les articles L.341-1 et L.341-2 du code de commerce sont issus de la loi Macron d’août 2015, applicable aux contrats signés depuis 2016.
L’article L.341-2 stipule que, pour être valables, les clauses de non-affiliation post-contractuelle doivent répondre à quatre conditions cumulatives. A savoir : concerner des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat, être limitées aux terrains et locaux où le franchisé exerce son activité, être indispensables à la protection du savoir-faire transmis au réseau et ne pas excéder un an après la fin du contrat.