Défenseur reconnu des franchisés, le spécialiste – qui conseille aussi de jeunes réseaux – appelle les acteurs de la franchise à la vigilance avant la signature de leur contrat, mais aussi à la créativité et au dialogue face aux enjeux de la période.
Les contrats de franchise doivent évoluer, mais c’est la manière dont ils sont appliqués qui compte le plus.
Quelles sont les principales clauses du contrat de franchise auxquelles les candidats franchisés doivent faire plus particulièrement attention en cette année 2021 ?
Le vrai problème se pose surtout en fait au niveau de la formation du contrat, lors de la remise du DIP (Document d’information précontractuelle). Car quelle visibilité avons-nous aujourd’hui sur la rentabilité future ? Que le franchiseur présente pour 2020 un bon ou un mauvais bilan ne sera de toute façon pas représentatif pour l’avenir… Je crains qu’il y ait beaucoup de contentieux en préparation concernant l’annulation du contrat, surtout au niveau de l’erreur sur la rentabilité.
Instruit par l’expérience des différents confinements, conseillez-vous par exemple de refuser de signer un contrat qui prévoit des redevances avec un minimum garanti quoi qu’il arrive ?
Il faut essayer d’obtenir des clauses qui précisent que, sans activité du franchisé, il n’y a pas de redevance. L’autre vrai problème ce sont les objectifs de performance. Justifiés en temps ordinaire – car il est normal que le franchiseur veille à ce que le franchisé exploite convenablement le concept – ils ne le sont plus en temps de crise.
« Le contrat de franchise devrait pouvoir être renégocié en cas d’événement imprévisible »
Les contrats contiennent parfois des clauses par lesquelles les franchisés renoncent par avance à utiliser les possibilités qu’ouvre le Code civil en matière d’imprévision. Ils ne peuvent donc pas invoquer cette disposition légale pour refuser par exemple de payer leurs redevances parce qu’ils ne font pas de chiffre d’affaires. Quel conseil donnez-vous sur ce point aux futurs franchisés ?
En fait, beaucoup de contrats ne prévoient rien sur l’imprévision. D’anciens contrats d’avant 2016 – date d’entrée en vigueur de la réforme du Code civil – « tournent » encore dans beaucoup de réseaux. Mieux vaudrait en effet prévoir qu’en cas de modification imprévue des circonstances économiques, les parties se revoient pour renégocier ou résilier à l’amiable le contrat. Mais peut-on considérer que la crise sanitaire et la crise économique qu’elle provoque sont toujours en 2021, aussi imprévisibles ? En mars 2020, oui. Mais aujourd’hui ?
Que faire si le franchiseur ne veut pas prévoir de renégociation ?
Le franchisé pourra jouer sur un autre levier. Si le franchiseur n’a pas fait évoluer son savoir-faire, il pourra le lui reprocher. Car c’est un élément-clé du contrat. Si le savoir-faire n’est pas évolutif, le franchisé pourra demander l’annulation du contrat.
Quid des clauses de force majeure ? (Exemple : je ne peux pas payer mes redevances car je fais face à un cas de force majeure : l’interdiction de mon activité par le gouvernement.) Y a-t-il une force majeure financière ou non ?
La force majeure est toujours compliquée à faire valoir. Au moment du premier confinement, les preneurs de baux commerciaux ont essayé. Les juges ont dit non. La force majeure en fait, c’est l’imprévision. Si demain il y a une guerre, la force majeure va jouer, mais pas forcément si la pandémie dure cinq ans… En tout cas, mieux vaut écrire les choses.
« Le franchiseur doit être capable de répondre avec une nouvelle forme d’assistance à des situations nouvelles. »
Doit-on veiller à ce que le contrat comporte une clause sur l’assistance à distance du franchiseur ?
Il faut peut-être qu’un surcroît d’assistance soit prévu pour les périodes de crise, avec le remplacement des visites physiques dans le point de vente, par des visites « virtuelles ». De toute manière, il faut que l’assistance du franchiseur évolue en même temps que les circonstances. Et que tout suive : la logistique, le réassort, la communication en ligne.
Le franchiseur doit être capable de répondre avec une nouvelle forme d’assistance à des situations nouvelles. Toutefois, il n’a pas à préciser davantage les choses dans le contrat que dans un contrat classique. Car l’assistance contractuelle est là pour aider à mettre en œuvre le savoir-faire. Je ne vois pas comment l’écrire en détail dans le contrat. La clause doit être suffisamment souple pour couvrir toutes les situations.
Le nombre de visites d’animateur par exemple ne doit-il pas être précisé ?
Oui, on peut indiquer que le franchiseur organisera au moins 3 ou 4 fois par an une visite sur le site du franchisé. Et que, si ce n’est pas possible, une assistance d’une autre nature par mail ou autre sera délivrée quand vous en ferez la demande. De toute manière, le franchiseur doit fournir l’assistance, c’est une obligation à sa charge. Et il doit la fournir spontanément, c’est ce que dit la jurisprudence. Mais ce n’est pas au contrat de tout décrire. Contrairement aux contrats anglo-saxons de 70 pages où tout est précisé dans le moindre détail, je suis favorable à un contrat plus souple ; la jurisprudence est aujourd’hui assez précise pour que le franchiseur sache exactement ce qu’il a à faire.
Le fait que tout soit précisé dans un contrat de type anglo-saxon n’est-il pas un avantage pour le franchisé ?
Oui et non. Oui, car le franchisé qui signe sait exactement à quoi il doit s’attendre. Non, car une fois que le contrat est rempli, les franchiseurs s’en lavent les mains. Cela fonctionne quand il n’y a pas d’imprévu. Or il y en a tous les jours.
Doit-on essayer d’obtenir l’insertion d’une clause prévoyant l’intervention du franchiseur auprès du bailleur du franchisé en cas de nécessité (si, par exemple, il exige le paiement du loyer alors que le franchisé ne peut pas encaisser de chiffre d’affaires) ?
Ce n’est pas le métier naturel du franchiseur. C’est au franchisé de négocier avec son bailleur. Sinon, cela va trop loin. Si le franchiseur veut le faire, c’est son problème. Mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas le proposer. L’assistance ne consiste pas à se substituer au franchisé. Si le franchisé veut utiliser le poids de son enseigne dans sa négociation, cela le regarde. Mais ce n’est pas au franchiseur de s’astreindre à ce genre d’intervention.
« Le contrat pourrait prévoir que si les points de vente franchisés doivent rester fermés, le franchiseur rétrocède une partie du chiffre d’affaires provenant des ventes en ligne ».
Comment faire en sorte que le contrat prévoit une juste répartition de la rémunération de l’activité e-commerce entre le franchiseur et les franchisés ?
En temps normal, il faut déjà s’intéresser de très près à la question. A fortiori en période de crise. J’ai par exemple des clients franchisés dans le secteur de la restauration rapide qui travaillent beaucoup avec des plateformes du type Deliveroo. Or, la plate-forme émet la facture au nom de la société franchisée, encaisse le paiement et verse tout le produit de la vente au franchisé qui reverse ensuite une commission de 30 % à Deliveroo. Mais le taux de redevances des franchisés s’applique sur la totalité de leur chiffre d’affaires, donc aussi sur la commission qu’ils n’encaissent pas au final.
C’est un vrai problème. Face auquel certaines enseignes ne veulent rien savoir et nous disent : sans Deliveroo vous n’auriez pas fait ce chiffre. Donc, vendez plus cher ! Ce qui peut s’entendre. D’autres en revanche acceptent de négocier et d’exclure les commissions de l’assiette de calcul de la redevance. On peut donc prévoir dans le contrat qu’en cas de recours à une plateforme de mise en relation de la clientèle, la commission de cet intermédiaire sera sortie du CA et en fait exemptée de redevances, mais la mise en pratique risque d’être compliquée. Il faudra que le franchisé fournisse vente par vente les justificatifs. Cela peut alourdir la gestion.
Comment protéger l’exclusivité territoriale accordée au franchisé de la concurrence du site internet du franchiseur ?
On sait ce que valent ces clauses-là aujourd’hui. Les ventes par internet sont considérées a priori comme des ventes passives sauf quand on peut prouver qu’elles sont actives. Il faut déjà en tenir compte en temps normal. Encore plus en période de crise, où de petits malins parmi les franchisés multiplient parfois les sites et s’amusent à acheter sur les moteurs de recherche des mots-clés qui leur permettent de marcher un peu sur les plates-bandes du franchisé voisin. C’est au franchiseur bien sûr de reprendre les choses en main…
Mais n’est-ce pas avant tout le site internet du franchiseur qui est souvent vécu par les franchisés comme leur plus grand concurrent ?
En général, les franchiseurs prévoient, concernant les ventes en ligne sur le site de l’enseigne, une formule de rémunération du franchisé. Mais la vente en ligne c’est compliqué, il faut assurer la gestion de la commande, le transport, le suivi. Il est normal que le franchiseur se paye pour cela. Soit en prélevant une commission sur le produit de la vente reversé au franchisé considéré comme le vendeur. Soit en encaissant le produit de la vente et en reversant une commission au franchisé. Il y a une troisième hypothèse : le franchisé livre le client, encaisse et reverse une commission au franchiseur qui lui a apporté cette vente via son site.
De toute façon, il faut prévoir une formule dans le contrat. C’est déjà vrai en temps normal car Internet est souvent un sujet de litige à l’intérieur du réseau. Mais on peut aussi prévoir que si les points de vente franchisés sont fermés, le franchiseur rétrocède une partie du chiffre d’affaires provenant des ventes en ligne. Ce sera toutefois compliqué à mettre en œuvre. Et il sera difficile aux franchisés de contrôler les déclarations du franchiseur se rapportant aux ventes en provenance de leurs territoires.
« Un franchisé qui ne va pas bien peut être tenté d’aller chasser sur les terres de ses collègues. Les choses se passent mieux s’il existe une instance de dialogue. »
D’autres clauses sont-elles selon vous à surveiller plus particulièrement ?
Oui, les clauses relatives à l’approvisionnement. Car que fait-on lorsque les produits sont en rupture de livraison par exemple et que l’on est tenu par une clause d’exclusivité ? Il faut prévoir plus de souplesse dans la mise en œuvre et permettre au franchisé, en cas de rupture, de s’approvisionner à des conditions de qualité égales, auprès d’autres fournisseurs.
Je pense aussi qu’il faut bétonner les clauses de règlement et de conciliation préalable dans les conflits entre franchisés. Les relations sont plus tendues en période de crise. Un franchisé qui ne va pas bien peut être tenté d’aller chasser sur les terres de ses collègues, etc. Les choses se passent mieux s’il existe une instance de dialogue. Or il n’en existe pas assez, qu’il s’agisse d’associations de franchisés ou de structures permettant le dialogue entre le franchiseur et ses franchisés.
Dans le contrat, on peut donc prévoir que si tous les points de vente sont contraints de fermer, il y ait une concertation où le franchiseur propose ses solutions et où les franchisés donnent leur avis. De façon informelle cela s’est fait dans pas mal de réseaux. Ce n’est pas contractualisé et pas assez performant. Or il vaut mieux plus de dialogue et définir des règles en amont plutôt qu’imposer une relation trop verticale. Les franchisés aussi peuvent avoir de bonnes idées… Et cela ne vaut pas qu’en temps de crise.
« Les clauses interdisant au franchisé toute autre activité pendant le contrat doivent être revues. »
Les clauses concernant la cession du point de vente franchisé ne sont-elles pas particulièrement d’actualité ?
Il est évident que, face au bouleversement actuel de l’économie, on peut comprendre que certains franchisés jettent l’éponge. Toutefois il est normal que les règles de protection du réseau (droit de préemption ou de préférence du franchiseur, droit d’agrément du repreneur ou successeur) jouent même en période de crise.
Attention, beaucoup de franchiseurs en abusent en attendant par exemple le dernier moment pour indiquer que la reprise de l’entreprise franchisée ne les intéresse pas, histoire d’essayer de faire capoter la vente en cours. Sur ce point, le contrat doit donner un cadre général et c’est au franchiseur de l’appliquer plus intelligemment en aidant réellement le franchisé à vendre son affaire. Donc il ne faut pas forcément modifier le contrat sur ce point, mais l’appliquer mieux.
Le prix de vente doit-il être déterminable à l’avance ?
En période de crise, que valent les critères de détermination du prix ? Plus grand-chose ! Cela dit on ne peut pas remplacer la clause. On pourrait dans l’absolu inclure une promesse de rachat du franchisé par le franchiseur dans le contrat. Mais aucun franchiseur ne l’acceptera.
Et pour les clauses de non- concurrence post-contractuelles, y a-t-il des modifications à demander ?
Non, elles sont aussi justifiées qu’en période normale, même s’il faut y faire attention. Mais sur les clauses de non-concurrence pendant le contrat, oui. Celles par exemple qui interdisent toute autre activité au franchisé peuvent sans doute être revues. De façon à lui permettre, en période de crise, s’il est empêché d’exercer son activité habituelle, de pouvoir en trouver une autre qui lui permette de survivre.
« Les franchiseurs doivent être très prudents sur les chiffres qu’ils transmettent et les franchisés doivent mener leur enquête. Sinon, les litiges vont se multiplier. »
En somme, pour vous, il n’y a pas beaucoup de choses à revoir dans les contrats de franchise. C’est plutôt une question d’application ?
-C’est tout à fait cela : le problème, ce n’est pas le contrat, mais l’application du contrat. Les contrats de type anglo-saxon de 70 pages qui prévoient tout peuvent être jetés à la poubelle. Mieux vaut un contrat plus français, plus souple, où il n’est pas besoin de tout écrire. Le savoir-faire, l’assistance sont des obligations que la jurisprudence impose. Les franchiseurs sont soumis aussi à une obligation de bonne foi générale, même si elle n’est pas écrite dans le contrat. Et, en effet, il n’y a pas dans les contrats actuels, beaucoup de choses à revoir de la part des franchiseurs.
Ma véritable inquiétude pour eux porte sur la formation du contrat, sur le DIP, sur le consentement du franchisé. Beaucoup de franchisés en difficultés feront valoir demain l’erreur sur la rentabilité pour obtenir l’annulation de leur contrat. J’ai préconisé à mes clients franchiseurs la refonte de tous les DIP pour avertir les candidats que les chiffres qu’ils présentent n’ont plus grande valeur aujourd’hui. Il y a deux bilans normaux et un bilan Covid. Je les invite à se montrer extrêmement prudents. De même, ils doivent veiller à modifier leur savoir-faire et à faire évoluer leur concept. Sinon, ils s’exposent à la nullité de leur contrat.
Cela c’est votre conseil aux franchiseurs, mais que conseillez-vous aux candidats franchisés ?
Le candidat franchisé va être un peu perdu. Il faut qu’il accepte des inconnues et donc des risques supplémentaires. La seule chose à faire, c’est d’aller voir les autres franchisés du réseau pour les interroger. Les informations « loi Doubin » ne suffisent plus. Il faut que les franchiseurs en donnent beaucoup plus. Il faut qu’ils transmettent les n° de Siret des membres du réseau, etc. Le DIP n’est qu’une base de travail. Les candidats franchisés doivent ensuite mener leur enquête. Hélas trop peu le font : 1 % d’entre eux peut-être et encore !
Je crains qu’il y ait beaucoup de contentieux dans les mois et les années qui viennent. La tendance des juges, plutôt défavorable aux franchisés jusqu’ici, changera-t-elle ? Espérons-le !