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      Période précontractuelle : le rôle du futur franchisé ou affilié, selon la justice - Brève du 8 novembre 2024

      Brève
      8 novembre 2024

      Un commissionnaire-affilié estimait avoir été trompé par l’information précontractuelle de son commettant sur le potentiel de son enseigne dans sa zone. La cour d’appel juge au contraire qu’il disposait des éléments nécessaires et des moyens d’évaluer son risque.

      Table ronde d'experts Franchiseurs : qui est le meilleur ? DIPDans cette affaire, le commerçant débute son activité sur sa ville en 2003. Deux ans plus tard, il rejoint en tant que commissionnaire-affilié l’une des enseignes d’un groupe puissant dans son secteur.

      Tout se passe bien pendant plusieurs années et la croissance de son entreprise est régulière jusqu’à atteindre en 2011 plus de 400 000 € de chiffre d’affaires avec son magasin de centre-ville.

      Mais, à partir de 2012, l’activité diminue pour descendre en 2018 à 226 000 €.

      A l’origine du litige : un changement d’enseigne à l’intérieur d’un même groupe

      Le problème est général et les dirigeants du groupe décident, début novembre 2018, de mettre fin à cette enseigne qui, malgré leurs efforts, ne fait que perdre du terrain.

      Après en avoir informé les membres du réseau, ils proposent alors à l’affilié, dont le dernier contrat courait jusqu’au 31 août 2019, d’y mettre fin de manière anticipée et de signer une nouvelle convention de commission-affiliation. Un contrat lui permettant d’exploiter pendant deux ans une autre des enseignes du groupe ciblant une clientèle plus jeune et comptant de l’ordre de 300 magasins en France dont 40 appartenant à des affiliés.

      Afin d’aider son partenaire dans cette transition, l’enseigne s’engage à ne pas lui imposer de droit d’entrée et à prendre à sa charge les frais d’aménagement et de décoration du magasin.

      Par ailleurs, le groupe propose de porter le taux de commission de l’affilié de 40 % à 45 % si le chiffre d’affaires annuel s’avère inférieur à 211.000 euros.

      Toutes dispositions que l’affilié accepte.

      Devant la persistance de ses difficultés et le non-renouvellement de son contrat, l’affilié s’adresse à la justice

      Un protocole d’accord transactionnel précisant la procédure de transition est conclu le 21 mars 2019. Un DIP (Document d’information précontractuelle) est transmis 5 jours plus tard et le nouveau contrat de commission-affiliation est signé le 15 avril.

      Mais, malgré ce changement d’enseigne, le point de vente n’atteint que la moitié de l’objectif fixé par le groupe et en mars 2020, le commettant informe le commissionnaire-affilié que son contrat qui arrive à échéance le 28 février 2021 ne sera pas renouvelé.

      L’affilié estime alors que son échec est dû à la tête de réseau qui n’a pas respecté la loi dans la phase précontractuelle. Début avril 2021, il s’adresse à la justice, réclamant l’annulation de son contrat pour vice du consentement et des indemnités de l’ordre de 170 000 € pour sa société et 50 000 pour lui-même.

      Pour le commissionnaire-affilié, le commettant a vicié son consentement, le contrat doit être annulé

      Après avoir été débouté en première instance, l’affilié argumente devant la cour d’appel de Rennes.

      Pour lui, le commettant n’a pas respecté la loi sur l’information précontractuelle, d’abord parce que le contrat a été « signé dans la précipitation » : la boutique ayant ouvert le 6 avril, le délai légal de 20 jours imposé après la transmission du DIP le 26 mars n’a pas été observé.

      La défense du commissionnaire-affilié estime par ailleurs que le DIP ne fournissait que « des informations lacunaires » sur l’état du marché de la marque au plan local et des informations « obsolètes » car anciennes de trois ans sur le même marché au niveau national.

      Enfin, l’affilié affirme que le chiffre d’affaires prévisionnel « inatteignable » de 300 000 € lui a été fourni verbalement dès la fin de 2018, ce qui l’a conduit à accepter le transfert d’enseigne de son magasin. Il y a donc eu tromperie.

      Pour la cour d’appel, le délai légal de 20 jours entre la remise du DIP et la signature du contrat a été respecté

       

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FrancePar son arrêt du 10 septembre 2024, la cour d’appel de Rennes prend point par point le contre-pied de cette argumentation.

      Pour les juges, le contrat « n’a pas été signé dans la précipitation ». Des échanges de courrier prouvent à leurs yeux que le changement d’enseigne était envisagé par les deux parties dès le mois de janvier 2019.

      Par ailleurs, le nouveau contrat « se présentait de façon similaire à celui que (l’affilié) avait antérieurement signé avec (le commettant) et exécuté pendant treize années ».

      En outre, le délai minimum de 20 jours de réflexion imposé par la loi après la remise du DIP ne peut s’appliquer qu’à la signature du contrat, qui seul engage les partenaires, délai qui a été respecté dans la présente affaire.

      Marché local : l’affilié « aurait pu avoir la prudence » d’effectuer une « étude de marché précise »

      Concernant le marché local, les magistrats relèvent qu’une étude avait été réalisée par une société spécialisée en février 2019 et contenait « un grand nombre de données sur la composition sociologique, démographique et économique de la commune (…) ». Elle fournissait « les précisions nécessaires sur les commerces proches et les éventuels commerces concurrents. »

      La notoriété de l’enseigne ne faisait pas de doute, de même que l’expérience du commerçant sur sa ville. « Ayant été (lui-même) confronté durant les cinq dernières années à une chute d’affaires de son commerce, (l’affilié) aurait pu avoir la prudence de faire une étude de marché précise des possibilités de vente (des produits) de la marque dans le centre-ville de (sa localité) ».

      La cour ajoute : « Une telle étude n’a jamais fait partie des documents prévus par les dispositions des articles L330-1 et R330-1 du code de commerce, l’affilié étant le seul juge de l’opportunité de son investissement. »

      Pour les magistrats d’appel, il n’y a pas de doute, dans cette affaire l’affilié disposait d’éléments « suffisants pour calculer ses risques. » 

      Prévisionnel : selon les juges, il n’y a pas eu de faute du commettant. C’était à l’affilié d’évaluer ses risques

      A propos, d’ailleurs, du prévisionnel, les juges relèvent « qu’aucun document écrit antérieur à la signature du contrat » n’indique de prévisions de la part du commettant. Seul un texte du 18 avril, donc postérieur à la signature (du 15) fait état d’un « objectif » de 300 000 €. Une communication « qui n’a donc pas pu vicier le consentement » de l’affilié.

      « Au surplus », le fait que le protocole d’accord du 21 mars ait envisagé la possibilité que le chiffre d’affaires soit inférieur à 211 000 €, montre bien aux yeux des juges que cette hypothèse était « considérée comme sérieuse » par le commettant.

      Enfin, l’enseigne a pu prouver, par les chiffres d’affaires de plusieurs magasins que « sa marque était appréciée » dans la même région.

      La cour rejette donc toute annulation du contrat ainsi que les demandes d’indemnités de l’affilié.

      >Références de la décision :

      -Cour d’appel de Rennes, troisième chambre commerciale, 10 Septembre 2024, RG : 22/07457

      >A lire aussi sur le sujet :

      -L’article de Maître Nathalie Lefeuvre-Roumanos, avocat à la cour, dans la Lettre de la Distribution d’octobre 2024, qui analyse aussi le volet de l’arrêt consacré à l’accusation de déséquilibre significatif dans ce litige.