Un franchisé séduit par un concept ayant réussi à l’étranger échoue à le dupliquer en France. Il accuse le franchiseur de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour lui permettre de réussir. Il est débouté par la justice.
Que se passe-t-il lorsque le premier franchisé français d’une enseigne étrangère échoue dans son entreprise ? Qui est responsable ? La cour d’appel d’Angers a été amenée à répondre à ces questions dans un arrêt du 11 avril 2023 très éloquent quant aux risques de ce type de projet pour les deux parties.
Dans cette affaire, un professionnel expérimenté dans son secteur décide d’implanter sur son agglomération de 200 000 habitants, en centre-ville et en périphérie, deux établissements d’une même enseigne de franchise encore inconnue en France.
Avant de s’engager, il prend soin de visiter sur place les installations du franchiseur ainsi qu’une douzaine de points de vente de ce réseau ayant, dans un pays voisin, atteint la centaine d’unités après seulement une dizaine d’années d’existence. Séduit par le concept, il décide de se lancer.
Deux sociétés sont créées et deux contrats de franchise sont signés pour 9 ans en décembre 2009 et septembre 2010. Mais, sur un segment déjà très concurrencé et difficile, la notoriété, la fréquentation et la rentabilité ne sont pas au rendez-vous.
En échec, le franchisé réclame la résiliation de son contrat aux torts du franchiseur
Dès 2013, le franchisé souhaite apporter des modifications au concept, afin selon lui de l’adapter au marché français. Il y parvient en partie, mais le franchiseur n’accepte pas toutes ses suggestions estimant que certaines s’écartent trop de l’ADN de sa marque.
En 2014, un accord intervient avec le franchiseur qui accepte de passer son taux de redevance d’enseigne de 6 à 5 % et accorde un étalement des paiements à son partenaire. Mais les difficultés continuent.
A partir de juin 2015, le franchisé cesse de payer ses redevances et accumule les retards de paiement pour les marchandises. Les relations entre les parties se compliquent. Après avoir échoué à trouver un nouvel accord, l’enseigne met son partenaire en demeure de la régler en mai 2017.
Le franchisé l’assigne alors devant la justice. Invoquant des fautes graves, il réclame la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur et de l’ordre de 900 000 € de dommages et intérêts en compensation des préjudices qu’il estime avoir subis.
En avril 2018, les deux sociétés du franchisé sont placées en redressement judiciaire. Parvenu à son terme fin novembre 2018, le premier contrat n’est pas renouvelé par l’exploitant. Tandis que le second est résilié par le mandataire judiciaire en juin 2019, soit six mois avant son terme. L’ex- franchisé poursuit alors son activité dans ses locaux sous une autre enseigne.
Pour le franchisé, le franchiseur aurait dû tester son concept en France. Pas pour les juges.
A l’appui de ses demandes d’indemnisation, le plaignant formule de nombreux griefs à son ex-franchiseur. Il lui reproche ainsi de ne pas avoir expérimenté lui-même son concept en France avant de le franchiser.
La cour d’appel balaye l’argument. D’une part parce « qu’aucun texte n’exige (d’un) franchiseur qu’il ait exploité son savoir-faire dans une unité pilote avant la conclusion des contrats de franchise. »
D’autre part parce que le franchisé avait vérifié le caractère éprouvé du concept dans son pays d’origine et qu’il avait « parfaitement connaissance » du fait « qu’il serait le premier franchisé de la marque en France. »
En outre, il disposait « d’une très grande expérience » dans le secteur d’activité concerné. Ainsi que d’une « bonne connaissance de son marché local pour y avoir implanté son affaire précédente ».
Il lui appartenait de toute manière d’effectuer lui-même ou de « faire réaliser une étude de marché au regard de l’implantation précise envisagée ». Ce qu’il n’a pas fait.
Pour les juges, le franchisé a donc « accepté les risques inhérents à l’absence d’expérimentation préalable du concept (…) sur le territoire français, étant souligné que ses deux sociétés ont bénéficié en contrepartie de l’exonération des droits d’entrée. »
Pour le franchisé, le concept n’était pas rentable. Ce n’est pas l’avis des magistrats.
Autre reproche majeur formulé par le franchisé : l’absence de rentabilité du concept, due selon lui à des postes de charges excessifs. A savoir : une masse salariale plus lourde en France que dans le pays d’origine pour les mêmes effectifs, un coût d’acquisition des marchandises auprès d’une filiale du franchiseur trop élevé et un taux de redevance trop important pour une enseigne inconnue dans l’Hexagone.
Là encore, la cour d’appel contredit les arguments du franchisé. Pour elle, même s’il a transmis certains éléments chiffrés, le franchiseur ne peut pas être tenu responsable des prévisionnels réalisés par un cabinet d’expertise-comptable pour le compte du franchisé.
Les magistrats estiment en outre que, pour les charges de personnel comme pour l’achat des marchandises, « il n’y a pas eu de sous-estimation » de ces postes et que la rentabilité aurait été au rendez-vous « si le chiffre d’affaires prévu avait été réalisé ».
Un chiffre d’affaires dont ils rappellent qu’il est « à la charge du franchisé et dépend en grande partie du travail accompli par celui-ci, de ses qualités professionnelles et de son intelligence commerciale pour faire vivre le concept. »
Toutes considérations que le plaignant ne pouvait selon eux ignorer, comme il « ne pouvait ignorer » la difficulté du secteur d’activité choisi.
Quant au taux des redevances, il leur paraît dans la norme du secteur et même « inférieur à celui de la concurrence directe. »
Les juges écartent toutes les accusations du franchisé
Concernant les critiques détaillées du franchisé sur la mise en œuvre du concept, les juges considèrent qu’au regard de son expérience, il était en mesure, lors de ses visites des établissements existants dans le pays d’origine, d’évaluer la capacité de l’enseigne à rencontrer ou non l’adhésion du public français.
Les juges écartent également les accusations du franchisé sur l’absence d’adaptation au marché français (puisqu’il y a eu des évolutions).
Même chose quant au défaut de notoriété de l’enseigne (puisque le franchiseur a fait de la publicité et a ouvert un site internet) et d’assistance pendant le contrat (il y a eu des visites et des conseils).
Peu importe que le franchiseur ne soit parvenu en onze ans qu’à ouvrir cinq succursales et quatre unités franchisées, ce qui compte aux yeux des juges, c’est qu’il s’est efforcé de développer le réseau. Car il n’est tenu selon eux que par des obligations de moyens, pas de résultats.
En conséquence, la cour d’appel d’Angers refuse de résilier le contrat aux torts exclusifs du franchiseur et déboute le franchisé de toutes ses demandes indemnitaires.
Le contrat n’est pas résilié et le franchisé est condamné à divers paiements
Contrairement à ce que réclamait le franchiseur, la cour ne va pas toutefois jusqu’à résilier le contrat aux torts exclusifs du franchisé. Les juges observent en effet, au vu notamment des rapports d’audit régulièrement réalisés par l’enseigne elle-même, que « le savoir-faire transmis par le franchiseur a bien été respecté. »
Ils condamnent en revanche le franchisé à restituer tous les manuels de savoir-faire et à « désidentifier » ses établissements restés dans leur agencement initial (mobilier et décoration), même si l’enseigne n’est aujourd’hui plus présente en France.
Par ailleurs, pour ne pas avoir respecté la clause de non-concurrence post-contractuelle (limitée pendant un an à la commune d’implantation du franchisé) et avoir « porté ainsi atteinte à l’image de l’enseigne qui continuait alors d’exister dans le pays », les sociétés du franchisé sont condamnées à verser au franchiseur 15 000 € pour l’une et 7 500 € pour l’autre (en fonction de leur durée réciproque d’infraction). Même si les autres points de vente étaient géographiquement éloignés de ceux du plaignant et si le franchiseur n’avait pas de projet de réouverture sur la zone libérée (auxquels cas l’indemnisation aurait été plus élevée, cette fois pour « gains manqués »).
La cour confirme par ailleurs que les deux sociétés du franchisé sont redevables à leur ex-franchiseur, de 100 000 € pour l’une et 130 000 € pour l’autre en termes de redevances. Et de 57 000 € pour l’une et 100 000 € pour l’autre (montants arrondis) en termes de marchandises impayées.